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Transfert du contrat de travail : pas d’action autonome des syndicats

Publié le 27/09/2017

Un syndicat ne peut se fonder sur l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession pour demander seul en justice  l’application de la règle de transfert des contrats de travail. L’action en revendication du transfert d’un contrat de travail est un droit « exclusivement attaché à la personne du salarié ». Cass.soc.12.07.17, n°16-10460.

  • Faits, procédure et prétentions

La société gérant le centre de tri et d’aiguillage de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle avait confié la sécurisation de son site à une autre société.

 En 2014, elle a mis fin au contrat avec elle pour confier le marché à une nouvelle société, qui n’a décidé de reprendre qu’une partie des salariés (23 sur 84).

C’est pourquoi, une fédération syndicale a décidé saisir le tribunal de grande instance pour voir dire qu’il y aurait dû y avoir  transfert de tous les contrats de travail, les conditions de l’article L.1224-1 étant réunies. A l’appui de son action, la fédération syndicale se prévalait de l’article L.2132-3 du Code du travail qui accorde aux syndicats un droit d’agir en défense de l’intérêt collectif de la profession.

La cour d’appel accueille la demande et déclare l’action en défense de l’intérêt collectif recevable dans la mesure où la violation de l’article L.1224-1 du Code du travail (qui pose la règle de maintien des contrats de travail en cas de transferts)  porte atteinte à l’intérêt collectif des salariés concernés.

Contestant la recevabilité de l’action en justice de la fédération syndicale, la société a formé un pourvoi en cassation.

Un syndicat dispose de 3 types d’action en justice.
Tout d’abord, le syndicat - qui a la personnalité civile - dispose d’une action en défense de ses intérêts propres (en cas d’atteinte à son patrimoine ou de litige sur sa représentativité par exemple).
Ensuite, un syndicat peut aussi agir en défense de l’intérêt collectif de la profession, lorsqu’une disposition légale ou conventionnelle intéressant l’ensemble des salariés a été violée. Ainsi peut-il intenter une action en défense de l’intérêt collectif en cas d’accident du travail consécutif à la violation d’une norme de sécurité, ou de non-respect des dispositions de la convention collective.
Enfin, le syndicat peut, dans certains cas limitativement énumérés par le Code, agir en substitution, c’est-à-dire exercer une action individuelle pour le compte du salarié, à condition que celui-ci en ait été informé et ne s’y soit pas opposé. Par exemple, le syndicat peut agir en substitution d’un travailleur étranger, d’un salarié victime de discrimination, d’un travailleur à domicile, ou encore exercer l’action en justice née au profit de ses membres d’une convention collective à laquelle il est partie.

 

  • L’action en défense de l’intérêt collectif inféodée à l’intérêt individuel

La Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante : un syndicat peut-il agir en justice pour demander le transfert des contrats de travail des salariés ?  Répondre par l’affirmative suppose au préalable de reconnaître l’existence d’une atteinte à l’intérêt collectif de la profession du fait de la non-reprise des salariés, en violation de l’article L.1224-1 du Code du travail.

De manière générale, l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession est admise dès lors qu’il y a violation d’une règle légale ou d’une disposition conventionnelle. Les juges retiennent une acception large de l’atteinte à l’intérêt collectif. A quelques exceptions près. Comme par exemple, la demande en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, droit réservé à la personne qui se prévaut de la qualité de salarié (1).

En l’espèce d’ailleurs, la Haute juridiction admet que « la violation des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail (...) porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession ». Pour autant, elle ne reconnaît pas le droit du syndicat d’intenter l’action en défense de l’intérêt collectif de manière autonome.

En effet, selon la Cour de cassation, si « l’intervention de ce dernier [du syndicat] au côté du salarié à l’occasion d’un litige portant sur l’applicabilité du texte est recevable, l’action en revendication du transfert d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié».

Autrement dit, le seul fait qu’il y ait une atteinte à l’intérêt collectif de la profession ne conduit pas à la reconnaissance d’une action autonome du syndicat, en dehors de toute action des salariés. Le syndicat peut intervenir volontairement lors d’une action intentée par le salarié, mais il ne peut agir seul, ce qui est assez singulier en matière d’action en défense de l’intérêt collectif de la profession.

  • Une solution classique mais évitable

La solution n’est pas nouvelle (2) et s’explique aisément. Il faut avoir à l’esprit que le droit (et les sujétions) qu’entraîne la reconnaissance ou le maintien d’un contrat de travail est « un droit exclusivement attaché à la personne », c’est-à-dire que seul le salarié peut le revendiquer. Il faut  véritablement que le travailleur exprime sa volonté de manière individuelle pour revendiquer le maintien de son contrat de travail, comme pour le conclure.

D’autant plus qu’une fois reconnu que les conditions du transfert d’une entité économique sont réunies, le salarié ne pourra pas refuser le transfert de son contrat de travail. Ce transfert s’impose à lui dès lors que les conditions de l’article L.1224-1 du Code du travail sont réunies (au contraire, les transferts conventionnels supposent l’accord du salarié).

La solution de la Cour de cassation est donc tout à fait logique. Et pourtant, il est bien regrettable que les syndicats ne puissent agir en justice. En particulier lorsque la règle de maintien des contrats de travail est instrumentalisée par les employeurs et que les salariés sont transférés au sein d’entités juridiques qui s’avèrent être des coquilles vides, sans statut collectif, et qu'ils se retrouvent sans droits conventionnels (ou presque).

En effet, le salarié lui-même ne peut agir de façon préventive, comme le pourrait un syndicat devant le tribunal de grande instance...

Une solution simple consisterait à reconnaître aux salariés un droit au refus du maintien de leur contrat de travail, à l’instar, notamment, du droit allemand. A cette condition préalable, une action autonome du syndicat pour voir dire que les contrats de travail doivent être maintenus pourrait prospérer sur le fondement de la défense de l’intérêt collectif de la profession. Ainsi, une articulation constructive des intérêts collectifs et individuels pourrait se faire jour.

(1) Cass.soc.23.01.08, n°05-16492.

(2) Cass.soc.11.09.12, n°11-22014, Droit social 2012.1065, note A. Mazeaud.