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Travail dominical : les zones commerciales perdent du terrain

Publié le 20/09/2017

Baisser de 1 million à 100 000 habitants le seuil permettant de définir une zone commerciale dans laquelle le travail dominical est possible est contraire aux conventions de l'OIT. Alors que la loi Macron du 6 août 2015 (1) s’était attelée à assouplir les dérogations au principe du repos dominical, le Conseil d’Etat vient de censurer l’un des critères fixés par décret, pour délimiter les zones commerciales. Celui-ci étant jugé trop large et insuffisamment justifié. Conseil d’Etat, 28.07.17, n° 394732.


 

  • Le contexte juridique

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a modifié le régime de dérogation au repos dominical existant alors à l’époque, en redéfinissant trois zones géographiques distinctes :
-  les zones touristiques internationales (ZTI), délimitées par le ministre du travail, du tourisme et du commerce, compte tenu du rayonnement international de ces zones, de l’affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et de l’importance de leurs achats (2) ;
-  les zones touristiques (ZT), délimitées par le préfet de région, caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes (3) ;
-  les zones commerciales (ZC), délimitées par le préfet de région, caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité d’une zone frontalière (4).

Un décret (5) est venu fixer les critères à prendre en compte pour qualifier chacune de ces zones.

 

  • Les critères fixés par le décret pour délimiter les zones commerciales

 

Ainsi, l’article R. 3132-20-1 du Code du travail, modifié par la Loi Macron, précise-t-il que pour être qualifiée de zone commerciale, celle-ci doit remplir les critères suivants (7) : 

 

- constituer un ensemble commercial d’une surface de vente totale supérieure à 20 000 m2 ;
- avoir un nombre annuel de clients supérieur à 2 millions ou être située dans une unité urbaine comptant une population supérieure à 100 000 habitants ; 
- être dotée d’infrastructures adaptées et être accessible par des moyens de transport individuels et collectifs.

 

Il faut rappeler que dans le cadre des modifications apportées à la règlementation relative au travail du dimanche, la loi Macron avait notamment remplacé les zones dites « Puce » (périmètres d’usage de consommation exceptionnelle) par les nouvelles zones commerciales. A l’inverse des zones touristiques, qui avaient finalement été peu impactées par la réforme, les nouvelles zones commerciales s’étendaient bien au-delà des périmètres définis jusque-là. En effet, alors qu’auparavant, une zone commerciale supposait une unité urbaine de 1 million d’habitants, les nouvelles zones commerciales pouvaient alors être qualifiées ainsi, dès lors qu’elles étaient situées dans une unité urbaine de 100 000 habitants.

 

Plusieurs syndicats et unions syndicales ont saisi le Conseil d’Etat afin de faire annuler ce décret. Ils contestent d’une part, la procédure d’adoption de ce texte, et d'autre part, les critères retenus pour délimiter ces zones, qu’ils jugent non conformes aux articles 6 et 7 de la Convention internationale du travail n°106 sur le repos hebdomadaire.

 

Les articles 6 et 7 de la convention OIT n° 106 imposent aux Etats qui l’ont ratifiée d’organiser une période de repos hebdomadaire de 24 h coïncidant avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages. Ces articles encadrent par ailleurs les dérogations qui peuvent être faites à ce principe selon divers critères (6) et compte tenu de toute considération sociale ou économique pertinente.

Le Conseil d’Etat a jugé bien fondées les critiques visant les critères retenus pour définir les zones commerciales, un plus spécifiquement.

  • Un critère jugé trop large et injustifié par le Conseil d’Etat

Pour le Conseil d'Etat, c'est le second critère qui pose problème, et notamment la possibilité de prendre en compte les zones situées dans une unité urbaine comptant une population supérieure à 100 000 habitants. 

Il considère en effet qu’en prévoyant qu’une zone puisse être qualifiée de zone commerciale, au sein de laquelle les établissements de vente au détail peuvent déroger au principe du repos dominical, dès lors qu’un ensemble commercial supérieur à une certaine superficie, doté des infrastructures adaptées et accessible par les moyens de transport est situé dans une unité urbaine de plus de 100 000 habitants : "les dispositions du décret ont permis que le nouveau régime puisse s’appliquer dans 61 unités urbaines, ce qui représente près de 30 millions d’habitants". Or ce seuil de 100 000 habitants est beaucoup trop large !

Pour sa défense, le législateur avance que le régime qu’il a créé répond aux nouvelles pratiques des consommateurs dans les grandes unités urbaines « soucieux de pouvoir étaler leurs achats tant sur le samedi que le dimanche, compte tenu notamment de l’importance des temps de déplacement durant la semaine ».

Le Conseil d’Etat ne voit pas les choses ainsi : il ajoute que les pièces du dossier n’ont pas permis de démontrer qu’il existait un tel besoin dans les unités en question, que le seuil retenu ne permettait pas de définir un régime justifié par l’importance de la population à desservir, et qu’il ne répondait donc pas à des considérations sociales ou économiques pertinentes telles que l’exige l’article 7 de la convention internationale pour pouvoir déroger à la règle du repos dominical.

Les dispositions du décret faisant référence au seuil de 100 000 habitants n’étant pas conformes à la convention internationale du travail n° 106, le Conseil d'Etat supprime cette partie du décret (8), mais seulement celle-là.

Désormais, outre les critères portant sur la surface de vente minimale, les infrastructures et les modes de transport, le préfet de région ne pourra qualifier une zone commerciale qu’à partir du moment où elle compte un nombre annuel de clients supérieur à 2 millions.

  • Une décision bienvenue

 La décision rendue par le Conseil d’Etat nous apparaît donc des plus heureuses. Elle vient contrebalancer et limiter l’extension des dérogations à la règle du repos dominical largement consacrée par la loi Macron du 6 août 2015.

 

A l’époque déjà, la CFDT avait vivement critiqué cet abaissement significatif du seuil de densité urbaine nécessaire à définir une zone commerciale. Qui plus est, le décret prévoyait (et prévoit toujours) des seuils spécifiques, revus à la baisse pour les zones frontalières, plus spécifiquement lorsque la zone se trouve à moins de 30 km d’une offre concurrente située sur le territoire d’un Etat limitrophe.

 

 



(1)  Loi n°2015-990 du 06.08.15 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
(2) Art L.3132-24 C.trav.
(3) Art L.3132-25 C.trav.
(4) Art L.3132-25-1 C.trav.
(5) Décret n°2015-1173 du 23.09.15, art. R.3132-20-1 C.trav.
(6)  Les critères sont les suivants : la nature du travail accompli, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir et le nombre des personnes employées.
(7) Le décret apporte également des précisions en ce qui concerne les zones frontalières : «  Lorsque la zone est située à moins de 30 kilomètres d'une offre concurrente située sur le territoire d'un Etat limitrophe, les valeurs applicables au titre des critères de surface de vente et de nombre annuel de clients énoncés respectivement au 1° et au 2° du I sont de 2 000 m2 et de 200 000 clients ».
(8) La partie suivante de l’article R.3132-20-1 du Code du travail est supprimée : « ou être située dans une unité urbaine comptant une population supérieure à 100 000 habitants ».