Représentant du personnel : l’employeur peut-il le sanctionner directement par une mise à pied disciplinaire ?

  • Protection des représentants

Contrairement à une idée reçue, un salarié investi d’un mandat de représentation ne bénéficie pas d’une immunité empêchant l’employeur de le sanctionner disciplinairement. Comme n’importe quel salarié, il peut être sanctionné par un blâme ou un avertissement. Pour la première fois, la Cour de cassation précise que l’employeur peut également sanctionner un représentant des salariés par une mise à pied disciplinaire sans qu’il soit besoin d’obtenir au préalable son accord. Cass.soc.11.12.2024, n° 23-13.332, publié.

Une protection limitée à certaines décisions de l’employeur
 

Pour bien comprendre la décision rendue par la Cour de cassation, il est nécessaire de rappeler l’étendue de la protection dont bénéficient les salariés investis d’un mandat de représentation.

Le licenciement et l’exécution du contrat de travail
 

Fortement exposés dans le cadre de leur mandat, les représentants des salariés bénéficient d’une législation particulière visant à prévenir les agissements discriminatoires ayant les conséquences les plus graves. Il s’agit en particulier de la protection contre le licenciement prévue par le Code du travail (1) et de la faculté de refuser aussi bien une modification du contrat de travail qu’un simple changement des conditions de travail relevant pourtant du pouvoir de direction de l’employeur en vertu d’une jurisprudence constante (modification des horaires, des tâches, du lieu de travail…). 


Ce droit de « résistance » à une décision patronale - portant sur des éléments non contractuels de la relation de travail - comporte toutefois un risque. L’employeur a ensuite le choix entre renoncer à son projet ou demander à l’inspection du travail l’autorisation de le licencier en raison du refus opposé par le représentant... 
 

Les sanctions disciplinaires  
 

Les salariés élus au CSE ou ayant un mandat du syndicat (délégué syndical, représentant syndical au CSE...) s’exposent aux mêmes sanctions disciplinaires que leurs collègues en cas de faute dans l’exécution du contrat de travail. Un blâme ou un avertissement peut leurs être infligé directement sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord de l’inspection du travail. Toutefois, au regard des règles particulières exposées précédemment, une sanction disciplinaire plus lourde induisant une modification du contrat ou un changement des conditions de travail, nécessite d’obtenir au préalable l’accord du représentant. Il en va ainsi pour une mutation ou une rétrogradation disciplinaire. L’employeur est alors tenu d’informer le salarié qu’il peut accepter ou refuser une telle sanction, l’acceptation ne pouvant résulter que de son accord exprès et non de l’absence de protestation ou de la simple poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions (2). En cas de refus, soit l’employeur renonce à la sanction où la modifie, soit il demande l’autorisation de licencier en raison du refus. 


Des stratégies se sont alors développées pour neutraliser les mises à pied disciplinaires en les subordonnant à l’accord du représentant des salariés puisqu’elles vont nécessairement affecter son contrat de travail, à savoir sa rémunération et ses tâches. 

La Cour de cassation s'est prononcée pour la première fois sur cette question qui a fait l’objet de solutions différentes par les juges du fond.  
 

La mise à pied disciplinaire ne nécessite pas l'accord du représentant

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un manager de l’enseigne Mac Donald’s, par ailleurs délégué du personnel et délégué syndical CGT, est sanctionné d’une mise à pied disciplinaire de 5 jours. Il saisit la justice pour obtenir l’annulation de cette sanction et obtient gain de cause devant le conseil des prud’hommes et la cour d’appel. 

Les juges du fond retiennent que l’employeur aurait dû au préalable informer l’intéressé de son droit d’accepter ou de refuser cette sanction, car « celle-ci emporte une modification de la rémunération du salarié et de la durée du travail pendant sa durée d'application ». 

Bon à savoir : 

La mise à pied disciplinaire est une sanction disciplinaire à part entière. Il s’agit d’une sanction lourde, qui vise à exclure le salarié de l’entreprise pendant un temps déterminé en le privant de sa rémunération. 

Cette sanction est à distinguer de la mise à pied conservatoire qui elle est une mesure d’attente, préalable à une sanction. Si elle n’aboutit pas à un licenciement pour faute grave ou lourde, elle devra être rémunérée a posteriori. 

Pour les salariés protégés, des règles spécifiques sont applicables vu la gravité d’une telle décision : 

  • Délégué syndical : information de l’inspection du travail dans les 48h de la mise à pied et engagement de la procédure de licenciement dans les 8 jours (Art. L.2421-1 et R.2421-26 C.trav.).  
  • Elu au CSE : consultation du CSE dans le délai de 10 jours et demande d’autorisation de licenciement dans les 48h suivant la délibération du CSE (Art. L.2421-3 et R.2421-26 C.trav.).

La Cour de cassation répond par l'exact inverse pour casser la décision. Une mise à pied disciplinaire n'emporte ni modification du contrat de travail ni changement des conditions de travail, elle n'est donc pas subordonnée à l'accord du salarié. Ce faisant la Cour de cassation semble opérer une distinction entre une simple modification temporaire et une modification permanente du contrat de travail, de sorte que les jurisprudences antérieures concernant les rétrogradations ou mutations disciplinaires ont vocation à être maintenues. Les juges du droit précisent également dans leur attendu de principe que pendant cette période le mandat de représentant des salariés n’est pas suspendu sans que l’on sache très bien s’il s’agit d’un argument à l’appui de cette solution ou d’un simple rappel de sa jurisprudence constante.  
 

Sur le fond cette décision ne nous semble pas illogique. Même si la stratégie avait pu prospérer devant certains juges du fond (3), il semble que celle-ci ait été vue par la Haute Cour comme guidée par l’exploitation d’un artifice juridique plus que par la nécessité de protéger les représentants des salariés d’une véritable discrimination. Une telle sanction reste quoi qu'il en soit contestable sur le fond devant le conseil des prud’hommes. Cette décision est importante à faire connaitre pour adapter les stratégies syndicales en réaction à mise à pied disciplinaire  utilisée pour évincer un militant ou décourager l'implantation syndicale. 
 

  

(1) Protection qui oblige l’employeur à saisir l’inspection du travail pour obtenir au préalable l’autorisation de licencier. Selon la DARES, « au cours de la période 2010-2014, plus des trois quarts des demandes de licenciement et près de 95 % des demandes de rupture conventionnelle ont été autorisées par l’inspection du travail » DARES résultats, mars 2017 N°18.

(2) Cass.soc.15.02.23, n°21-20.572. 

(3) Voir à l’inverse l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui considérait déjà en 2017 que la mise à pied n’a pas pour effet de modifier durablement le contrat de travail mais simplement d’en suspendre temporairement ses effets. CA Versailles, 26.09.17, n°16/02678.   

 

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.11.12.2024, n° 23-13.332.

    PDF — 41Ko

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Représentants du personnel : l’employeur peut-il sanctionner un fait en lien avec l’exercice du mandat ?

    Lire l'article