Tracts syndicaux : Attention à la diffamation… et aux atteintes à la vie privée !

Publié le 17/04/2024

Un militant gravement dénigré à plusieurs reprises dans les tracts d’une organisation syndicale concurrente décide de saisir la justice pour faire reconnaitre un harcèlement moral et l’atteinte à sa vie privée. S’il est admis un droit à « la polémique syndicale » autorisant des excès de langage, notamment lors d’une campagne électorale, tous les coups ne sont pas permis comme le rappelle, à juste titre, la Cour de cassation. Cass. Soc. 20.03.24, n°22-19.153.

Les faits et la procédure

Un militant CFDT est victime de publications et tracts émanant de la CGT faisant un lien entre la signature d’accords collectifs en défaveur des salariés et l’attribution par l’employeur, en récompense,  d’emplois fictifs et d’augmentations de salaires substantielles. Sur un des tracts, les bulletins de paie du militant sont partiellement reproduits avec la légende suivante : ''Notre délégué syndical CFDT a ainsi vu sa rémunération mensuelle brute progresser de 84,42 % en 9 ans ».

Le militant porte l’affaire devant le tribunal judicaire pour obtenir réparation au titre d’un harcèlement moral et d’une atteinte à sa vie privée. Il obtient partiellement gain de cause devant la Cour d’appel : si l’atteinte à la vie privée est retenue par les juges du fond, ceux-ci refusent de lui allouer des dommages-intérêts estimant qu’il n’avait pas démontré son préjudice.

Les deux parties au procès se sont pourvues en cassation, sur la recevabilité de l’action pour la CGT et en raison de l’absence de dommages-intérêts pour la CFDT.

Le contenu d’un tract peut-il être sanctionné exclusivement au titre de la diffamation ?

Au soutien de son pourvoi en cassation, la CGT argumente sur l’impossibilité de saisir la justice pour d’autres motifs que ceux tirés d’une violation du droit de la presse.

Le Code du travail précise effectivement à l’article L. 2142-5 que « le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l'organisation syndicale, sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse. »

Ainsi, seules seraient recevables les actions en justice visant principalement la diffamation, l’injure, la provocation aux crimes et délits, ou encore la publication de fausses nouvelles[1]. La Cour de cassation a donc dû trancher la question de savoir si un tract pouvait être attaqué en ce qu’il constitue un harcèlement moral ou une atteinte a la vie privée.

Le grief du harcèlement moral jugé irrecevable

La Cour d’appel avait estimé recevable l’action au titre du harcèlement et de l’atteinte à la vie privée en estimant que si « toute diffamation constitue une atteinte à la vie privée et cause un préjudice à celui qui en est la victime, toute atteinte à la vie privée ne constitue pas nécessairement une diffamation. ». De plus, selon la Cour d’appel, le militant pouvait invoquer le grief distinct du harcèlement moral sans être contraint de viser dans la saisine du tribunal le chef de diffamation ni d’accomplir les formalités procédurales strictes pour cette action[2].

Cette solution est censurée par la Cour de cassation qui vient en quelque sorte requalifier les agissements subis par le militant comme des faits de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa réputation, autrement dit de la diffamation[3]. L’action en justice n’était donc pas recevable à ce titre. Cela fait échec à une possibilité de contournement du régime des infractions au droit de la presse, la décision de la Cour de cassation empêchant une action au titre d’un harcèlement moral qui se prescrit dans des délais beaucoup plus long que la diffamation (5 ans contre un délai de 3 mois pour la diffamation...)

La Cour de cassation a directement statué au fond sur ce point sans renvoyer le litige devant une autre Cour d’appel. Elle déclare l’assignation nulle en ce qu’elle vise expressément l’article L.1152-1 du Code du travail sur le harcèlement moral et non expressément l’infraction de diffamation.   

Restait la question de savoir si l’atteinte à la vie privée était recevable en raison des éléments contenus dans le tract.

Un tract syndical peut porter atteinte à la vie privée

La Cour de cassation vient confirmer la recevabilité de l’action au titre de l’atteinte à la vie privée protégé par l’article 9 du Code civil. La décision des juges du fond est ainsi validée sur ce point et cela semble logique. La demande visait bien un préjudice propre tiré de la reproduction d’un élément relevant de la vie privée sans l’accord de l’intéressé.

L’arrêt de la cour d’appel est toutefois censuré, la Haute Cour considérant que la seule constatation d’une atteinte à la vie privée ouvre droit à une indemnisation. La solution sur ce point n’est pas nouvelle, elle reste néanmoins bienvenue dans ce contexte très particulier. En  effet, il est assez évident que la publication des bulletins de paye du syndicaliste associé au contenu du tract portait nécessairement préjudice à son image et à sa réputation.  

Cette décision est évidemment transposable aux tracts des organisations syndicales lorsqu’ils veulent dénoncer les salaires des dirigeants de l’entreprise. Il faut donc garder à l’esprit que le syndicat risque d’être redevable de dommages-intérêts lorsque les tracts où les publications syndicales contiennent des éléments relevant de la vie privée.

 

 

[1] Infractions visées au chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 intitulé « des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ».

[2] Sans rentrer dans les détails, la liberté d’expression est aussi protégée par des formalités strictes à respecter en termes de délais pour agir, de signification au Ministère public ou de visas précis même quand l’action est engagée devant les juridictions civiles.

[3] « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation (…) » – Art 29 de la loi du 29.07.81 sur la liberté de la presse.

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