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Prévoyance : les clauses de codésignation censurées sur la forme

Publié le 04/01/2017

Suite à une saisine parlementaire portant sur la loi de financement de la Sécurité sociale,  le Conseil constitutionnel a censuré l’application des clauses de codésignation en matière de  prévoyance.  Le Conseil n’a toutefois invalidé ces clauses que sur la forme les qualifiant de cavalier social. Décision n° 2016-742 DC du 22.12.2016

Avant tout, une clause de désignation contenue dans un accord de branche confie à un ou plusieurs organismes assureurs la gestion du régime de protection sociale complémentaire (1) de tous les salariés et de toutes les entreprises de la branche concernée. Elle permet ainsi la mutualisation des risques au sein de la branche.

  • Historique des clauses de désignation

Initialement prévues dans la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 (2) par l’article L.912-1 du Code de la Sécurité sociale, ces clauses ont été déclarées inconstitutionnelles par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 13 juin 2013 (3). Cette décision d’inconstitutionnalité des clauses de désignation dans les accords collectifs n’était pas sans poser un problème d’application dans le temps, notamment sur la validité des accords et conventions collectives en cours, contenant de telles clauses.

C’est pourquoi, le Conseil Constitutionnel avait précisé dans cette même décision que la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L.912-1 du Code de la Sécurité sociale « n’était pas applicable aux contrats, pris sur le fondement de cette disposition, en cours lors de la publication de la décision et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances ». La décision du Conseil ne joue en effet que pour l’avenir. Il s’agissait de ne pas remettre en cause tous les contrats en cours.

En 2015, la Cour de cassation (4) s’est penchée sur la notion de « contrat en cours », énonçant que cette dernière englobait non seulement les contrats en cours conclus directement entre une entreprise et un organisme assureur, mais aussi les conventions ou accords collectifs contenant « une clause de désignation » en cours, à la date de publication de la décision du Conseil Constitutionnel.

Il fallait alors, pour l’avenir, trouver un moyen d’assurer une réelle mutualisation des risques au niveau de la branche jusqu’alors organisée par les désignations. Ce fut le cas de Dominique Libault (ancien Directeur de la Sécurité sociale) missionné par la Ministre Marisol Touraine en octobre 2014 pour « offrir un cadre stabilisé et solidaire pour la couverture complémentaire collective et obligatoire ». Ce dernier recommandait alors dans son rapport d’ « encadrer le recours à la codésignation afin d’en faire un levier de solidarité respectueux des exigences posées par le Conseil constitutionnel et l’Autorité de la concurrence »(5).

  • Le Conseil censure les clauses de codésignation sur la forme  

Le dernier acte en date de la saga judicaire des clauses de désignation est l’article 32, voté par l'Assemblée nationale le 29 novembre dernier, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Cet article met en place un mécanisme de codésignation pour les accords collectifs complémentaires d'entreprise en matière de prévoyance.

Saisi en vertu de l’article 61 de la constitution par des parlementaires,  les Sages de la rue Montpensier se sont notamment prononcés sur la constitutionnalité des clauses de codésignation.

C’est dans une décision du 23 décembre 2015 que le Conseil constitutionnel a censuré ces clauses au motif que « les dispositions (de l’article 32) ont un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement.  D’après ce dernier  « elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées au paragraphe V de l'article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale » et « dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la Sécurité sociale. A ce titre, elles sont contraires à la Constitution conclue la haute juridiction.

Autrement dit, les Sages estiment que les dispositions de l’article 32 n’entrent pas dans le domaine des lois de financement de la sécurité sociale et s’analysent donc comme un « cavalier social ». C’est bien sur la forme et non sur le fond que ces clauses ont été jugées contraire à la constitution.

Le terme cavalier social désigne un article de loi qui porte sur des mesures sans lien avec le sujet dont traite le projet ou la proposition de loi en cours de discussion.

Pour preuve, le Conseil a pris soin d’indiquer dans son communiqué de presse que sa censure ne portait que sur la forme.

La question du fond reste donc en suspens...

  • Le fond est-il pour autant inconstitutionnel ?

Selon certains auteurs,  la décision du Conseil constitue une victoire sur la forme. En effet, pour ces derniers, si un texte législatif spécifique était élaboré, le conseil ne critiquerait pas la possibilité de prévoir des clauses de codésignation (6).

Mal accueillie par nombre d’organisations syndicales, tant patronales que salariales, l’absence de ces clauses est perçue comme une atteinte à la mutualisation des risques et comme un  risque de compromettre la solidarité entre grandes et petites entreprises, pour les salariés en mauvaise et bonne santé.

Des voix se sont fait entendre et notamment celle de la CFDT, demandant au Gouvernement de rendre concrètes, dans le futur décret sur le haut degré de solidarité (7), les modalités qui pourront garantir plus de solidarité.

Un contrat de protection sociale complémentaire est dit de degré élevé de solidarité lorsqu’il propose notamment des prestations non directement contributives, des actions de prévention, des mesures d’action sociale. Inscrit au sein de l’article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale, ce principe est obligatoire lorsque la branche décide de recommander un ou plusieurs organismes assureurs aux entreprises. Il est toutefois facultatif pour les branches lorsqu’il n’y a pas de recommandation.



(1) Il s’agit des couvertures « ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne liés à la maternité ou des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ou du risque chômage » - Art.L.911-2 du Code de la Sécurité sociale

(2) LOI n°2013-504 du 14.06.13 relative à la sécurisation de l'emploi,

(3) Décision n°2013-672 DC du 13.06.13,

(4) Cass.soc.11.02.15, n°14-13538

(5) Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective de Dominique Libault – Septembre 2015.

(6) L’annulation par le Conseil constitutionnel du dispositif de la LFSS permettant la  codésignation d’assureurs pour gérer seuls un accord collectif de prévoyance de branche - Jacques Barthélemy

(7) Décret n°2014-1498 du 11.12.14