CSE et syndicats : passé le délai, il est encore temps d’agir contre une clause conventionnelle !

Publié le 09/03/2022

La Cour de cassation vient de rendre deux décisions importantes - d’ailleurs destinées à une très large publication. Dans ces arrêts, la Haute juridiction reconnait aux syndicats et aux CSE le droit d’agir contre une clause conventionnelle portant atteinte à leurs droits par voie d’exception, c’est-à-dire au-delà du délai de 2 mois prévu par les ordonnances travail pour contester un accord. Explications...Cass.soc.2.03.22, n°20-16002 et n°20-18442.

Deux affaires posant une même question de principe

Dans ces deux affaires, les questions de fond sont assez différentes. L’une porte sur la contestation par un CSE d’établissement de la clause d’un accord collectif réduisant ses droits en matière de consultation au profit du CSE central ; l’autre concerne la contestation par un syndicat de la clause d’un accord collectif selon laquelle le périmètre des élections aux différents CSE d’établissement détermine celui de désignation des délégués syndicaux.

Le point commun entre ces affaires est de poser une question de principe identique, à laquelle la Cour de cassation n’a jusqu’alors pas eu l’occasion de répondre.

Ainsi que le rappellent les notices explicatives accompagnant ces arrêts, aux termes de l’article 2262-14 du Code du travail, tel qu’issu de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017, toute action en nullité de tout ou partie d’un accord collectif doit normalement être engagé dans un délai de 2 mois. A l’égard des organisations syndicales disposant d’une section syndicale dans l’entreprise, ce délai commence à courir à compter de la notification de l’accord d’entreprise. Dans tous les autres cas, il court à compter de la publication de l’accord.

Passé ce délai, la seule action possible est celle en inopposabilité d’une clause invoquée par voie d’exception lors d’un contentieux, par exemple devant le Conseil de prud’hommes. Le CSE d’établissement, dans la première affaire, le syndicat, dans la seconde, invoquaient donc cette possibilité reconnue aux salariés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2018  (1).

Un CSE ou un syndicat peuvent-ils agir par voie d’exception lors d’un litige en invoquant l’illégalité de la clause d’un accord collectif alors même que le délai de 2 mois prévu pour la contestation de l’accord est expiré ?

C’est à cette question que répondent les deux arrêts publiés le même jour par la Cour de cassation.

L’action est admise en cas d’atteinte aux droits propres reconnus par la loi au syndicat ou au CSE 

Qu’il s’agisse du CSE d’établissement ou du syndicat non-signataire de l’accord, la Cour de cassation leur reconnaît le droit d’agir par voie d’exception.

Dans le premier cas, elle décide qu’ « un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi ».

Dans le second, elle admet qu’une « organisation syndicale non-signataire d’un accord collectif est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif lorsque cette clause est invoquée pour s’opposer à l’exercice de ses droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi ».

La principale condition pour pouvoir bénéficier de ce droit d’agir par voie d’exception est donc que la clause porte une atteinte aux droits propres (du CSE ou du syndicat) reconnus par la loi. 

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l’un des deux arrêts, la conséquence d’une action par voie d’exception n’est pas la nullité de la clause, qui demeure dans l’accord, mais son inopposabilité à celui qui a soulevé l’exception, autrement dit sa neutralisation pour la solution du litige.

Une solution protectrice du droit fondamental à un recours juridictionnel effectif

Pour reconnaître ce droit aux syndicats non-signataires et aux CSE, la Cour de cassation s’appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a dû statuer sur la constitutionnalité de l’article L.2262-14 du Code du travail au regard du droit à un recours effectif.

La Haute juridiction rappelle ainsi l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l’article L.2262-14 du Code du travail dans sa décision du 21 mars 2018. Saisi de la constitutionnalité du texte au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), qui garantit le droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel a en effet précisé que l’article L.2262-14 du Code du travail ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, par voie d’exception (donc au-delà du délai de 2 mois), l’illégalité de la clause d’un accord collectif à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre.

Cependant, la Cour relève que le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé que sur la possibilité, pour les salariés, d’agir par la voie d’exception et qu’il lui appartient donc de se prononcer sur l’ouverture d’une telle action à un CSE et à un syndicat.

Or, le droit à un recours juridictionnel effectif se fonde non seulement sur l’article 16 DDHC, mais également sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qui concerne le CSE (2). Il doit donc être largement garanti.

