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Congés payés : le Code du travail conforme à la Constitution, mais toujours pas au droit européen…

Publié le 14/02/2024

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), vient de décider que le 5° de l’article L. 3141-5 du Code du travail relatif à l’acquisition des congés payés pendant une période d’arrêt de travail faisant suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle, est conforme à la constitution. Une décision qui était très attendue, mais qui, in fine, ne remet pas en cause les arrêts de la Cour de cassation rendus en septembre sur le même sujet.  Conseil constitutionnel, Décision n°2023-1079 QPC, 8.02.24

Petit retour en septembre 2023. Depuis de nombreuses années, la Cour de cassation ne cesse d’inviter le législateur français à modifier les dispositions du Code du travail relatives à l’acquisition des congés payés du fait de leur non-conformité avec le droit de l’Union européenne. Ces alertes étant restées vaines, la Cour de cassation a alors décidé, par plusieurs arrêts très commentés, de faire cette mise en conformité. Sans prétendre à revenir dans le détail de ces décisions, voici en quelques mots ce qu’a notamment décidé la Cour de cassation[1] :

  • s’appuyant sur l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, elle retient que les salariés dont le contrat de travail est suspendu par un arrêt maladie non professionnelle peuvent prétendre à leurs droits à congés payés au titre de cette période ;
  • s’appuyant toujours sur le même fondement, elle juge également qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le salarié bénéficie de ses droits à congés payés durant toute la durée de son arrêt.

La transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel

Quelques semaines plus tard, la Cour de cassation décidait de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel[2]. Cette QPC posait la question de la conformité de l’article L. 3141-3 et de l’article L. 3141-5, 5° du Code du travail à deux principes protégés par la Constitution, à savoir :

  • celui relatif au droit au repos et à la santé garanti par le préambule de la Constitution de 1946 : le fait de priver, à défaut d’accomplissement d’un travail effectif, le salarié en arrêt de travail pour une maladie non professionnelle de tout droit à acquisition de congés payés, et le salarié en arrêt de travail pour maladie professionnelle de tout droit à l’acquisition au-delà d’une période d’un an, est contraire à ce droit, selon le demandeur ;
  • celui relatif au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958 : pour le demandeur, l’article L. 3141-5, 5° du Code du travail porte atteinte à ce principe en ce qu’il instaure une distinction selon l’origine professionnelle ou non de la maladie sans rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Une conformité de l’article 3141-5, 5° du Code du travail à la Constitution

Par une décision rendue le 8 février 2024, le Conseil constitutionnel, après avoir décidé de n’examiner que la seule conformité de l’article L. 3141-5, 5° du Code du travail, décide que ce texte est bien conforme à la Constitution.

En ce qui concerne le droit au repos reconnu aux salariés

Le Conseil rappelle que le principe d’un congé annuel payé est l’une des garanties du droit au repos reconnu aux salariés qui découle du préambule de 1946. Mais ensuite, après avoir analysé le contenu des articles du Code du travail relatifs à l’acquisition des congés payés, il retient que le législateur avait la possibilité « d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéficie d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non professionnelle ». Il ajoute que le législateur avait également la possibilité de « limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an ».

Pour en déduire que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au repos.

En ce qui concerne le principe d’égalité

Le Conseil rappelle une règle bien connue selon laquelle le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Pour ensuite pointer justement une différence entre la maladie professionnelle et l’accident du travail, trouvant leur origine dans l’exécution du contrat de travail, et les autres maladies ou accidents qui peuvent affecter les salariés.

Le Conseil ajoute que le législateur avait la possibilité de prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congés payés pour les salariés selon le motif de la suspension du contrat de travail, ces règles différentes étant fondées sur une différence de situation.

Il en déduit que le texte ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi.

Quelle est la portée de cette décision ?

L’article L. 3141-5, 5° du Code du travail, qui prévoit que le salarié en arrêt de travail professionnel acquiert des congés payés dans une limite d’un an, est donc conforme à la Constitution. Il reste donc, pour l’heure, applicable dans notre droit.

Néanmoins, cela ne vient aucunement remettre en cause les décisions de la Cour de cassation qui, elle, a considéré que cet article, ainsi que l’article L. 3141-3 du Code du travail, sont contraires au droit de l’Union européenne. Les dispositions de l'article 31, paragraphe de la Charte 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s’imposent effectivement en droit français.

Cela signifie in fine :

  • que les juges du fond, qui ont déjà été saisis des nombreux dossiers relatifs à l’acquisition des congés payés pendant des périodes d’arrêt de travail, vont pouvoir continuer à suivre la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation en septembre 2023 ;
  • que le législateur a désormais entre les mains l’ensemble des éléments pour pouvoir légiférer, sans tarder pour procéder à la mise en conformité de notre droit au droit de l’Union.

 

[1] Pour un commentaire exhaustif : https://www.cfdt.fr/portail/vos-droits/conges-payes-et-arret-maladie-notre-droit-enfin-conforme-au-droit-de-l-ue-srv1_1310595

[2] Cass.soc. 15.11.2023, n°23-14806, décision de renvoi

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