Décision unilatérale de l’employeur : à son terme, elle cesse automatiquement d’exister

Publié le 17/04/2024

La décision unilatérale de l’employeur peut être à durée indéterminée, mais aussi à durée déterminée. Et lorsque tel est le cas, elle peut disparaitre comme ça, sans bruit. Ainsi en ira-t-il lorsqu’à son terme, l’employeur n’entend pas la renouveler. Et a priori, sans qu’aucune information ne soit due, ni aux salariés, ni aux représentants du personnel. Cassation sociale, 3 avril 2024, n° 22-16.937   

Dans cette affaire, tout part d'un projet de réorganisation impactant l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise au sein d’un site de La Poste. En février 2021 en effet, la direction de ce site consulte le CHSCT afin de lui présenter un projet de réorganisation. Après avoir recouru à une expertise, ledit CHSCT ainsi que l'un des syndicats présents sur le site -Sud postaux 95- ont décidé de saisir le tribunal judiciaire afin d’y requérir, en référé, l’interdiction pour La Poste de mettre en œuvre son projet.

Mais pourquoi cela ? Tout simplement parce qu’un peu plus de 6 mois avant la date de sa présentation -en septembre 2020 très précisément-, La Poste avait déjà procédé à une réorganisation alors destinée à faire face à la crise sanitaire consécutive à l'épidémie de Covid-19. Or, en 2013, le bulletin des ressources humaines de La Poste avait entendu instaurer une règle selon laquelle l'employeur s’engageait à « respecter un délai de deux années entières entre deux projets consécutifs impactant l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise ».

Et ici, c’est bien le non-respect de ce délai qui a conduit le CHSCT et le syndicat Sud postaux 95 à agir en justice et à faire état de l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Un engagement unilatéral ne peut jamais se muer en usage

La règle contraignant La Poste à laisser couler un délai de deux ans entre deux projets impactant l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise avait donc été édicté en 2013. Et il se trouve que jusqu'au 31 décembre 2020, elle avait été systématiquement reconduite. Ce n'est en effet qu’à compter de cette date que la direction de La Poste avait cessé tout renouvellement. Mais sans pour autant exprimer une quelconque volonté de la remettre en cause.

Le CHSCT ainsi que le syndicat partie prenante avaient déduit du renouvellement de cette règle contraignante sur une période aussi conséquente -7 ans- qu’il y avait eu glissement de la décision unilatérale de l'employeur vers l'usage. Ce, en raison du fait que les critères de généralité, de fixité et de CONSTANCE étaient manifestement réunis. Or, aucune dénonciation patronale auprès des salariés pas plus qu’une quelconque information des instances de représentation des salariés n’étaient venus depuis y mettre fin. En conséquence de quoi, l’interdiction de faire se succéder deux réorganisations avant l’écoulement d’un délai de deux ans était toujours active.  

L’argument a fait mouche devant les juges du fond. Pour eux, le fait qu’aucune démarche de nature à informer les salariés ne soit venue mettre fin à cette pratique faisait que La Poste restait bel et bien soumise à la règle des deux ans.

Mais pas devant la Cour de cassation qui est venue rappeler qu’à la nette différence de l’usage qui se contente de photographier une pratique généralisée qui -dans l’entreprise- se répète, l'engagement unilatéral de l’employeur est issu d'une volonté explicite de l'employeur.

Et cette volonté explicite étant ici à durée déterminée, elle avait ipso facto cessé d’exister dès lors que l’employeur n’avait plus entendu la renouveler.  

A son terme, l’engagement unilatéral cesse sans sommation

La règle qui contraignait La Poste à laisser couler un délai de deux années entre deux projets impactant l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise était certes ancienne mais force est de constater qu’elle n’avait été édictée que pour un temps donné. Et les nombreux renouvellements dont ce temps avait fait l’objet ne changeaient en rien cet état de fait. Une fois qu’elle cessait d’être renouvelée, la règle devait cesser tout court. Sans même que le CHSCT n’ait à en être informé.

Mais attention, cela ne vaut que pour les engagements unilatéraux à durée déterminée.

Pour cesser, les engagements unilatéraux à durée indéterminé doivent, à l’instar des usages, faire l'objet d'une dénonciation auprès de l'ensemble des salariés concernés et d’une information des représentants du personnel, tout en veillant à respecter un délai de prévenance suffisant[1].

Par ailleurs, nous pourrions être légitimement en droit de nous interroger sur la portée réelle d’une telle décision dans une entreprise de 50 salariés et plus, dotée d’un CSE. Les textes précisent en effet que cette instance de représentation du personnel doit être consultée sur « les questions intéressant l'organisation la gestion et la marche générale de l'entreprise »[2].

Or, un employeur qui envisage de remettre en cause une règle qui -comme en l’espèce- limite les successions rapprochées de modifications des organisations du travail envisage aussi de prendre une décision susceptible d’impacter « l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ».

En ce sens, le CSE ne devrait-il pas être consulté ?

Face à une décision à ce point abrupte de la Cour de cassation, la question mérite à tout le moins d’être posée.

 

 

 

 

 

[1] Cass. soc., 25.02.88, n° 85-40.821.

[2] Art. L. 2312-8 II C. trav.

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