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Ouvriers autoroutiers : Rasés de (trop) près…

Publié le 22/12/2016

On les appelle les anges gardiens de l’autoroute. Ils ont pour mission de sécuriser le parcours des automobilistes. Ils le font souvent, au péril de leur vie. Depuis janvier 2016, pas moins de 86 véhicules d’entretien ont été percutés sur l’ensemble du réseau par des conducteurs peu vigilants. Et les chiffres augmentent.

Autoroute1 Stéphane VaqueroDes milliers d’objets sont ramassés chaque année sur les autoroutes par des ouvriers qui patrouillent nuit et jour, sept jours sur sept. Bagages, morceaux de ferraille, pneus, sacs plastiques, branches d’arbre et autres déchets constituent autant de risques d’accidents pour les véhicules qui circulent à grande vitesse. Autre danger permanent : les animaux qui traversent les voies. « Il faut retirer au plus vite les cadavres de ceux qui se font “taper” et, plus compliqué encore, isoler, capturer au lasso ou remettre du bon côté de la barrière ceux qui se sont égarés », explique Frédéric, qui patrouille depuis 2009 sur le réseau SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie). Cette opération délicate demande parfois l’intervention de plusieurs ouvriers autoroutiers, et souvent la neutralisation d’une voie pour pouvoir agir. Or ni les campagnes de sensibilisation, ni le relooking fluo des camions, ni la signalétique lumineuse, ni la multiplication des consignes de sécurité ne suffisent à protéger les ouvriers. Chaque année, les chiffres tombent : on déplore sur le réseau national au moins deux accidents par semaine impliquant les véhicules des ouvriers autoroutiers arrêtés sur la bande d’urgence pour des opérations de maintenance ou de secours. La moitié des chocs est imputable aux poids lourds, qui constituent le gros de la flotte de véhicules empruntant la voie de droite et ne respectant pas les consignes de sécurité routière.

50 % des conducteurs téléphonent au volant

À l’approche d’une zone de chantier, deux poids lourds sur trois se déportent trop tard – à moins de 200 mètres. Ou bien ils se mettent à doubler, gênant alors le véhicule de la voie de droite, qui n’a souvent pas d’autre choix que de piler sur les balises de chantier. À cela s’ajoute que les trois quarts des automobilistes ne respectent pas les limitations de vitesse, et sur l’A13, 250 accidents de voiture se sont produits en 2015.

Autoroute2 Stéphane VaqueroCes résultats sont issus de L’Observatoire des comportements sur autoroute* mis en place par la direction de Sanef/SAPN il y a cinq ans, qui analyse vitesse, distances de sécurité, occupation des voies, usage du clignotant, comportements à l’approche des zones de travaux et utilisation du téléphone au volant. Ainsi, en 2016, on apprend que la proportion de conducteurs roulant à plus de 130 km/h a augmenté depuis 2015, tout comme l’utilisation du téléphone au volant. Une étude d’avril 2016 de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes indique que plus de la moitié des conducteurs reconnaît passer des coups de fil au volant et 40 % des 25-35 ans envoient des SMS ou des mails en conduisant. « Or toutes les dix minutes, il y a une aire de repos ou de service sur le réseau. C’est là qu’il faut reprogrammer son GPS ou passer un coup de fil ! », s’indigne Frédéric. Il avoue être en permanence en alerte. « Ce qui m’a le plus marqué depuis que je fais ce métier, c’est l’incivilité des gens. Nous sommes là pour eux mais ils nous insultent car on les gêne ! Or nous devons entretenir les espaces verts en bordure de voie, remplacer les glissières enfoncées sur le terre-plein central, réparer les barrières, la signalisation, entretenir les panneaux… » Des tâches quotidiennes et autant de prises de risque. « Par temps de pluie ou neigeux, on ne nous voit pas !, poursuit-il. On est sur le qui-vive douze mois sur douze ! S’il fait beau, les touristes affluent ; les autres jours, nous gérons les intempéries… »

Les yeux du poste de contrôle

Autoroute4 Stéphane VaqueroAnge gardien, pompier de l’autoroute (il est souvent le premier interlocuteur en cas de panne ou d’accident), le patrouilleur est également vu comme « les yeux du PCE » (poste central d’exploitation) par ses supérieurs. Le poste central des Essarts, près de Rouen, c’est la tour de contrôle qui relie les cinq centres de maintenance répartis le long des autoroutes normandes. Ses opérateurs sont en contact permanent avec les ouvriers autoroutiers, lesquels les avertissent avant et après chacune de leurs interventions. Le PCE se charge de transmettre les informations à la fréquence radio Sanef 107.7 en temps réel et est en relation permanente avec la gendarmerie. Afin d’assurer la sécurité sur ce réseau de près de 400 kilomètres où circulent quelque 70 000 véhicules par jour, des caméras filment en continu les points sensibles, comme le trafic à l’approche de Paris, très surveillé.

Mais ce sont les yeux des patrouilleurs qui font tout le reste. En 2015, ils ont relevé 25 000 événements sur le tracé. « Au moins, nous, nous ne serons pas automatisés », plaisante Frédéric. Seulement, la dangerosité du métier ne diminuant pas, il espère pouvoir souffler un jour, et souhaite se reconvertir pour travailler à l’atelier de maintenance des fourgons.

 cnillus@cfdt.fr

     


À la recherche du bon compromis

Depuis 2014, la section CFDT de SAPN a mené une campagne de sensibilisation auprès du ministère des Transports. « Voir les autoroutes uniquement à travers le prisme économique et la réalisation de bénéfices exaspère la CFDT. Alors que les ouvriers autoroutiers ont parfois l’impression d’aller au casse-pipe, ils ne sont jamais pris en considération. En effet, à chaque remise en question de l’avenir autoroutier, tout y passe : renationalisation, gratuité des autoroutes, dividendes, taxations, rentes… mais pas un mot sur les salariés et les risques qu’ils encourent », résume Marc Benier, délégué syndical SAPN. C’est pourquoi la CFDT n’a pas signé l’accord de branche sur la sécurité des personnels de 2012, qu’elle n’estime pas satisfaisant. « L’accord mise sur la sensibilisation des clients des autoroutes. C’est malheureusement insuffisant et les chiffres le prouvent encore cette année : nous avons demandé un accord qualité de vie au travail et une reconnaissance de la pénibilité pour le personnel affecté à la viabilité. À la demande de la CFDT, une table ronde sera organisée au premier trimestre 2017 entre la direction, des patrouilleurs et des membres du CHSCT. C’est une première étape ! », se félicite Marc. « Ils vont pouvoir s’expliquer eux-mêmes sur leur métier et leurs peurs. Car il ne faut jamais perdre de vue qu’un piéton sur la bande d’urgence a, au maximum, vingt minutes d’espérance de vie, alors imaginez les ouvriers sur les voies circulées ! »

     

 

* Observations effectuées par des agents du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) se déplaçant à bord d’un véhicule.