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Prud’hommes : (quasi) clap de fin pour le fonctionnement dérogatoire des juridictions !

Publié le 09/06/2021

La loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire a été publiée au Journal officiel le 1er juin 2021, dernier jour d’état d’urgence sanitaire. Parmi les nombreuses dispositions dérogatoires auxquelles elle se réfère, on en retrouve certaines qui ont trait au fonctionnement des conseils de prud’hommes. S’agissant d’une loi de « sortie de crise », il n’est évidemment plus question de modifier les dispositions dérogatoires déjà existantes ni (encore moins) d’en créer de nouvelles mais, à l’inverse, de désamorcer plus ou moins rapidement celles en vigueur. Article 8 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021

« Sortie de crise ».

Ces trois petits mots qui s’affichent fièrement en titre de la loi du 31 mai 2021 résonnent un peu comme une folle promesse : celle du retour à la vie d’avant ! Aussi se surprendrait-on presque à les savourer, à les lire et à les relire comme pour parvenir à mieux se convaincre de la réalité d’une telle perspective…

Mais qui dit retour à la vie d’avant dit aussi nécessité d’oublier progressivement les béquilles légales qui avaient été bricolées pour que le pays tienne bon dans la tempête. La justice en général –et les conseils de prud’hommes en particulier - ont eux-mêmes eu à fonctionner sous couvert de règles dérogatoires. Fort logiquement, ces règles doivent aussi être considérées comme ayant fait leur temps. Et c’est précisément pourquoi l’article 8 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 est venu organiser leur sortie de scène... 

Une année et demie de tâtonnements…

Pour un tant soit peu comprendre l’enchaînement des évènements (et des interventions du législateur), il y a d’abord lieu d’opérer un distinguo entre les deux périodes d’état d’urgence sanitaire que notre pays a connues.

- La première s’est étendue du 23 mars 2020 au 10 juillet 2020(1) : dès le 25 mars 2020, une ordonnance était venue fixer des règles de fonctionnement dérogatoire de la justice judiciaire (non pénale)(2); règles qui seront par la suite réajustées le 20 mai 2020(3)… avant que, finalement, elles ne meurent de leur belle mort le 10 août de la même année, soit 1 mois tout juste après la fin de ce premier état d’urgence.

Dans les tribunaux, la période transitoire qui a suivi (et qui devait normalement durer du 11 juillet 2020 au 31 octobre 2020(4)) s’est accompagnée d’un retour à la normale. Pas pour longtemps, puisque la dégradation automnale de la situation sanitaire nous a rapidement fait basculer vers une deuxième période d’état d’urgence sanitaire.

- La deuxième s’est étendue du 17 octobre 2020 au 1er juin 2021(5): dès le 18 novembre 2020(6), de nouvelles dispositions dérogatoires (très proches de celles ayant eu cours du temps de la première période d’état d’urgence sanitaire) ont été adoptées… dans le but (encore et toujours) d’aider ces juridictions à faire face aux vicissitudes inhérentes à la crise sanitaire. Il y a quelques jours de cela, la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire du 31 mai 2021 est venue instaurer l’existence d’une période transitoire courant du 1er juin 2021 au 30 septembre 2021. Et comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, les dispositions dérogatoires toujours en vigueur aujourd’hui s’éteindront cette fois en deux temps : au terme d’une période d’1 mois courant à compter de la fin du deuxième état d’urgence sanitaire pour certaines d’entre-elles (soit, le 1er juillet 2021), au terme de la période transitoire pour d’autres (soit, le 30 septembre 2021).

Les dispositions dérogatoires aujourd’hui en vigueur

C’est donc en dernier lieu cette ordonnance publiée au Journal officiel dans la deuxième partie du mois de novembre 2020 qui est venue affubler le fonctionnement des conseils de prud’hommes d’un certain nombre de règles dérogatoires(7).

Ces règles permettent :

 

-  de se tourner vers une autre juridiction en cas d’incapacité (totale ou partielle) d’une juridiction de 1er degré à fonctionner (article 2 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Dans ce cas, il revient au Premier président de la cour d'appel de désigner « par ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour pour connaître de tout ou partie de l'activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée » ;

- de gérer l’accès du public aux juridictions et aux audiences (article 3 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Il revient aux présidents de juridiction de définir l’accès aux juridictions, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public dans des conditions « permettant d’assurer le respect des règles sanitaires en vigueur ». Il revient aux présidents des formations de jugement de décider « avant l’ouverture de l’audience », d’une tenue des débats « en publicité restreinte » ou en « chambre du conseil » (et de fixer les modalités permettant aux journalistes d’assister aux audiences, « même lorsqu’elles se tiennent en chambre du conseil ») ;

- de limiter le nombre de juges prud’homaux susceptibles de composer les bureaux de jugement (article 4 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Il revient au Président du conseil de prud’hommes (après avoir pris avis du Vice-président) de décider de recourir pour tout le conseil de prud’hommes à des bureaux de jugement en formation restreinte seulement composés d’un conseiller prud’hommes salarié et d’un conseiller prud’hommes employeur ;

A noter  qu’en cas de partage des voix constaté au sein d’une formation restreinte, l’affaire est  « renvoyée devant un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes », à qui il revient de statuer « après avoir recueilli par tout moyen l’avis des conseiller présents lors de l’audience de renvoi en partage » 

