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Le monde (pas si) merveilleux de Disney

Publié le 03/05/2016

Pour les 14 millions de visiteurs qui arpentent le parc chaque année, Disneyland Paris est un lieu synonyme de magie et de féerie. Mais qu’en est-il de l’autre côté du décor ? Travailler dans un parc d’attractions… du rêve à la réalité.

En vingt ans, Disneyland s’est imposé dans le paysage français, faisant du site francilien le premier employeur privé de Seine-et-Marne. Pour accueillir les 39 000 visiteurs quotidiens, le parc emploie quelque 15 000 salariés – ce qui lui vaut régulièrement des campagnes de recrutement à grande échelle destinées à pourvoir chaque année les milliers de postes disponibles. Ici, les entretiens se passent par deux, « pour tester notre capacité à travailler en équipe et notre sens du contact », explique Cécilia, vendeuse dans le parc depuis deux mois. Comme elle, beaucoup de jeunes ont été embauchés pendant la saison, essentiellement pour leurs capacités linguistiques. Grecs, Lituaniens, Espagnols… Pour s’assurer un vivier bien garni de cast members (salariés, littéralement « membres de la distribution », comme dans un film ou un spectacle), Disney n’hésite pas à recruter au-delà des frontières. Un tiers des salariés du parc proviennent ainsi de pays européens voisins et, au total, près d’une centaine de nationalités cohabitent pour répondre au mieux aux exigences des guests (visiteurs) venus de l’étranger. Mais la diversité culturelle n’est pas le seul enjeu, note Djamila Ouaz, déléguée syndicale CFDT : « On recrute sur la misère de l’Europe des candidats motivés et souvent très diplômés dont on sait qu’ils ne se plaindront pas. » Pour ces saisonniers, Disney dispose en effet de 2 000 logements à prix réduits dont le loyer (325 euros) est directement déduit du salaire. Des résidences que ces salariés partagent à deux, quatre ou six… et dont l’accès très réglementé « nous enferme peu à peu dans une “bulle” dont il est difficile de s’extraire. Après avoir payé le loyer, les frais de nourriture et envoyé le peu d’argent que nous pouvons à notre famille, il ne nous reste presque rien », raconte Cécilia. Car question salaires, Disney ne fait pas vraiment rêver. L’entreprise s’abrite derrière la convention collective des parcs d’attractions, qui régit l’ensemble des 500 métiers qu’elle emploie et sur laquelle Disney a su peser : à elle seule, la firme emploie 60 % des salariés couverts par la convention collective. Les non-cadres sont ainsi payés au Smic augmenté de 1 %… Beaucoup de salariés se trouvent dans les plus bas coefficients malgréune longue ancienneté. 

 DSC6445« Se loger dans le coin est devenu trop cher »

Isabelle (photo ci-contre) est là depuis l’ouverture du parc, ou presque. Après six ans en service du soir à la restauration rapide du Disney Village, elle aurait pu prétendre au poste de team leader (manager) mais elle a fait le choix de protéger sa vie de famille. « Quand je travaillais en soirée, j’habitais à proximité de Marne-la-Vallée. Mais, au fil du temps, se loger dans le coin est devenu bien trop cher alors, comme beaucoup, j’ai dû m’éloigner. Avec le temps de trajet qui est le mien, je n’aurais plus jamais vu mes enfants en poursuivant dans la voie hiérarchique. Aujourd’hui, je suis à mi-temps et je ne suis pas manager, mais j’ai encore une vie de famille. »

