Retour

« RSA : il faut retrouver le sens du droit »

Publié le 02/02/2023

Sociologue spécialiste des questions de pauvreté, Nicolas Duvoux* voit dans la réforme annoncée du RSA l’aboutissement d’un discours politique qui tend à rendre responsables de leur situation les allocataires des prestations sociales. À rebours, il prône une logique de droit et un accompagnement des allocataires dans toutes les dimensions de leur existence – garde d’enfants, santé, logement, souffrance psychique, etc.

Dans son programme, le président de la République indique vouloir
réformer à nouveau le RSA, enconditionnant CFDT mag 490 - Février 2023son versement à quinze ou vingt heures hebdomadaires de travail, de formation ou d’activité d’insertion. Pensez-vous que réformer encore une fois cette prestation sociale était
une priorité ?

Le RSA comporte deux volets. Un volet prestation et un volet insertion. La priorité, à mon sens, est de revaloriser le montant du RSA socle, qui a décroché par rapport au Smic. Les associations sont unanimes à ce sujet. Quand le RMI (l’ancêtre du RSA) a été créé, en 1988, il représentait 80 % du salaire minimum net. Aujourd’hui, nous en sommes à 45 %. Le montant du RSA est trop faible pour subvenir aux besoins des allocataires. Ces derniers sont souvent obligés d’avoir recours à d’autres aides pour survivre, comme les banques alimentaires.

À l’exception de 2013 à 2017, années où il a connu un coup de pouce, le RSA n’a cessé de se déprécier au profit d’autres prestations favorisant les personnes qui travaillent, notamment la prime d’activité, qui s’est imposée comme un maillon central du dispositif de redistribution monétaire en France.

 

Depuis le début des années 2000, on assiste à un renversement de la dette sociale. On parle moins de la dette de la société envers les pauvres, comme en 1988, et bien plus de la dette des pauvres vis-à-vis de la société..

Comment expliquer un tel décrochage ?

  Depuis la création du RMI, il y a des débats sur son montant et sur la nécessité de le différencier des revenus du travail. Cela pose la question de l’acceptation sociale de cette prestation et de sa nature. Sur la dimension accompagnement, les termes parlent d’eux-mêmes. Avec le RMI, il était question d’insertion dans une approche plurielle ou multidimensionnelle. Puis, avec le RSA, on resserre la focale sur le travail, sur la reprise d’emploi avec, progressivement, la recherche de contreparties. Cette dérive ne date pas d’hier. Dès les années 2000, les politiques insistent sur la responsabilisation des allocataires des minima sociaux.

La réforme annoncée est, en quelque sorte, l’aboutissement de ce mouvement idéologique. Depuis le début des années 2000, on assiste à un renversement de la dette sociale. On parle moins de la dette de la société envers les pauvres, comme en 1988, et bien plus de la dette des pauvres vis-à-vis de la société. Ces derniers sont sommés de rendre des comptes, et les sanctions se multiplient. Le risque est que, en s’appuyant sur la réforme, certains territoires cherchent à accentuer la pression sur des allocataires à qui on fait déjà porter une responsabilité disproportionnée dans leur situation.

Pour justifier cette réforme, le gouvernement pointe la faible efficacité du RSA… n’est-ce pas une réalité ?

  Les prestations sociales versées ont une efficacité en matière de lutte contre la pauvreté, c’est indéniable. On se souvient de la polémique créée par la phrase du Président sur le « pognon de dingue » que l’on verse au titre de la solidarité, mais il faut rappeler que ce « pognon » fait baisser le taux de pauvreté de 8 % dans notre pays.

Il est difficile d’évaluer l’efficacité d’une prestation sociale. Cela ne peut se résumer à un taux d’insertion sur le marché du travail. Il y a des bénéfices en matière de santé, d’accès aux droits, de relations familiales, etc. Évaluer le volet accompagnement est difficile car il s’agit de politiques décentralisées. Il y a, enfin, de fortes disparités territoriales, en termes de volumes d’investissement comme de logiques d’accompagnement. Le RSA est considéré en soi comme s’il portait sa propre dynamique, alors que le nombre d’allocataires dépend de la conjoncture, de l’indemnisation du chômage et, plus généralement, de l’état d’une société dont il révèle les failles.

La société demande beaucoup à des gens qui ont peu. Verser une prestation sous conditions est une manière de les rendre entièrement responsables de leur situation, ce qui est injuste et contreproductif.

Mais en quoi la conditionnalité du RSA est critiquable ?

  Tout d’abord, il y a une critique morale ou politique. La société demande beaucoup à des gens qui ont peu. Verser une prestation sous conditions est une manière de les rendre entièrement responsables de leur situation, ce qui est injuste et contreproductif. Le message politique est déjà passé pendant la campagne électorale – et a été entendu, ce qui a pu donner des idées à certains à gauche, et qui révèle l’ampleur du problème politique qui se cristallise sur cette prestation.

Maintenant, il y a une question sur la mise en œuvre de la mesure (quinze à vingt heures d’activité en contrepartie de la prestation) : se donnera-t-on les moyens de la mettre en place ? Sans préjuger du contenu que les territoires retenus pour l’expérimentation donneront, cela nécessiterait un effort collectif d’une intensité tout à fait exceptionnelle. Plus important encore, les déclinaisons locales vont-elles chercher à renforcer les contrôles et sanctions ou requalifier le discours de la contrepartie en un véritable droit à un accompagnement individualisé, de qualité, adapté aux caractéristiques de chaque situation ? Une politique jamais véritablement matérialisée en France, malgré les proclamations, mais qui n’en est pas moins nécessaire.

 

Propos recueillis par jcitron@cfdt.fr

* Nicolas Duvoux est président du comité scientifique du CNLE, organisme rattaché à Matignon ; il s’exprime ici à titre exclusivement personnel.