- d’organiser des audiences « en distanciel » (article 5 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Par une décision non-susceptible de recours, le président de la formation de jugement peut décider que l’audience se tiendra « en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle » à la condition que cela permette de s’assurer de l’identité des personnes y participant et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats). A défaut, il peut être décidé (toujours par décision non-susceptible de recours) de recourir à « tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique », à la condition que cela satisfasse aux mêmes garanties que celles exigées pour un recours à un « moyen de télécommunication audiovisuel » ;

Dans un cas comme dans l’autre, « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d'une habilitation légale ou d'un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l'audience ou à l'audition peuvent se trouver en des lieux distincts » 

- d’organiser des procédures sans audience (article 6 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Dès lors que les parties sont assistées ou représentées par avocat, le président de la formation de jugement peut « à tout moment de la procédure » décider qu’elle se déroulera sans audience.

Informées « par tout moyen » de cette décision, les parties disposent alors en principe de 15 jours pour s’y opposer. Mais attention, « en cas d’urgence », ce délai peut être réduit par le président de la formation de jugement, sans que le volume de cette réduction ne soit précisé !

A défaut d’opposition, la procédure est alors « exclusivement écrite ». Ce qui n’empêche pas le président de la formation de jugement de tenir une audience dès lors qu’il estime impossible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou que l’une des parties le demande. 

- de faire réaliser les prestations de serment par écrit (article 7 de l’ordonnance du 18 novembre 2020). Dans ces cas, elle est déposée auprès de la juridiction concernée qui n’a plus qu’à en accuser réception.

Pour connaitre la position CFDT sur ces différentes mesures, consultez l'article publié le 2 décembre 2020 sur le site CFDT « Prud’hommes : fonctionnement dérogatoire des juridictions, saison 2 » : https://cfdt.fr/portail/actualites/prud-hommes-fonctionnement-derogatoire-des-juridictions-saison-2-srv1_1149413

 

Un clap de fin… mais un clap de fin progressif !

A en croire l’ordonnance du 18 novembre 2020 prise en sa version initiale, les dispositions prud’homales dérogatoires devaient normalement s’éteindre « à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire ».

Initialement fixée au 15 février 2021 minuit, la date de fin de l’état d’urgence sanitaire a finalement été reportée au 1er juin 2021 minuit.

En rajoutant le mois supplémentaire prévu par la loi, cela nous amène au 1er juillet 2021, minuit. Voici donc, en principe, la date de fin d’application des dispositions prud’homales dérogatoires.

Oui, mais voilà, certaines de ces dispositions connaîtront tout de même d’une période de survie sensiblement plus longue. La loi du 31 mai 2021 a en effet fixé une exception pour les dispositions visées « aux articles 3, 5 et 7 » de l’ordonnance du 18 mai 2020 en précisant qu’elles demeureront applicables jusqu’au 30 septembre 2021. 3 mois durant, ces trois-là survivront donc à l’échéance du 1er juillet minuit.

Mais alors, quels sont ces articles plus résistants que les autres ? Comme nous l’avons vu plus haut, l’article 3 est celui qui permet la gestion de l’accès du public aux juridictions et aux audiences. L’article 5 est celui qui permet l’organisation d’audiences « en distanciel ». L’article 7 est celui qui permet la réalisation des prestations de serment par écrit.

Pour avoir une vision plus claire et plus schématique des choses, nous vous invitons à vous reporter au tableau récapitulatif joint à cet article.

 

 

[1] Loi n° 2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23.03.20 et loi n° 2020-546 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions du 11.05.20.

[2] Ordonnance n° 2020-306 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non-pénales et aux contrats de syndic de copropriété du 25.03.20. Cf. la brève publiée sur le site CFDT le 01.04.20, « Covid-19 : deux ordonnances pour aider les prud’hommes à passer le cap de d’épidémie » : https://cfdt.fr/portail/espaces-collaboratifs/defenseurs-syndicaux-aux-prud-hommes/articles/fil-d-actu-juridique/covid-19-deux-ordonnances-pour-aider-les-prud-hommes-a-passer-le-cap-de-l-epidemie-srv2_1107227

[3] Ordonnance n° 2020-595 modifiant l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété du 20.05.20. Cf. la brève publiée sur le site CFDT le 03.06.20, « Covid-19 : (encore) de nouvelles règles de fonctionnement pour les conseils de prud’hommes ! » : https://cfdt.fr/portail/actualites/crise-du-covid-19/covid-19-encore-de-nouvelles-regles-de-fonctionnement-pour-les-conseils-de-prud-hommes-srv1_1121449

[4] Loi n° 2020-856 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire du 09.07.20.

[5] Décret n° 2020-1257 du 14.10.20 déclarant l’état sanitaire. La loi du 14.11.20 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de crise a prolongé, une première fois, l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 puis la loi du 15.02.21 prorogeant l’état d’urgence sanitaire a prolongé, une seconde fois, l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021.

[6] Ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés.

[7] Cf. la brève publiée le 02.12.20 sur le site CFDT, « Prud’hommes : fonctionnement dérogatoire des juridictions, saison 2 » : https://cfdt.fr/portail/actualites/prud-hommes-fonctionnement-derogatoire-des-juridictions-saison-2-srv1_1149413