Travailleurs des plateformes : le contrat d’un VTC avec Uber est requalifié

Publié le 11/03/2020

Dans un arrêt emblématique, la Cour de cassation vient de confirmer la requalification de la relation contractuelle unissant un chauffeur VTC à la société Uber BV en contrat de travail, en raison de l’existence d’un lien de subordination, qui se caractérise classiquement par l’exercice de trois pouvoirs : direction, contrôle et sanction.

L’indice déterminant de ce lien réside dans l’intégration à un service organisé de transport. Cass.soc.4.03.20, n°19-13316.

PICTO Contrat travail-Orange

  • Faits, procédure, prétentions

Un chauffeur VTC, ayant contracté avec la société Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat et s’étant enregistré en tant qu’indépendant, exerçait son activité en recourant à la plateforme numérique Uber depuis quelques mois lorsque la société décida de désactiver définitivement son compte.

Il  a donc saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail, ainsi que de rappels de salaire et indemnités de rupture.

En appel, les juges du fond ont fait droit à sa demande, considérant que le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif et que la société Uber lui avait adressé des directives, avait contrôlé l’exécution de la prestation et avait exercé un pouvoir de sanction.

Uber s’est pourvu en cassation.

  • Un lien de subordination caractérisé par la réunion des trois pouvoirs (direction, contrôle, sanction)

Dans son pourvoi, la société Uber reproche aux juges d’appel d’avoir retenu l’existence d’un lien de subordination et conteste l’exercice des trois pouvoirs (direction, contrôle, sanction) qui, depuis l’arrêt Société Générale (1), servent à caractériser l’existence d’un lien de subordination. En outre, Uber tente de démontrer l’indépendance du chauffeur.

Pour cette plateforme, le contrat du chauffeur n’emporte aucune obligation de se tenir à disposition et aucun engagement à utiliser l’application pour exercer son activité. Pour Uber, le chauffeur reste totalement libre de se connecter, ou pas, et d’accepter ou de refuser les propositions de courses qui lui sont faites. Uber fait aussi valoir que le contrat ne prévoit aucune exclusivité et laisse le chauffeur libre d’utiliser d’autres applications.  D’autant plus que le chauffeur s’est immatriculé au Registre du commerce, ce qui implique l’existence d’une présomption de non-salariat (prévue à l’article L.8221-6 du Code du travail).

Par ailleurs, selon la plateforme, le droit de rompre un contrat pour mauvaise exécution des obligations ne caractérise pas un pouvoir de sanction. Pas plus que le droit de désactiver ou de restreindre l’accès à l’application ou la géolocalisation ne démontrent un pouvoir de contrôle…

La Cour de cassation approuve néanmoins la cour d’appel pour avoir retenu l’existence d’un contrat de travail.

Elle rappelle trois choses importantes.

-D’abord, l’article L.8221-6 du Code du travail ne fait que poser une présomption simple d’indépendance, laquelle peut être renversée par la démonstration de l’existence d’un lien de subordination à l’égard du donneur d’ordre. Ce qui finalement est la situation de tout demandeur en requalification…

-Ensuite, elle s’appuie sur une jurisprudence, constante depuis 1996, pour dire que :

« le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

 

-Enfin, l’intégration au sein d’un service organisé (2) « peut constituer un indice de subordination », en particulier lorsque l’employeur « détermine unilatéralement les conditions d’exécution » du travail. Elle approuve ainsi la cour d’appel pour avoir écarté l’argument tenant à la liberté de choisir ses jours et heures de travail, qui n’exclut pas l’existence d’un lien de subordination « dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé ». L’argument de la liberté de travailler ou pas, invoqué devant maintes juridictions, y compris à l’étranger (par exemple en Italie) est ainsi balayé par les juges français.

Cependant, la Haute juridiction passe au crible l’ensemble des éléments retenus pour caractériser le lien de subordination, signe qu’elle entend exercer un contrôle fin sur les motivations des juges du fond.

De l’intégration au sein d’un service « créé et entièrement organisé par la société Uber BV, qui n’existe que grâce à la plateforme », au pouvoir de sanction, en passant par la fixation des tarifs et le pouvoir de contrôle, relevé notamment à propos de l’absence de choix par les chauffeurs des trajets.

  • Indépendance ou salariat, telle est la dichotomie du droit français !

Pour conclure, cette solution est à plusieurs égards classique. La définition du lien de subordination reste inchangée. Une requalification d’un VTC avait déjà été admise fin 2018 dans l’arrêt Take Eat Easy (3).

Pour autant, son impact et son retentissement ne doivent pas être sous-estimés. Elle semble remettre au goût du jour un indice du lien de subordination qui n’avait pas disparu, mais qui était parfois négligé : l’intégration au sein d’un service organisé, qui fut un temps « le » critère du lien de subordination (3). Et ce sans doute, ainsi que le fait valoir le professeur Lokiec, en raison des difficultés à caractériser le pouvoir de donner des ordres et des directives dans le cas des plateformes (4).

On remarquera aussi que dans son communiqué, la Chambre sociale se risque à donner, aux côtés de la définition du lien de subordination, une définition du travail indépendant, ce qu’elle n’avait à notre connaissance jamais fait auparavant :

« Les critères du travail indépendant tiennent notamment à la possibilité de se constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de définir les conditions d’exécution de sa prestation de service ».

Par ailleurs, dans la notice explicative accompagnant l’arrêt, la Haute juridiction s’appuie sur deux éléments : la décision du Conseil constitutionnel à propos de la loi LOM, qui a censuré le fait d’écarter le pouvoir de requalification des juges (5) d’une part, et d’autre part, la notion de travailleur en droit européen.

Et la Cour d’ajouter, au terme d’une comparaison avec d’autres droits nationaux :

« le droit français ne connaît que deux statuts, celui d’indépendant et de travailleur salarié » …

Voilà une belle décision, qui conforte les positions de la CFDT !!!

 

(1)   Cass.soc.13.11.1996, n°94-13187.

(2)   Cass.soc.28.11.18, n°17-20079.

(3)   Anciennement critère de la subordination (arrêt d’Ass.Plén.18.06.76), devenu ensuite simple indice avec l’arrêt Société générale de 1996.

(4)   Interview AEF du 9 mars.

(5)   C.Const.  décision n°2019-794 du 20.12.19.

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