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Collectivités territoriales : Suresnes facilite la culture du dialogue social

Publié le 02/11/2016

Depuis 2009, une charte de reconnaissance du parcours militant permet aux agents municipaux de mieux concilier carrière professionnelle et engagement syndical.

Ils sont instructeur d’aide sociale, éducatrice de jeunes enfants ou webmaster. Ils ont un CAP, le bac ou un diplôme de l’enseignement supérieur. Leur point commun : tous exercent un mandat syndical à la municipalité de Suresnes et ont suivi la formation qualifiante « culture économique et sociale » organisée par Sciences Po, la prestigieuse école parisienne. Chaque année depuis 2010, des militants sont sélectionnés pour participer à cette formation d’une dizaine de jours, dispensée pendant un an et sanctionnée par un diplôme. D’autres ont fait le choix d’intégrer le Centre international de formation de l’Organisation internationale du travail (OIT), à Turin. Et, depuis l’année dernière, la prestigieuse Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales) a également ouvert ses portes aux syndicalistes…

Concilier mandat syndical et activité professionnelle

     

Sous l’égide de l’OIT
L’Organisation internationale du travail (OIT) a réalisé un audit, début 2015, sur les bonnes pratiques de la ville en matière de dialogue social, et salué un bon exemple, une « démarche qui mérite d’être encouragée ». C’est ainsi qu’une délégation syndicale de la ville, invitée à Genève en juin dernier, a pu présenter son expérience aux 188 États membres présents lors de la conférence annuelle de l’OIT. Un premier accord de partenariat a d’ores et déjà été signé avec le gouvernement tunisien, en vue d’appuyer le développement du dialogue social dans le secteur public tunisien.

Accords gagnant-gagnant
Dans un climat social apaisé, les partenaires sociaux ont signé plusieurs accords ces dernières années : attribution d’un treizième mois sans condition à tous les agents (2009), mise en place d’une mutuelle collective (2010), extension des horaires des aides à domicile pour les personnes âgées (2011), lutte contre les violences à l’encontre des agents (2013) ou encore mise en place des nouveaux rythmes scolaires (2014).

Montée en compétences
En sus des formations qualifiantes issues de la charte, une dizaine d’agents – parmi lesquels des représentants syndicaux – ont suivi, en novembre 2012, une formation de formateurs sur les risques psychosociaux. À leur retour, ils ont conçu un module de formation adapté aux agents. Les sessions, d’abord testées auprès des cadres, ont rapidement été généralisées pour sensibiliser l’ensemble des employés municipaux

     

Des élus formés sur les bancs des grandes écoles, c’est le pari un peu fou fait par la mairie de Suresnes, qui lui vaut aujourd’hui d’être érigée en laboratoire du dialogue social territorial par l’OIT. « Avant, le paysage syndical se limitait à un seul syndicat maison. L’arrivée du pluralisme syndical, avec la création d’une section CFDT en 2005, a donné un nouveau souffle aux relations sociales. Mais l’image du dialogue social restait écornée », se souvient Claude Bergoend, actuel secrétaire de section.

En concertation avec l’ensemble des représentants syndicaux, la municipalité des Hauts-de-Seine fait alors un choix stratégique : développer des formations économique et sociale communes à l’encadrement et aux syndicalistes, avec l’idée de promouvoir une certaine culture du dialogue social. Ensemble, ils signent en octobre 2009 une charte relative à la reconnaissance du parcours syndical dans le développement de la carrière et l’évolution professionnelle. « Il s’agissait de créer les conditions favorables à une meilleure articulation entre mandat syndical et activité professionnelle », poursuit Claude. Et d’assurer aux personnes tentées par l’aventure militante que leur engagement ne nuirait pas à leur carrière. « Pour beaucoup d’agents, le syndicalisme était vécu comme un frein à la carrière. Et l’encadrement le percevait comme une planque. Là, c’est tout le contraire : il y a l’idée que l’engagement militant n’est pas un sacerdoce mais une parenthèse enrichissante, y compris en ce qui concerne la suite de sa carrière », souligne Luc Grolleau, élu au comité technique.

