Vie privée: le devoir de loyauté envers l’employeur perdure même au cours d’un dîner “arrosé”

Publié le 24/09/2014

Si le principe veut que des faits tirés de la vie personnelle d’un salarié ne puissent être retenus pour fonder un licenciement pour faute, il en est autrement lorsque ces éléments présentent un lien, même indirect, avec l’activité professionnelle. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation pour retenir la faute grave d’un cadre qui, au cours d’un repas à son domicile, a recueilli des attestations de salariés destinées à obtenir la révocation du PDG de l’entreprise. Cass. Soc.,  02.07.14, n°12-28051

En l’espèce, un salarié, actionnaire de la société dans laquelle il travaille et détenant des fonctions d’encadrement, a invité plusieurs salariés à dîner à son domicile. Au cours de ce repas bien arrosé, le cadre a obtenu des attestations de ses convives témoignant notamment de la mauvaise gestion du PDG. Ces écrits étaient destinés à étayer une demande de révocation du PDG, introduite auprès du tribunal de commerce par l’épouse du salarié (ancienne salariée et actionnaire de l’entreprise).

L’employeur, ayant eu connaissance de ces faits, l’a licencié pour manquement à son obligation de loyauté. La cour d’appel ayant retenu que son licenciement pour faute grave était justifié, le cadre a saisi la Cour de cassation.

La question qui se pose est donc la suivante : l’employeur pouvait-il invoquer des agissements commis à l’occasion d’un repas au domicile du salarié pour fonder son licenciement ?

  • Le principe : non-prise en compte des faits tirés de la vie privée

Pendant longtemps, la jurisprudence refusait d’admettre qu’un fait tiré de la vie personnelle puisse motiver un licenciement disciplinaire. En effet, dans un souci de protection de la vie privée des salariés, l’employeur n’était pas admis à se faire juge de la vie extraprofessionnelle de ceux-ci.

C’est précisément ce principe que le salarié met en avant : les agissements que la société invoque à l’appui de son licenciement relèvent de sa vie personnelle.

Ce n’est pourtant pas ce qu’a retenu la Cour de cassation.

  • Manquement à une obligation découlant du contrat

 La Haute Cour considère que si ces faits ont été commis hors du temps et du lieu de travail, ils sont bel et bien rattachés à la vie professionnelle du salarié. 

En effet, le fait de recueillir des attestations de salariés à l’encontre du dirigeant, alors que l’on fait partie de l’encadrement de l’entreprise, constitue une opposition frontale avec la direction de l’entreprise, incompatible avec ces fonctions. Ce qui constitue par conséquent un manquement grave à l’obligation de loyauté.

C’est ce manquement à son devoir de loyauté qui a déterminé le licenciement disciplinaire du salarié. Ce dernier a eu beau mettre en avant le fait que c’est son épouse qui était à l’origine de la saisine du tribunal de commerce, qu’elle avait également participé au dîner et que les attestations lui avaient été adressées à elle, rien n’y a fait : le salarié cadre a personnellement manqué à ses obligations professionnelles.

Cet arrêt du 2 juillet 2014 s’inscrit dans la continuité d’une  jurisprudence amorcée en  2011[1] qui a, pour la première fois, reconnu la possibilité de licencier pour motif disciplinaire un salarié pour des faits qu’il a commis dans le cadre de sa vie personnelle, dès l’instant où ces faits constituaient un « manquement aux obligations découlant de son contrat de travail ».

Le risque que présente cette notion d’ « obligations découlant du contrat de travail » tient aux interprétations larges dont elle peut faire l’objet.

 Cet arrêt illustre bien la nécessité de rester vigilant aux propos tenus contre son entreprise ou son employeur, y compris dans le cadre de sa vie personnelle. Avec l’explosion des réseaux sociaux ces dernières années, il est de plus en plus difficile de délimiter les frontières entre ce qui relève de la vie privée et ce qui relève de la vie professionnelle. Il est notamment délicat d’articuler la liberté d’expression d’un salarié et le devoir de loyauté auquel il est tenu envers son employeur.

 

 

 



[1] Cass. Soc. 3 mai 2011, n°09-67.464