Peut-on se servir de la vidéosurveillance contre un salarié ?

Publié le 15/01/2014 (mis à jour le 09/05/2018)

Prenons un cas concret : une caméra, installée dans un supermarché par l’employeur, enregistre des images d’un salarié dérobant une somme d’argent dans la caisse. Cette faute est doublement répréhensible : au civil (faute suffisamment lourde pour justifier un licenciement) et au pénal (le vol est réprimé par loi). La question qui se pose est de savoir si ces images pourront être utilisées contre le salarié ?

Pour répondre à cette question, il est essentiel de vérifier que l’employeur a bien respecté les conditions qui s’imposent à lui lorsqu’il installe une caméra de surveillance. Des conditions qui varient selon la juridiction saisie (Prud'homme ou tribunal correctionnel).

  • Caméra justifiée pour les besoins de l’entreprise

Au travail, les caméras doivent être installées pour des questions de sécurité des biens et des personnes, uniquement à titre dissuasif, ou pour identifier les auteurs de vols, de dégradations ou d’agressions(1).

Elles ne peuvent pas servir à surveiller un poste de travail sauf ci-celui-ci est par nature dangereux. C’est le cas d’une personne manipulant de l’argent. Toutefois, ces caméras devront être davantage orientées sur la caisse que  sur le caissier. Il faut également être vigilant quant à leur emplacement, leur nombre, leur orientation, leur fonctionnalité, leur période de fonctionnement, l’enregistrement ou non du son… 

Par exemple, il serait disproportionné qu’une caméra filme un salarié spécifiquement, ou un groupe précis, ou encore filmer en continue (jour et nuit) sur leur poste de travail(2).

A noter : les caméras ne doivent pas être installées dans l’unique but de surveiller les salariés!

  •  Choix de l’emplacement  

Les caméras ne peuvent pas être installées n’importe où. Ceci pour des raisons évidentes tenant au respect de la vie privée et de l’intimité des salariés et des clients(3).

Elles sont donc autorisées au niveau des entrées et des sorties du public, des issues de secours et des voies de circulation.  C’est aussi le cas, dans les zones où la marchandise où des biens de valeurs, sont entreposés (ex : un entrepôt qui stocke des choses de valeurs et où travaille des manutentionnaires).

En revanche, elles sont interdites dans les vestiaires, les zones de repos ou de pause, les douches, les toilettes.

Il est également interdit de filmer les représentants du personnel, les locaux syndicaux, ainsi que l’accès qui mène à ces derniers.

  • Formalités à accomplir

 La lourdeur des formalités varient en fonction du lieu où sont installées les caméras.

Déclaration à la Cnil (4)Si les caméras filment un  lieu privé, non accessible au public (lieu de stockage, parking réservé au personnel…) et enregistrent et conservent des images sur un support numérique, alors l’employeur doit faire une déclaration à la Cnil pour chaque site et chaque établissement concerné.

S’il n’y a pas eu de déclaration à la Cnil, l’enregistrement ne peut pas être opposé au salarié.

Autorisation en préfecture (5)Si les caméras filment un lieu public ou accessible au public (la caisse d’un supermarché, l’entrée d’un magasin) alors l’employeur doit demander une autorisation au préfet. Cette autorisation est valable 5 ans et peut être renouvelée.

Pour les lieux mixtes (ex : les supermarchés), les caméras sont amenées à filmer à la fois des lieux accessibles et non accessibles au public, l’employeur doit alors faire une déclaration à la Cnil et demander une autorisation en préfecture.

On ne parle plus de « vidéosurveillance » dans les lieux publics mais de « vidéo protection »(6)!

  • L’accès aux images

Seules les personnes habilitées dans le cadre de leurs fonctions peuvent avoir accès aux images enregistrées (ex : les responsables de sécurité, agents de sécurité ou la direction du magasin).

  • Conservation des images limitée dans le temps

La conservation des images enregistrées ne peut pas excéder un mois. En cas de procédure, les images sont extraites et conservées le temps nécessaire.

  • Information-consultation des représentants du personnel

L’employeur doit, avant toute installation, informer et consulter les représentants du personnel, en particulier le comité d’entreprise(7), sur les moyens techniques, qui vont permettre le contrôle de l’activité des salariés.

  • Information des personnes filmées

Dès que vous êtes filmés (salarié ou visiteur) vous devez être informés par un panneau d’affichage visible, indiquant l’existence du dispositif de surveillance et les droits d’accès aux images (nom du responsable, procédure à suivre pour demander l’accès aux enregistrements vous concernant).

Les salariés doivent être au préalable informés individuellement (par avenant au contrat de travail, courrier…) sur les dispositifs de contrôle, qui vont être mis en œuvre pendant leur activité (8).

Des caméras mêmes visibles, ne dispensent pas l’employeur d’informer au préalable les salariés (9).

  • Utilisation de l’enregistrement comme preuve

 -          Devant la juridiction prud’homale

Si la caméra en question, a été installée dans les conditions décrites, l’employeur pourra s’en servir pour prouver la faute du salarié devant les prud’hommes. À défaut, la vidéo est considérée comme obtenue de manière déloyale et ne peut pas servir de preuve.

 Les juges vont vérifier prioritairement, que le salarié et les représentants du personnel, ont été informés préalablement de l’installation des caméras, y compris lorsqu’elles sont installées sur le site d’une société cliente où interviennent des salariés(10).

 Il n’est donc pas possible de sanctionner un salarié via un enregistrement « clandestin »(11) !

Attention, un salarié n’a pas à être informé de l’installation de caméras dans les lieux où il ne travaille pas, et où il n’a a priori pas accès.

 -          Devant la juridiction pénale

Si la caméra en question, n’a pas été installée dans les conditions décrites, le juge pénal pourra toutefois accepter l’enregistrement et le joindre à la procédure.

En matière pénale, tant que la preuve peut être discutée entre les parties, elle pourra être apportée par tous moyens (y compris de manière déloyale)(12).

Le salarié ne peut donc pas se cacher derrière le principe de loyauté lorsqu’il s’agit d’une faute constituant une infraction pénale (ex : le vol). L’essentiel est que la preuve soit apportée, peu importe la manière.

Le tribunal correctionnel de Saint Etienne, dans un jugement du 19 novembre 2013, a  relaxé une entreprise qui avait pourtant filmé un représentant syndical CFDT, à son insu. Le tribunal justifie sa décison par le fait qu'il y avait eu des vols dans ce local et que les représentants du personnel savaient que des caméras étaient dissimulées. Ce jugement traduit bien le fait qu'au pénal,contrairement au civil, peu importe que les conditions de mise en place de la caméra soient respectées, lorsque le but est de démasquer des voleurs. 

A noter qu’en principe en cas de preuve déloyale, l’employeur risque malgré tout à une condamnation au pénale pour atteinte à l’intimité de la vie d’autrui(13).


(1) Art. L.1121-1 du Code du travail (principe de proportionnalité)

(2) Délibération Cnil n°2010-112 du 22.04.10

(3) Art. 9 du Code civil

(4) Commission nationale de l’informatique et des libertés.

(5) Art L.223-1 et suivants et Art. L.251-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure

(6) Loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure

(7) Art. L.2323-32 du Code du travail

(8) Art. L.1222-4 du Code du travail

(9) Cass.soc. 15.05.01, n°99-42.937

(10) Cass.soc. 10.01.12, n°10-23.482

(11) Cass.soc. 20.11.91, n°88-43-120

(12) Art.427 du Code de procédure pénale

(13) Art.226-1 du Code pénal