Très vite, les élus insistent sur la nécessité d’un accompagnement, « une sécurité pour les agents », note Anna Ljubic, employée au service petite enfance et membre du CHSCT. « Dès le début de notre mandat, on évalue l’impact de notre nouveau statut sur le fonctionnement du service. Cela nous permet d’expliquer nos absences et nos missions syndicales à notre responsable hiérarchique, et de définir avec lui la meilleure articulation possible. »

La mise en place d’un accompagnement global

Puis, chaque année, un bilan individuel est effectué avec le responsable hiérarchique et les ressources humaines. Lorsque l’agent décide de quitter son mandat, il bénéficie d’une VAE (validation des acquis de l’expérience) syndicale pouvant déboucher sur une évolution de carrière (promotion interne, mobilité…). Sans cet accompagnement, Franck Bourgi ne se serait peut-être pas engagé. Cet agent de catégorie A décide de s’inscrire pour la première fois sur les listes CFDT aux élections de 2014. Plus que la charte, c’est l’offre de formation qui lui fait sauter le pas. « C’est un appui précieux pour comprendre l’histoire du syndicalisme et des relations sociales, mais aussi les réalités que recouvre la culture territoriale. »

Côté employeur, on assure également avoir « besoin de syndicats forts et représentatifs afin de réunir les conditions d’un dialogue social constructif, qui permette des accords gagnant-gagnant (lire point 2). Des représentants syndicaux mieux formés sont aussi des interlocuteurs plus sereins, rassurés quant à leurs capacités à assurer leur mandat », résume le maire, Christian Dupuy. Mais, aux yeux de la CFDT de Suresnes, « pas question que cet outil devienne un moyen d’acheter la paix sociale ». Et, souligne-t-elle, « il faut des valeurs et un collectif fort pour utiliser les leviers utiles au dialogue social de la collectivité et au travail des agents, sans se sentir piégés par les possibilités offertes par l’employeur ».

C’est d’ailleurs dans cet esprit que la section a fait le choix de ne consacrer qu’un après-midi par semaine à ses activités syndicales. « Une réunion pique-nique est organisée tous les mardis avec les adhérents pour faire le point des sujets du moment et de la réalité des différents services. Mais à quoi cela sert-il si nous n’y sommes jamais ? », explique Anna. Malgré sa fonction, Claude ne déroge pas à la règle : « Garder un pied sur le terrain, ne pas se couper des réalités vécues par les agents que l’on entend défendre dans les instances… et se dire que le statut de militant syndical ne peut être qu’une parenthèse dans notre vie. La charte doit aussi être l’occasion de favoriser la relève syndicale. »

La charte n’est pas un outil miracle…

Unique collectivité à avoir mis en place ce style de charte (dans le secteur privé, les dispositifs comme l’entretien de prise de mandat, les formations communes ou la VAE syndicale ont été mis en place par la loi Rebsamen sur le dialogue social), le « cas Suresnes » fait des envieux. « Des militants d’autres sections nous ont approchés, et l’idée de la collectivité est désormais de le faire vivre au niveau du conseil régional, qui regroupe environ 10 000 agents. » Aux camarades tentés par l’aventure, la section apporte toujours la même réponse : pluralisme syndical et pédagogie à tous les étages sont fondamentaux pour que ce type d’accord fonctionne. De fait, en six ans d’existence, la charte a permis d’offrir une autre vision du syndicalisme aux agents comme aux responsables hiérarchiques et managers. « Mais la culture du dialogue social ne s’improvise pas, rappelle Claude, et une charte, si belle soit-elle, est davantage un terreau favorable qu’un outil miracle. À nous, syndicalistes, de la faire vivre ! »

aballe@cfdt.fr

     

Repères

Commune des Hauts-de-Seine d’environ 48 000 habitants, la ville de Suresnes emploie 1 300 agents.

Aux élections de 2014, la CFDT a obtenu 35 % (+ 10 points), devenant ainsi la deuxième organisation syndicale derrière la CGT (53 %).

Depuis la mise en œuvre de la charte de reconnaissance du parcours militant, le taux de participation aux élections professionnelles est de 7 points supérieur à la moyenne nationale dans la fonction publique (60 % de participation aux élections de 2014).