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Travail de nuit : le dépassement des durées hebdomadaires maximales ouvre droit à réparation

Publié le 25/10/2023

Le statut de travailleur de nuit offre aux salariés un certain nombre de garanties. Parmi elles, et dans un souci de protection de leur santé et de leur sécurité, on compte des durées maximales de travail. Mais qu’en est-il alors lorsque ces durées sont dépassées ? Pour prétendre à des dommages-intérêts, le salarié doit-il prouver que ce dépassement lui a causé un préjudice ou bien le seul dépassement suffit-il à lui ouvrir droit à réparation ? Pour la première fois, la Cour de cassation se positionne sur ce point. Cass.soc.27.09.23, n°21-24782

Les faits

A la suite de la rupture de son contrat de travail, un salarié saisi le conseil de prud’hommes. Travailleur de nuit, il reproche en effet à son employeur de l’avoir régulièrement fait dépasser la durée maximale hebdomadaire de travail autorisée et demande des dommages-intérêts pour non-respect de ces limites.

Afin de garantir la santé et la sécurité des travailleurs de nuit, notre droit national et le droit européen(1) ont fixé des durées maximales quotidiennes et hebdomadaire de travail.
Ainsi, un travailleur de nuit ne peut pas travailler plus de 40 h en moyenne sur une période quelconque de 12 semaines consécutives. Cette limite pouvant être portée à 44 heures par un accord collectif si les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient(2).

L’employeur conteste évidemment. Et il avance pour cela plusieurs arguments : l’amplitude horaire avancée par le salarié ne correspond pas au travail effectif, le salarié disposait en plus d’un temps de repos et de mise à disposition et surtout, le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur.

Convaincue, la cour d’appel déboute le salarié…. Pourquoi ? Parce qu’il ne justifie pas d’un préjudice distinct. En d’autres mots, pour être indemnisé, le salarié aurait dû prouver que le dépassement des durées maximales de travail lui avait causé un préjudice. Le salarié estime, au contraire, que « le non-respect des durées de travail ouvre à lui seuil droit à réparation ».

Le non-respect des durées maximales de travail de nuit, suffit-il à lui-seul à ouvrir droit à réparation au salarié ? Ou bien ce dernier doit-il, à l’inverse, démontrer le préjudice que lui a causé ce dépassement ?

Mais d’où vient ce débat ?

Il faut savoir que jusqu’en 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation reconnaissait régulièrement que certains manquements de l’employeur causaient nécessairement un préjudice au salarié. Autrement dit, il suffisait que l’employeur viole une obligation légale pour que le salarié ait droit à une réparation. Ce dernier n’avait pas besoin de prouver, en plus, son préjudice. On parlait alors de « préjudice nécessaire ».

C’était par exemple le cas en cas de remise tardive au salarié de certains documents tels que les bulletins de paie, le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi(3), en cas d’absence d’information sur la convention collective applicable(4) ou d’absence de mention de la priorité de réembauche dans une lettre de licenciement(5).

Puis, en 2016(6), la Cour de cassation décide d’abandonner cette position. Pour accorder des dommages-intérêts au salarié en cas de manquement de l’employeur, elle exige désormais que le salarié prouve son préjudice. Et c’est aux juges du fond d’en apprécier souverainement l’existence et l’étendue. Autant dire que ce revirement est loin d’être favorable aux salariés…

Seulement depuis 2022, la Cour de cassation semble infléchir sa jurisprudence. Notamment, en matière de respect des durées maximales de travail. Elle a ainsi jugé, concernant des travailleurs de jour, que le seul constat du dépassement des durées maximales de travail ouvrait droit à réparation qu’il s’agisse de la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures (7) ou quotidienne de 10 heures(8).

C’est précisément sur la base de la théorie du « préjudice nécessaire » que le salarié a tenté de fonder son action.

Le dépassement des durées de travail hebdomadaires de nuit maximales cause un préjudice

La Cour de cassation donne raison au salarié. Et elle est très claire ! Le dépassement de la durée maximale de travail ouvre, à lui seul, droit à la réparation. Puis, elle rappelle que c’est bien à l’employeur de justifier avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit et non au salarié de démontrer qu’il a subi un préjudice du fait de ce non-respect(9). Or, dans notre affaire, l’employeur n’a pas fait cette démonstration…. La Cour de cassation accorde donc au salarié les dommages-intérêts qu’il réclamait.

Une décision aussi protectrice que prévisible

Cette décision va donc clairement dans le sens de l’infléchissement opéré par la Cour de cassation depuis 2022 en matière de temps de travail. Par cet arrêt, elle étend ainsi la théorie du préjudice nécessaire au respect de la durée hebdomadaire maximale de travail des travailleurs de nuit, ce qui est très positif pour les salariés. Ce qui est d’autant plus positif que le travail de nuit les expose à une plus grande pénibilité que les travailleurs de jour(10).

Il n’est d’ailleurs pas improbable que la Cour de cassation se positionne de la même manière concernant la durée maximale quotidienne des travailleurs de nuit…(11). En attendant, reste à espérer que cette décision contraindra les employeurs à être plus vigilants quant au respect de ces limites protectrices.

 

(1) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4.11.03, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Pour le transport routier : Directive 2002/15/CE du Parlement et du Conseil du 11 mars 2002 relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.

(2)Art. L.3122-7, L.3122-18 et L. 3122-24 C.trav. (anc. Art. L.3122-25, en vigueur avant la loi travail, Loi n°2016-1088 du 8.08.16.).

(3) Cass.soc.19.02.14, n°12-20591.

(4) Cass.soc.04.03.15, n°13-26312.

(5) Cass.soc.14.09.10, n°09-41238.

(6) Cass.soc. 13.04.16, n°14-28293.

(7) Cass.soc.26.01.22, n°20-21636.

(8) Cass.soc.11.05.23, n°21-22281.

(9) Art. 1353 C.Civ (anc. Art.1315) : « Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation » ; Cass.soc.10.05.23, n°21-23041. C’est à l’employeur de prouver qu’il a respecté les seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne ainsi que les durées maximales de travail fixées par le droit interne.

(10) CJUE, 24.02.22, aff. C-262/20, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto.

(11) Art. L.3122-6, L.3122-16 à L.3122-19 et R.3122-7 C.trav. : la durée du travail maximale quotidienne d’un travailleur de nuit ne peut excéder 8 heures sauf accord collectif, dépassement prévu pour les équipes de suppléance ou circonstances exceptionnelles.

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