 DSC6457À ses côtés, Ali Hassan (photo ci-contre) s’apprête à prendre son service, les traits tirés. Employé depuis 2007 par Disneyland Paris, il travaille régulièrement le soir et n’a pas le permis : « Quand je prends mon service, à 17 heures, je pars de chez moi deux heures avant. Mais au retour, c’est beaucoup plus long, car les bus de nuit mis en place par Disney ne font la navette que jusqu’à gare de Lyon ou gare de l’Est. Et, souvent, il faut attendre la reprise du service du matin pour rentrer chez nous. » En quittant son travail à 1 h 30, Ali Hassan est rarement chez lui avant 5 heures. Avec ses collègues, il essaye d’organiser du covoiturage quand les plannings des uns et des autres permettent un départ groupé vers le 93. Mais là aussi, le système est fait de telle manière qu’aucun d’entre eux ne peut bénéficier des avantages inhérents au travail nocturne. Chez Disney, le travail de nuit commence d’ailleurs à 22 heures (contre 21 heures dans le code du travail). Or pour pouvoir prétendre aux « bons essence » accordés aux salariés par la direction, il faut avoir effectué la moitié de son service entre minuit et 5 heures… Impossible en embauchant à 17 heures.

« Ce discours sur le rêve fonctionne très bien »

 DSC6537Pourtant, aucun d’eux ne regrette toutes ces années passées. Même si, admettent-ils à demi-mot, leur attachement à Disney les retient davantage que la feuille de paie. Et c’est là tout le paradoxe, confirme Djamila : « Les salariés évoluent dans le monde merveilleux de Disney. Ce discours sur le rêve fonctionne très bien, et c’est d’ailleurs notre premier problème. Les salariés ne viennent nous voir que lorsqu’ils sont dos au mur. C’est particulièrement vrai chez les plus jeunes, pour qui l’entreprise reste une bonne école pour sortir du bas de l’échelle et faire ses armes dans un esprit festif. » Pour vendre son modèle, la direction aime à rappeler que les trois quarts de ses cadres sont issus de la promotion interne. « Mais la polyvalence, tout comme l’évolution hiérarchique, ne s’accompagne ici d’aucune vision stratégique de l’entreprise. Un drame pour cette machine de guerre de 15 000 salariés », estime la section CFDT. Question polyvalence, Isabelle n’en est pas à son coup d’essai. Chaque année, à la fermeture annuelle de son restaurant, elle est amenée à travailler sur d’autres sites de restauration, mais pas seulement : « En janvier, on m’a demandé d’aller faire de l’étiquetage en boutique pour les soldes. » Un travail bien éloigné de sa qualification d’origine, et pour lequel elle n’a jamais signé d’avenant au contrat de travail. « Depuis janvier, une cinquantaine de cas similaires nous ont été rapportés. La direction veut du transfert de qualifications et de la flexibilité sans reconnaître la multicompétence de ses salariés », note Benoît Gallopain, délégué syndical. Dans certains secteurs, l’absence d’anticipation a des conséquences bien plus dramatiques. Dans son rapport d’activité annuel de 2014, le médecin du travail de la division spectacles s’alarmait de l’absence de prévention et de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) chez Disney. « Il faut que l’entreprise fasse enfin preuve d’un réel engagement dans cette voie, car la gestion du vieillissement au travail par l’intermédiaire des inaptitudes a ses limites. Dans mon secteur, les avis d’inaptitude ont encore augmenté et, malgré les efforts de tous, nous arrivons à une saturation du système. » Consciente d’un certain « malaise social », la direction a mis en place, il y a quelques années, Castmemberland, sorte de conseil municipal avec un « maire » (responsable opérationnel) et des « conseillers » (salariés) chargé d’améliorer les conditions de travail des salariés. Et n’hésite pas à donner dans le spectacle pour la reconnaissance de l’implication de ses salariés. Depuis 2010, un programme de distinctions honorifiques vise à récompenser les meilleurs éléments. Les cast members y sont appelés à citer leurs collègues les plus méritants… Le tout dans une cérémonie haute en couleur, sous l’œil bienveillant de la direction. Bienvenue chez Mickey !

aballe@cfdt.fr

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Le comité d’entreprise à la manœuvre

     
     

Conscient de la précarisation d’une partie croissante des salariés, le comité d’entreprise (géré depuis 2010 par la CFDT) a mis en place en 2011 un système de redistribution de bons alimentaires pour les salariés le plus en difficulté. « Or, chaque année, nous avons de plus en plus de demandes, toutes justifiées par une assistante sociale ou des avis de surendettement », s’inquiète Germaine Cissé, secrétaire du CE.

     

 

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Photos : Patrick Gaillardin