La décision repose tout entière sur l’invocation d’un droit fondamental, reconnu non seulement par notre Constitution, mais aussi par l’ordre juridique communautaire. La solution est bienvenue et logique, car on ne voit pas bien pourquoi les syndicats et les CSE, qui ont la personnalité juridique, seraient traités différemment des salariés, dès lors qu’il est porté atteinte à leurs droits propres.

Les actions par voie d’exception du CSE et du syndicat : no limit ?

Dans les notices explicatives accompagnant ces arrêts, la Cour de cassation laisse entrevoir les limites qu’elle entend poser à l’ouverture de cette action aux CSE d’une part et aux syndicats d’autre part.

S’agissant des CSE, elle rappelle sa jurisprudence, qui encadre le droit d’action de l’institution représentative du personnel : le CSE est irrecevable à agir de manière générale pour faire respecter ou exécuter des dispositions conventionnelles ; il ne le sera pas plus ici !

Son droit d’agir par voie d’exception se limite donc à la possibilité d’invoquer l’illégalité d’une clause qui porte atteinte à ses droits propres, ce qui était le cas en l’espèce, puisqu’était en cause le droit du CSE d’établissement d’être consulté sur la situation financière et la politique sociale, qui avait été réservé par l’accord au CSE central.

En ce qui concerne les syndicats, l’arrêt précise bien que l’action par voie d’exception n’est ouverte qu’aux seuls « syndicats non-signataires » de l’accord. De plus, la notice laisse entrevoir qu’une telle action ne serait probablement pas admise si le syndicat avait agi pour défendre l’intérêt collectif de la profession : « La question demeure en revanche plus ouverte s’agissant de l’action d’un syndicat au titre de la seule défense de l’intérêt collectif de la profession ».

L’action est ouverte parce que l’une des prérogatives reconnues par la loi aux organisations syndicales représentatives a été atteinte, à savoir la désignation d’un délégué syndical.

La Haute juridiction précise également dans sa notice que l’action était ouverte au syndicat parce qu’elle l’était de toute façon au délégué syndical lui-même. Il aurait été curieux que l’un, partie à l’instance, puisse contester sans que le syndicat ne puisse intervenir. Ainsi explique-t-elle : « refuser le droit à l’organisation syndicale ayant procédé à la désignation aurait conduit à une situation étrange d’un accord collectif dont le tribunal pourrait constater l’irrégularité au regard du salarié mais non au regard du syndicat l’ayant désigné ».

Enfin, dans l’arrêt concernant l’action du CSE (mais la solution semble valoir dans les deux cas), la Cour précise que « la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande ». Autrement dit, l’action, même par voie d’exception, ne pourra donc être soulevée si les droits en cause sont eux-mêmes prescrits.

Accord collectif, niveau de consultation et périmètre de désignation du délégué syndical

Après avoir admis l’action par voie d’exception, la Cour de cassation s’est prononcée dans chacun des cas sur les questions de fond qui lui étaient soumises. Les solutions à ce titre n’ont que peu d’intérêt, soit qu’elles sont un rappel de la jurisprudence (en ce qui concerne le périmètre de désignation du DS), soit qu’elles livrent une interprétation sur un texte ancien (CSE et aménagement du niveau de consultation par accord).

Dans l’affaire qui portait sur l’aménagement par accord du périmètre de désignation du délégué syndical, la Haute juridiction rappelle sa jurisprudence constante depuis 2016 selon laquelle ce périmètre est d’ordre public (3). L’accord ne pouvait donc caler ce périmètre sur celui des établissements pour les élections au CSE.

Dans celle qui concerne la possibilité  que seul le CSE central soit consulté sur la situation financière et sur les politiques sociales, si les ordonnances de 2017 ont clairement prévu cette possibilité (article L.2312-19 du Code du travail), la loi applicable à l’espèce était la loi Rebsamen, qui ne prévoyait que la possibilité de définir les « modalités des consultations récurrentes ». Par une interprétation qui nous semble un peu anachronique, la Cour décide toutefois que cette formulation incluait déjà la possibilité de prévoir les niveaux auxquels se déroulent ces consultations…

 

 

(1) Sur la loi de ratification des ordonnances, Décision n°2018-761 DC statuant sur la loi de ratification des ordonnances de septembre 2017.

(2)  L’article 47 de la Charte est applicable au CSE en vertu de la Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs.

(3) Cass.soc.31.05.16, n°15-21175 ; Cass.soc.9.06.21, n°20-14171 ; Cass.soc.5.01.22, n°20-16725.