Retour

Prison et droit du travail : un débat loin d’être clos

Publié le 19/06/2013
La décision que le Conseil constitutionnel a rendue le 14 juin dernier n’a pas été le coup de tonnerre attendu. Certes, l’exclusion des détenus du champ du salariat a été jugée conforme à notre Loi fondamentale. Faut-il, pour autant, considérer que le débat est clos ? Rien n’est moins sûr…

Depuis le début de l’année, le travail en prison est sous les feux de l’actualité juridique. En cause ? L’article 717-3 du Code de procédure pénale selon lequel « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail ». Une disposition qui viendrait percuter les principes fondamentaux de la République. Deux juridictions se sont penchées sur la question, deux décisions contradictoires, en apparence, ont été rendues.

La loi, conforme à la Constitution

La QPC, jugée le 14 juin dernier par le Conseil constitutionnel est partie du Conseil de prud’hommes de Metz, qui a transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que l’on pourrait résumer ainsi : l’article 717-3 du CPP est-il compatible avec le droit constitutionnellement reconnu d’être respecté dans sa dignité, d’obtenir un emploi et de bénéficier de conditions de travail décentes ? Présentant un « caractère sérieux », la QPC a été transmise au Conseil constitutionnel.

La décision des sages conclut à la conformité à la Constitution de l’article 717-3 de CPP, en tant qu’il « ne méconnaît pas le principe d'égalité ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». En effet, selon le Conseil constitutionnel, la personne détenue « nonobstant l'absence de contrat de travail » bénéficie d’une protection prévue par la Loi pénitentiaire et reprise en partie dans le Code de procédure pénale :[1]

- Le travail et la formation sont, pour les personnes détenues, des « gages de réinsertion » et « de bonne conduite »,

- Toute disposition doit être prise afin de fournir, à toute personne détenue qui en fait la demande, une formation et un emploi,

- Des garanties minimales de rémunération indexées sur le SMIC leur sont réglementairement applicables,

- L’accès à un travail génère la signature entre la personne détenue et l’administration pénitentiaire d’un « acte d’engagement » qui se doit de décrire « le poste de travail » et de préciser, notamment, « le régime de travail, les horaires de travail, les missions principales à réaliser, et le cas échéant, les risques particuliers liés au poste ».

- L’administration est légalement au « respect de la dignité et des droits » des personnes détenues.

Par conséquent, dans la mesure où le cadre légal garantit un certain nombre de droits pour la personne détenue qui travaille, le simple fait qu’elle ne soit pas liée par un contrat de travail stricto sensu ne suffit pas à rendre l’article 717-3 de CPP contraire à la Constitution.

Oui mais, le Conseil constitutionnel est loin d’être le seul juge concerné par la question, le juge judiciaire a, lui aussi, été saisi de la question, avec une décision toute autre.

Le statut de salariée reconnu à une détenue.

Le Conseil de prud’hommes (CPH) de Paris a rendu, le 8 février 2013, un jugement retentissant dans une affaire qui opposait une travailleuse détenue dans un Centre pénitentiaire à la société MKT Sociétal. Mise à disposition par l’administration pénitentiaire, dans le cadre d’une « concession de main-d’œuvre pénale », cette travailleuse détenue exerçait, entre les murs de la prison, et pour le compte de la société, comme « télé-opératrice ».

Les juges prud’homaux avaient donné gain de cause à la détenue en écartant l’application du texte litigieux contraire, selon eux, à diverses sources internationales, notamment l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (qui consacre l’interdiction de la discrimination) et avec l’article 7 du Pacte international des Nations unies qui reconnaît « à toute personne le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables qui assurent notamment (…) un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune ».

Par conséquent, la travailleuse détenue s’était vue reconnaître un statut de salariée, au regard des textes internationaux, supérieurs à la loi française.

Des décisions contradictoires?

À l’heure actuelle, le statut des personnes détenues, à la marge du droit du travail, a été reconnu non conforme aux engagements internationaux de la France, mais conforme à la Constitution. Reste à attendre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, suite au jugement de CPH, et surtout la décision de la Cour de cassation qui suivra.

Notons enfin, pour corser encore un peu la donne, que le tribunal des conflits a, lui aussi, été saisi, le 5 avril dernier, par le Conseil d’État dans une affaire dans laquelle une personne détenue agissait en indemnisation contre l’État et une société privée. Ceci, afin de pouvoir déterminer si c’est à la juridiction administrative ou judiciaire de trancher l’affaire. Difficile de dire vers quelle solution penchera le TC.

 


[1] Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.