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Travailleurs détachés : le respect des règles sur l'intérim s'impose aussi !

Publié le 19/04/2017

Dans un arrêt du 28 mars dernier, la Cour de cassation est venue condamner une entreprise de travaux publics pour avoir méconnu les règles protectrices de droit du travail applicables aux salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire établie hors de France. Une telle fraude à la loi a conduit la Haute Cour à qualifier l’opération litigieuse de marchandage et de prêt de main d’œuvre illicite. Cass.soc.28.03.17, n°15-84795.

Le détachement de travailleur intérimaire constitue un des cas de détachement défini par le droit de l’Union européenne et par le droit français (1). Ainsi, le Code du travail français autorise-t-il un employeur établi régulièrement hors de France à détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. Le droit français prévoit le détachement dans 4 cas :
- le détachement pour le compte de l’employeur dans le cadre d’une prestation de service;
- le détachement intragroupe ;
- le détachement pour le compte propre de l’employeur ;
- le détachement intérimaire.

  •  Les faits

Une société de travaux publics française (l’entreprise utilisatrice) a conclu divers contrats en vertu desquels des travailleurs détachés ont été mis à disposition de cette entreprise utilisatrice, par une société d’intérim établie en Pologne (l’entreprise de travail temporaire). Durant le détachement, l’entreprise utilisatrice a manqué au respect de certaines règles de droit français relatives au travail temporaire. En effet, certains contrats ont été renouvelés plusieurs fois sans systématiquement respecter les délais de carence entre deux missions, ce qui a conduit à pourvoir durablement à des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Suite à un procès-verbal de l’inspecteur du travail faisant état de nombreuses irrégularités relatives au travail temporaire, la société de travaux publics ainsi que son directeur ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour marchandage, prêt de main d’œuvre illicite et infraction à la législation sur le travail temporaire. Saisie ensuite de l’affaire, la cour d’appel a retenu la qualification de ces deux délits. La société de travaux publics et son directeur ont alors formé un pourvoi en cassation pour faire valoir différents arguments, parmi lesquels :

- les dispositions du Code du travail incriminant le marchandage et le prêt illicite de main-d’œuvre ne s’appliquent pas aux opérations de détachement temporaire de salariés par une entreprise établie hors de France, lesquelles relèvent de règles spécifiques ;

- de plus, le délit de marchandage et le délit de prêt de main d’œuvre illicite correspondent à une infraction intentionnelle qui « suppose la connaissance du caractère illicite de l’opération et la volonté d’agir malgré tout ». Or, l’entreprise utilisatrice soutient qu’elle avait pris conseil auprès d’un cabinet d’avocats  pour « s’assurer de la licéité de l’opération de détachement temporaire de salariés polonais » par la société d’intérim polonaise.

La question qui se pose dès lors à la Cour de cassation consiste à savoir si la législation relative au travail temporaire s’applique au cas de détachement temporaire de salariés par une entreprise établie hors de France et si en conséquence, les délits de marchandage et de prêt de main d’œuvre illicite sont caractérisés.

  • Une égalité de traitement entre les salariés intérimaires français et détachés

Dans le cadre du détachement et notamment du détachement intérimaire, le Code du travail, (qui transpose les règles de la directive de 1996) fixe « un noyau dur » de règles applicables aux travailleurs détachés. Ainsi, quand bien même le salarié détaché temporairement demeure lié, par son contrat de travail, à son employeur d’origine (dans le cas présent un employeur polonais), ce dernier est soumis aux dispositions légales et conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France(2). Ces règles applicables concernent notamment :

- le salaire minimum, y compris les majorations pour les heures supplémentaires, ainsi que les accessoires de salaire légalement ou conventionnellement fixés ;

- la durée du travail, les repos compensateurs, les jours fériés, les congés annuels payés, le travail de nuit ;

- la santé et sécurité au travail ;

- le travail illégal.

En outre, s’agissant plus particulièrement du détachement d’intérim, il est prévu que l’intégralité des dispositions relatives au travail temporaire est applicable aux salariés détachés dans le cadre d’une mise à disposition au titre du travail temporaire (3). Parmi ces dispositions figure la règle selon laquelle « le contrat de mission […] ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice »(4).

Dès lors, le non-respect de ces règles peut être sanctionné pénalement.

  • Le travail illégal reconnu

La chambre criminelle de la Cour de cassation tout en écartant les arguments de l’entreprise utilisatrice et de son directeur a retenu que « l’opération de prêt de main d’œuvre litigieuse, qui a permis de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, a relevé d’une fraude à la loi sur le travail temporaire ayant eu pour effet d’éluder l’application des dispositions protectrices relatives au contrat de travail ». En conséquence, la Cour de cassation en déduit « d’une part, le caractère lucratif de l’opération, d’autre part, le préjudice causé aux salariés concernés ».

  • Dans la logique de la loi Travail…

Le non-respect des règles liées au travail temporaire est donc redoutable pour l’entreprise utilisatrice. Sur ce point, la loi Travail de 2016 est d’ailleurs venu renforcer le cadre du détachement d’intérim en prévoyant, dans la partie législative du Code du travail (et non simplement réglementaire), une égalité de traitement entre les salariés intérimaires français et les salariés intérimaires détachés.

La loi Travail oblige dorénavant l’entreprise utilisatrice établie hors de France qui, pour exercer son activité sur le territoire national, a recours à des salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire également établie hors de France, à envoyer à l’inspection du travail une déclaration attestant la connaissance du détachement de son salarié sur le territoire français ainsi que des règles qui accompagnent ce statut (5). A défaut d’effectuer la déclaration, l’entreprise utilisatrice étrangère est passible d’une amende administrative de 2 000 € par salarié détaché concerné, plafonnée à 500 000 euros (6).



(1) Art. 13 de la Directive 96/71 et art.L.1262-1 et L.1262-2 C.trav. (pour le détachement intérimaire).
(2) Art. L.1262-4 C.trav.
(3) Art. L.1262-2 C.trav.
(4) Art. L.1251-5 C.trav.
(5) Art. L.1262-2-1 C.trav.
(6) Art. L.1264-1 C.trav.