Les restructurations dans la grande distribution pèsent d’abord sur les salariés

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Les grandes manœuvres vont bon train dans la grande distribution. Aux avant-postes de la réflexion et l’action sur l’avenir du commerce, la CFDT en appelle à la responsabilité sociale des entreprises.

« De nombreuses études montrent que le niveau d’emploi devrait rester stable dans le commerce dans les prochaines années, explique le secrétaire général de la Fédération des Services, Olivier Guivarch. Elles indiquent aussi qu’il y aura de nombreuses destructions d’emplois globalement compensées par des créations. La difficulté va consister à les faire coïncider. » Les grands bouleversements sont effectivement à l’œuvre dans le commerce, à commencer par les hypermarchés. « Ce modèle a vécu », constate Guy Laplatine, le délégué syndical central (DSC) CFDT d’Auchan (73 000 salariés dont 57 000 dans les hypers et supers), « pour l’instant, ça tient parce que nous sommes dans un groupe familial dont la richesse réside dans le patrimoine immobilier. Mais, demain, qui voudra racheter des magasins qui ne marchent plus ? ».

Un changement des habitudes de consommation

En quelques années, l’évolution des habitudes de consommation vers plus d’exigences, de bio, de proximité, de durabilité, de rapidité conjuguée à des mutations technologiques qui passent par l’avènement du e-commerce et de la robotisation a transformé l’acte d’achat. Celui-ci ne se fait moins dans les magasins et plus de chez soi, derrière un écran connecté. La livraison, elle aussi impactée, se fait aujourd’hui par l’acheteur, à pied, en voiture ou par d’autres services et entreprises. De quoi bousculer toutes les formes de distribution et de logistique et rendre caduc le format des hypermarchés. À la peine, la grande distribution réduit la voilure, mais « mise étonnamment peu sur un projet social d’accompagnement des salariés vers les nouvelles formes de commerce », ironise Sylvain Macé, le délégué national CFDT de Carrefour, où près de 7 000 postes doivent être supprimés d’ici à 2020.

Chez Casino, où la direction pourrait annoncer la cession d’une vingtaine d’hypers le 15 novembre, « on a déjà réduit les surfaces de vente de 20 à 30 %, affirme le DSC André Moreno. Quarante-cinq supermarchés ont été franchisés avec un semblant de charte sociale sans aucune contrainte pour le repreneur. Nous ne l’avons pas signée. Les restructurations à venir pourraient concerner de 5 000 à 6 000 salariés au fil de l’eau ».

Redoutant la concurrence des géants de l’internet, les dirigeants des grands groupes apportent des réponses économiques et sociales classiques : suppression de postes, vente ou mise en location-gérance de magasins, recentrage sur l’alimentaire, rapprochement entre les groupes, signature d’accord de Monoprix avec Amazon, de Carrefour avec Google, etc., opérations marketing de reconquête (Haka chez Auchan, Act For Food chez Carrefour, etc.). Sur le plan social, en revanche, l’imagination est en panne côté employeur pour protéger les salariés menacés par ces transformations. « La CFDT Auchan a proposé de mettre en place une agence pour l’emploi au niveau du groupe afin de recaser des salariés volontaires, mais la direction ne veut rien entendre », confie le DSC. Mêmes échos chez Casino, où la direction refuse de mettre en œuvre une gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), qui anticiperait les évolutions à venir. « Le groupe coupe les branches mortes en cédant ses magasins les moins performants et laisse les repreneurs gérer les relations humaines à leur guise », regrette André Moreno.

Chez Carrefour, enfin, la CFDT a détourné la campagne Act For Food (Agir pour l’alimentation) en Act For Good (Agir pour le mieux). Elle veut bâtir un véritable projet social, qui permettrait de classer en « métier sensible » les vendeurs des secteurs menacés (électronique, électroménager…) dans une GPEC et de les former en conséquence. « On est même prêts à discuter de polyvalence des salariés s’il y a des contreparties, affirme Sylvain Macé. Le PDG nous dit qu’on a raison. Mais il ne reprend aucune de nos propositions ! Le libéralisme a le dernier mot : le marché du travail se régulerait tout seul. Nous n’y croyons pas. »

De quels leviers d’action dispose la CFDT ?

En revanche, la CFDT-Services en est persuadée, « la réponse syndicale passe d’abord par une compréhension des enjeux du secteur ». Ce qui est loin d’être le cas des leaders actuels de la grande distribution. « Carrefour, par exemple, se montre sous un jour vertueux en proposant des produits plus sains, en misant sur des savoir-faire locaux, etc. De l’autre, le groupe supprime 7 000 emplois et impose une réalité sociale très dure à ses salariés. Le décalage est trop fort et incohérent. Il faut remettre sur la table la responsabilité sociale de l’entreprise », observe Sylvain Macé. « Sur le plan des conditions de travail et de la vie privée, les évolutions en cours génèrent des choses inacceptables, appuie Olivier Guivarch. Pour y mettre fin, nous avons besoin de la puissance publique, et nous agissons auprès d’elle en ce sens. Elle doit poser les règles, notamment sur le travail de nuit et dominical. On ne peut pas continuer à casser les salariés en leur demandant de travailler vite, le soir, la nuit, le week-end… La CFDT vient de signer un bon accord sur le travail en soirée chez Monoprix  mais il ne faut pas que la concurrence se fasse sur ces nouveaux droits des salariés. »

L’autre angle d’action réside dans les qualifications et l’emploi. « Pour faire coïncider destructions et créations d’emplois, le secteur doit anticiper dans les entreprises mais aussi au niveau des filières, des branches et des régions en proposant aux salariés des formations adaptées aux enjeux de demain », estime Olivier Guivarch. Enfin, face à l’individualisation des rémunérations, au développement du travail à la tâche et d’une productivité horaire, le pouvoir d’achat constitue également un levier d’action syndicale. « Revoir ces méthodes de rémunération qui impactent négativement le travail est une nécessité », conclut la CFDT-Services. En un mot : de la régulation et un peu de responsabilité sociale des entreprises.

dblain@cfdt.fr

photo © Nascimento / Réa 

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