Retour

Discipline : bousculer n'est pas harceler

Publié le 18/11/2015

Les relations de travail ne sont pas toujours un long fleuve tranquille et les tensions entre collègues peuvent parfois rapidement dégénérer en véritable conflit. Dans quelle mesure passe-t-on de simples relations conflictuelles  entre collègues à un harcèlement moral exercé par l’un sur l’autre? Dans un arrêt récent, la Cour de cassation précise que la qualification de harcèlement suppose que la responsabilité de chacun des acteurs soit clairement établie. Cass. soc.04.11.15, n°14-12281.

  • Les faits et la procédure

Embauchée en  qualité d’infirmière en 1994, la salariée (Mme X) est licenciée en 2010 pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement. Jusqu’ici l’affaire paraît simple. Sauf que la salariée considère que  la dégradation de son état de santé ayant entraîné l’inaptitude est en réalité due au harcèlement moral dont elle est victime depuis quelques années par l’un de ses collègues (Mr Y). Arguments à l’appui, elle décide donc de saisir la juridiction prud’homale afin d’obtenir notamment l’annulation de son licenciement.

Selon elle, tout a commencé en 2008 lorsque son collègue, responsable technique et sans aucun lien hiérarchique avec elle, a rectifié ses fiches horaires, outrepassant ainsi ses pouvoirs. Puis, en 2009, ce dernier l’aurait, à deux reprises, brutalement bousculé. Et pour finir, en 2010, après avoir surpris Mr Y dans le bureau du gestionnaire de l’établissement et, pensant qu’il continuait ainsi à « exercer une surveillance », elle en avait informé le gestionnaire. Très affecté par les allégations qu’il jugeait fausses, Mr Y avait alors, de colère, rédigé une note destinée à être diffusée et dans laquelle il  relatait avoir été injustement accusé par la salariée.  De là, une altercation verbale eue lieu entre les salariés.

Pour Mme X, l’ensemble de ces faits matériels suffisent à caractériser le harcèlement. Elle rappelle, par ailleurs que malgré les courriers de dénonciations transmis  à l’inspection du travail et à son employeur,  celui-ci n’avait pas pris les mesures nécessaires à faire cesser les actes, manquant ainsi à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu en matière de harcèlement.

Pourtant, les juges du fond ne suivent pas ce raisonnement. Certes ils reconnaissent la matérialité des trois incidents, mais ils refusent d’admettre l’existence d’un harcèlement.

Dans son arrêt du 4 novembre 2015, la Cour de cassation suit l’analyse de la Cour d’appel : « qu’ayant relevé que l’intéressée n’avait de lien hiérarchique et aucune fonction commune avec son collègue et qu’il n’était pas possible d’imputer la responsabilité de ces incidents à l’un plus qu’à l’autre salarié, elle a estimé que l’employeur démontrait que ces agissements n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement »

La Cour de cassation a ainsi dû se prononcer sur 2 points : le harcèlement entre collègues était-il caractérisé? L’employeur a-t-il respecté ses obligations ?

 Le harcèlement moral se définit comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel(1).

  • La responsabilité du harcèlement

Si la jurisprudence admet depuis quelques années que l’auteur du harcèlement puisse être un collègue ou un subordonné(2), encore faut-il que la responsabilité de celui-ci soit clairement établie.
 En l’espèce, les incidents invoqués par Mme X invoque semblent de premier abord incriminer le salarié visé. Pourtant, en y regardant de plus près, tout n’est pas aussi tranché. Certes, le collègue a modifié les fiches de pointage de la salariée, mais il a immédiatement reconnu ses torts et a été rappelé à l’ordre par l’employeur. Quant à la bousculade, le collègue  a une toute autre version : la salariée s’était en réalité opposée à son passage alors qu’il portait dans chaque main un bidon de 10 litres… Pour finir, il apparaît que la note que le salarié avait rédigée en vue de dénoncer les accusations calomnieuses de Mme X, qui l’avaient de surcroît profondément blessé, avait finalement été remise à la direction sans être diffusée. La  salariée étant ainsi dans l’incapacité de la produire aux débats.

 La preuve d’actes d’harcèlement est toujours délicate car ces actes sont emprunts d’une grande subjectivité de la part des salariés. Ainsi, le salarié doit établir des faits « précis et concordants » permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, mais pas nécessairement que ces faits sont constitutifs de harcèlement.  Tenant compte de ces éléments, le juge doit dire s’il y a présomption de harcèlement ou non. Si c’est le cas, il appartient alors à l’employeur d’apporter la preuve contraire, en démontrant que les faits peuvent s’expliquer par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Au vu de l’ensemble de ces éléments, le juge se prononce sur l’existence ou non de harcèlement et sur l’éventuelle responsabilité de l’employeur.

A l’examen approfondi de ces 3 incidents, la Cour d’appel, reconnaissant la matérialité des faits invoqués, considère que les éléments produits  par la salariée ne sont pas de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans la mesure où chacun se déclare victime de l’autre, il est impossible d’imputer la responsabilité à l’un plus qu’à l’autre. Pour les juges du fond, il ne s’agit donc que de simples relations conflictuelles entre deux salariés et non d’un cas de harcèlement moral.

  • L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur

« L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral » précise l’article L. 1152-4 du Code du travail. En matière de harcèlement moral ou sexuel, l’employeur a donc une obligation de sécurité dite de résultat au titre de laquelle il doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement. Il manque à cette obligation dès qu’un salarié est victime de ces faits, quand bien même il prend les mesures nécessaires pour y remédier aussitôt qu’il en a connaissance(3).

C’est le manquement à cette obligation de sécurité de résultat qu’invoque la salariée en l’espèce. Elle rappelle en effet avoir dénoncé à plusieurs reprises les faits à son employeur ainsi qu’à l’inspection du travail. Cette dernière a de surcroît transmis une lettre d’observation à l’employeur dans laquelle elle indiquait que les mesures prises n’apparaissaient pas pertinentes et appropriées à la situation évoquée.

Pour autant, la Cour d’appel n’est pas du même avis. Elle considère au contraire que l’employeur a pris « les mesures nécessaires pour apaiser une situation difficilement gérable ». Il avait notamment immédiatement rappelé le salarié à l’ordre lors du 1er incident, lui avait ensuite demandé de ne pas entrer en contact avec la salariée, il a également eu recours à la médecine du travail afin d’obtenir des conseils dans la gestion du conflit. Bref, l’ensemble de ces mesures étaient suffisantes à gérer une situation qui de toute façon ne relevait pas d’un harcèlement moral mais d’une simple relation conflictuelle entre deux collègues. Ce que confirme la Cour de cassation.

La qualification de harcèlement moral entre collègues, au même titre que celui invoqué dans le cadre d’un rapport hiérarchique n’est donc pas plus aisée à établir. Tout dépend des circonstances et notamment du comportement de chacune des personnes concernées, qu’il s’agisse du présumé harceleur, de la présumée victime ou de l’employeur. La responsabilité des actes doit pouvoir être nettement imputée.


(1) Art. L. 1152-1 C. trav.

(2) Cass.crim.06.12.11, n°10-82266.

(3) Cass.soc.03.02.10, n° 08-44019.