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Don de jours de congé contre maintien dans l'emploi: la justice recadre

Publié le 17/09/2014

Un employeur peut-il, dans un contexte fait de difficultés économiques qu’il considère lui-même comme « conjoncturelles », se rapprocher individuellement de ses salariés afin de leur demander de lui « faire don » de jours de congés ? Non répond la justice, pour qui ce type de concession ne saurait être envisagé que dans un cadre collectif : celui de l’accord de maintien dans l’emploi (AME). Tribunal de grande instance de Saverne, 21.07.14, n° 1400043.

Selon l’article L. 5125-1 du Code du travail, en cas de difficultés économiques conjoncturelles, les accords de maintien dans l'emploi (AME) peuvent permettre d’aménager temporairement le temps de travail et le salaire, et, corrélativement, de maintenir l’emploi des salariés concernés par ces aménagements. Ces accords sont très encadrés et ne peuvent être mis en place que par accord majoritaire et pour un temps qui ne peut, en aucun cas, excéder deux ans. Ils doivent, notamment, être assortis d’une garantie absolue de maintien dans l’emploi, d’une indemnisation des salariés en cas de non-application de l’accord, d’une protection des basses rémunérations, d’un engagement réciproque, en termes d’efforts consentis, de la part des dirigeants de l’entreprise et d’un aménagement de la capacité de refus des salariés.

Lorsque l'accord de maintien dans l'emploi (AME) fut créé par l’accord national interprofessionnel (ANI) sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013, il ne manqua pas d’être copieusement critiqué par ses non-signataires. À les écouter, il était censé donner tout pouvoir à l’employeur pour remettre en cause les droits des salariés en matière de « durée du travail », d’« organisation et de répartition » du temps de travail et de « rémunération ». Bref, cet accord devait, toujours selon ses contempteurs, n’être rien d’autre qu’un cheval de Troie introduit là, comme un danger permanent, au beau milieu du Code du travail et des dispositions conventionnelles applicables. Ce qui, affirmait-on sans ambages, ouvrait la porte à toutes les formes de chantage à l’emploi.

Mais la réalité sociale et économique des entreprises est passée sur ces tristes considérations et elle n’a pas manqué de leur apporter un cinglant démenti.

  • Des employeurs qui ne jouent pas le jeu

À bien regarder le bilan quantitatif des AME signés, force est de constater qu’il est particulièrement pauvre. Imaginez un peu ! Seulement six accords signés alors même que le dispositif est vieux de plus d’un an et que, hélas, la crise économique continue de faire des ravages.

Les raisons ? Les garanties que la loi octroie aux salariés concernés (pour lesquelles la CFDT s’est battue bec et ongles) et qui sont considérées comme bien trop contraignantes par des employeurs qui se révèlent, au bout du compte, bien incapables de décliner sur le terrain un dispositif que leurs organisations respectives ont pourtant contribué à construire. Résultat, nombre d’entreprises continuent à faire comme si l’AME n’existait pas et à négocier des accords ad hoc dits de compétitivité. Le tout hors de toute contingence obligatoire en termes de maintien de l’emploi et sans aucune garantie réelle pour les salariés concernés.

Mais la décision ici commentée permet de mettre l’accent sur des pratiques patronales bien plus scandaleuses encore ! Celles qui consistent, non plus à rechercher des solutions conventionnelles alternatives à l’AME, mais à sortir du cadre collectif, en se livrant à un véritable chantage à l’emploi, directement auprès de chaque salarié pris individuellement.

  • Du collectif au « gré à gré »

En effet, l’affaire qui a conduit au rendu de la décision ici commentée met en scène une entreprise qui s’apprête à traverser une zone de turbulences due à des difficultés économiques qu’elle considère, elle-même, comme « conjoncturelles ». Face à ce constat, elle décide de se tourner, non pas vers le dialogue social, mais vers chacun de ses salariés afin de leur faire part de l’inquiétante perspective d’évolution de l’entreprise et de leur proposer, clé en main, la solution susceptible de générer son potentiel redressement. La solution envisagée consiste, ni plus ni moins, à renoncer, volontairement et anonymement, à dix jours maximum de congé quel que soit leur statut (congés payés, RTT, congé d’ancienneté; etc.) avec « l’engagement » d’une restitution au 31 janvier 2016 au plus tard.

La seule « concession » faite par l’entreprise au collectif fût, ici, d’informer le comité d’entreprise de la manœuvre, Pas plus ! Ceci, alors même que :

- l’article L. 2323-27 du Code du travail aurait dû conduire à l’organisation, en bonne et due forme, d’une véritable consultation du comité d’entreprise ;

- l’article L. 5125-1 du Code du travail aurait dû conduire à associer au diagnostic des « difficultés économiques conjoncturelles » tant les organisations syndicales que le comité d’entreprise ;

- le renoncement des salariés à des jours de congé payés était susceptible de mettre à mal l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur.

Mais face à des salariés fragilisés par la crainte de perdre leur emploi, la direction n’a eu aucun mal à convaincre. Et c’est ainsi qu’une grande majorité de salariés ont accepté de faire leur deuil de nombre de jours de congé dans l’espoir de ne pas être, à terme, licenciés économiques.

  • Le recadrage de la justice et les espoirs suscités

Saisie en référé, la justice a entendu intervenir en urgence puisque, à l’appui d’une ordonnance, elle a décidé de suspendre cette opération « jours de congé contre maintien de l’emploi », tout en appelant l’employeur à passer, comme il se doit, par la négociation collective et, plus précisément, sous les fourches caudines des articles L. 5125-1 du Code du travail qui, précisément, régissent les AME.

La précision est d’importance, car, sans présager de la portée que sera susceptible d’avoir cette décision rendue en référé et en premier ressort, il n’en reste pas moins que la motivation qui est la sienne est de nature à générer quelque espoir pour l’avenir.