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Heures de délégation : précisions sur leur décompte

Publié le 17/12/2014

Par deux arrêts du même jour, la Cour de cassation a précisé l'utilisation et le décompte des heures de délégation. Elle précise que les temps de trajet pris pendant l’horaire normal de travail dans le cadre d’un mandat de représentant s’imputent sur le crédit d’heures. Elle affirme ensuite qu’un accord collectif assimilant la durée des pauses à du temps de travail effectif n’a pas pour effet d’augmenter les heures de délégations. Cass.soc, 09.12.14, n°13-22212 et n°13-18005.

  • Heures de délégation et temps de trajet

Dans la première affaire, un élu s’est vu décompter de ses heures de délégation les temps de trajet accomplis pour l’exercice de ses missions, ce qui n’était pas le cas par le passé. Il a alors saisi les juges afin d’obtenir un rappel de salaire. Selon lui, le non-paiement de temps de trajet a conduit à une perte de rémunération du fait de l’exercice de son mandat.

Saisie du litige, la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : le temps de trajet pour accomplir les missions de représentant du personnel s’imputent-ils sur les heures de délégation ?

Oui, pour la Cour de cassation, qui précise en effet qu’en « l’absence de prévision contraire par la loi, un usage ou un engagement unilatéral de l’employeur, le temps de trajet, pris pendant l’horaire normal de travail en exécution des fonctions représentatives, s’imputent sur les heures de délégation ».

Si cette décision a le mérite de la clarté, elle soulève toutefois quelques interrogations.

En effet, les représentants du personnel ainsi que les délégués syndicaux disposent d’une liberté de déplacement dans et hors de l’entreprise pour l’exercice de leurs missions. Cette liberté leur permet donc d’aller au contact des salariés dans l’entreprise, mais aussi d’aller rencontrer des « personnalités » extérieures telles que l’inspection du travail ou encore le syndicat.

Dès lors, cette liberté de déplacement implique des temps de trajet plus au moins importants selon la configuration de l’entreprise ou encore sa situation géographique.

Le fait d’imputer des heures de délégation le temps de trajet correspondant au temps de travail risque de placer certains élus en difficulté. En effet, les élus des entreprises composées d’établissement multiples ont, de fait, des temps de trajet s’ils souhaitent aller à la rencontre de salariés. De même, les élus des entreprises éloignées géographiquement des « institutions » (inspection du travail, organisations syndicales, etc.) ont eux aussi de fait de temps de trajet important.

Dans ces situations, le temps de délégation restant pour se consacrer effectivement à leurs missions, risque d’être réduit à peau de chagrin.

Cette décision soulève aussi une question annexe : comment est traité le temps de trajet effectué en dehors de l’horaire normal de travail ? Sera-t-il considéré comme du temps de travail effectif ? Doit-il faire l’objet d’une contrepartie sous forme de repos ou sous forme financière, comme le prévoit l’article L. 3121-4 du Code du travail ? Ou bien pourrait-il ne faire l’objet d’aucune contrepartie ? L’arrêt de la Cour de cassation n’apporte aucune réponse à cette question.

Le temps de déplacement pour se rendre aux réunions organisées par l’employeur est rémunéré comme du temps de travail effectif et n’est pas imputable sur les heures de délégation, que ce trajet ait lieu pendant ou en dehors du temps de travail.

  • Heures de délégation et temps de pause conventionnel

Dans la seconde affaire, un accord d’entreprise prévoit que les temps de pause de 40 minutes journalières sont considérés comme du temps de travail effectif : ainsi, les salariés travaillent 7 h 20 par jour, mais sont rémunérés 8 heures.

Lors de la prise de ses heures de délégation, un élu voit des retenues opérées sur son salaire, retenues équivalentes aux temps de pause. L’employeur considère en effet que lorsque l’élu prend ses heures de délégation, il ne bénéficie plus du temps de pause et n’a donc pas à rémunérer ce temps.

L’élu saisit alors les juges du fond pour réclamer un rappel de salaire équivalent aux retenues opérées par l’employeur au titre des temps de pause. Selon lui, en opérant une telle retenue, l’employeur viole le principe selon lequel l’exercice des missions représentatives ou syndicales ne doit entraîner aucune perte de rémunération. Il obtient gain de cause devant le Conseil de prud’hommes.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : lorsqu’il existe un accord d’entreprise prévoyant que les temps de pause journalier sont considérés comme du temps de travail effectif, l’élu qui prend des heures de délégation continue-t-il à en bénéficier ?

La Haute Cour casse le jugement du Conseil de prud’hommes.

Elle rappelle dans un premier temps que l’exercice d’un mandat ne doit entraîner aucune perte de rémunération. Elle ajoute que le nombre d’heures de délégation peut être augmenté par un usage ou encore un accord collectif. Elle termine en indiquant qu’un accord d’entreprise assimilant à un travail effectif la durée des pauses accordées aux salariés en situation de travail n’a pour objet d’augmenter le nombre d’heures de délégation.

Cette décision de la Cour de cassation est compréhensible sur le fait qu’un accord d’entreprise prévoyant que les temps de pause sont assimilés à du temps de travail effectif n’a pas pour objet d’augmenter les heures de délégation.

En revanche, elle est surprenante quant aux conséquences financières pour l’élu : dans cette espèce, lorsqu’il prend des heures de délégation, l’élu subi une perte de salaire correspondant aux temps de pause rémunérée, accordés aux salariés en situation de travail. Or, l’élu ne doit subir aucune perte de rémunération du fait de l’exercice de son mandat. De même, les heures de délégation ne sont-elles pas considérées comme du temps de travail effectif ?

Ces deux décisions de cassation interrogent et inquiètent, dans la mesure où elles risquent de briser les vocations et l'investissement des représentants du personnel, qui pourraient perdre à la fois en temps de rencontre avec les salariés et en rémunération.