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Transparence financière : publier ses comptes sur Facebook ne suffit pas !

Publié le 30/10/2018

Pour pouvoir exercer des prérogatives au sein d’une entreprise, un syndicat même non représentatif doit satisfaire à certains critères, notamment à celui de la transparence financière. Pour cela, il doit tenir ses comptes, les certifier mais aussi les publier. Peut-il satisfaire à cette dernière condition en publiant ses comptes sur sa page Facebook publique ? Non, a récemment répondu la Cour de cassation. Si les modalités de publicité des comptes peuvent être autres que celles prévues par la loi, il doit en revanche s’agir d’une mesure de publicité équivalente. Leur mise en ligne sur son Facebook, même sur l’espace public, n’en constitue pas une. Cass.soc.17.10.18, n°18-60030.

  • Les faits

Les faits sont simples : un syndicat (l’Union des syndicats anti-précarité) a désigné un représentant de section syndicale (RSS) au sein de la société Val d’Europe Airports. L’employeur a contesté cette désignation en considérant qu'au jour de la désignation, le syndicat n’avait toujours pas publié ses comptes. Le TI a approuvé et considéré qu’il n’avait pas satisfait au critère de transparence financière requis pour désigner un RSS.  

Le syndicat conteste et se pourvoit en cassation : il soutient au contraire qu’à la date de la désignation, ses comptes avaient bel et bien été publiés, non pas sur son site internet, mais sur sa page Facebook publique. Celle-ci étant accessible aussi librement qu’elle l’aurait été sur son site, il avait valablement publié ses comptes. En jugeant ainsi, le TI avait donc ajouté au critère de transparence financière un autre critère : celui de la publication des comptes.

La question posée à la Cour de cassation a donc été la suivante : un syndicat satisfait-il au critère de transparence financière en publiant ses comptes sur sa page Facebook publique ?

  • Rappel : quelles sont les conditions à remplir pour désigner un RSS ?

Chaque syndicat qui constitue une section syndicale au sein de l’entreprise peut, s’il n’est pas représentatif dans l’entreprise ou l’établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter (1).

Autrement dit, contrairement à la désignation d’un délégué syndical, qui est réservée aux syndicats représentatifs, celle du RSS est exclusivement réservée par la loi aux syndicats qui ne sont pas représentatifs.

Le syndicat qui désigne un RSS n’a donc pas besoin d’établir sa représentativité (2), il doit seulement, à la date de désignation, avoir constitué une section syndicale et remplir les conditions spécifiques d’ancienneté, de champ géographique et professionnel et de respect des valeurs républicaines (3).

Attention : en 2017 (4), la Cour de cassation est venue préciser que tout syndicat (qu’il soit ou non représentatif) devait, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, satisfaire au critère de transparence financière au moment de la désignation.
Ce critère doit donc être rempli pour pouvoir désigner un RSS.

  • Les obligations comptables liées à la transparence financière

Dans notre affaire, le principe est donc posé : pour pouvoir désigner un RSS, le syndicat doit bien satisfaire au critère de la transparence financière. Pour cela, il est tenu :

- d’établir et de certifier ses comptes

et

-  de les publier.

Qu’il s’agisse de l’établissement et de la certification des comptes (5) ou de leur publication, l’étendue des obligations du syndicat va dépendre de son niveau de ressources.

Petit rappel des obligations liées à la tenue des comptes par les syndicats :
- de 0 à moins de 2 000 euros de ressources : la tenue des comptes peut s’effectuer sous forme d’un simple livre mentionnant le montant et l’origine des ressources et des dépenses, ainsi que les références aux pièces justificatives (6) ;
- entre 2000 et 230 000 euros : les comptes annuels peuvent être établis sous la forme d’un bilan, d’un compte de résultat et d’une annexe simplifiés (7) ;
- plus de 230 000 euros : la tenue d’une comptabilité annuelle est obligatoire et comprend un bilan, un compte de résultats et une annexe, avec en plus l’obligation de faire certifier les comptes par un commissaire aux comptes (8).

En ce qui concerne la publicité des comptes, les règles sont les suivantes.

- Si les ressources sont supérieures à 230 000 euros : la publicité des comptes et du rapport du commissaire aux comptes doit être assurée dans un délai de 3 mois sur le site internet de la Direction des Journaux officiels (JO) (9).

- En revanche, si les ressources sont inférieures à 230 000 euros, ce qui est le cas dans notre affaire, la publicité des comptes doit être assurée dans un délai de 3 mois à compter de leur approbation, soit sur le site internet de la Direction des JO, soit par publication sur le site Internet du syndicat, soit, à défaut de site, auprès de la Direccte (10).

La jurisprudence considère toutefois que les syndicats peuvent rapporter la preuve de leur transparence financière par d’autres documents comptables que ceux qui sont exigés par la loi en termes de certification ou de publicité des comptes.

Pour autant, tous les moyens sont-ils admis ? Notamment, la publicité des comptes peut-elle être valablement effectuée sur la page Facebook publique du syndicat ?

  • La publication de ses comptes sur Facebook ne constitue pas une mesure de publicité suffisante

Dans notre cas, le problème soulevé ne porte non pas sur la tenue des comptes, mais sur leur publicité.

En l’espèce, le syndicat n’avait pas, au jour de la désignation du RSS, publié ses comptes sur le site internet de la Direction des JO, ou sur le sien, ni auprès de la Direccte comme le prévoit l’article D. 2135-8 du Code du travail. Il s’est contenté de publier ses comptes simplifiés sur sa page Facebook publique.

Son raisonnement est logique : en reconnaissant qu’au-delà d’un espace privé accessible aux seuls « amis », il existait un espace public ouvert à tous et dans lequel l’expression de certaines opinions exposait à des sanctions, la jurisprudence a admis qu’une page Facebook publique était bien dans le domaine public. Par conséquent, publier ses comptes sur cette page librement accessible au même titre que son site internet permet de rendre les informations disponibles dans l’espace public.

Bref, au jour de la désignation du RSS, il avait donc bien satisfait au critère de transparence financière.

Non, répond la Cour de cassation ! Celle-ci commence par rappeler le fait que les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne constituent que des éléments de preuve de la transparence financière et que leur défaut peut effectivement être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat, que le juge doit examiner. L’espace d’un instant, le syndicat a donc pu entrevoir l’espoir de voir sa désignation validée..

Seulement… après examen, les juges ont considéré que le syndicat « ne justifiait pas de la publication des comptes sur le site internet du syndicat ni par toute autre mesure de publicité équivalente ».

Si les modalités de publicité des comptes peuvent être autres que celles prévues par le Code du travail, toutes ne sont pas admises. Il doit s’agir d’une mesure de publicité équivalente.

Alors peu importe qu’il s’agisse de la page publique librement accessible à tous, une mise en ligne sur Facebook n’équivaut pas à une mise en ligne sur le site internet du syndicat et ne peut donc pas constituer un mode de preuve de la publicité de ses comptes.

Ces formalités sont simples et les conséquences en cas de non-respect sont  importantes, puisqu’il en va de la faculté des syndicats à exercer des prérogatives dans l’entreprise, notamment quand ils ne sont pas représentatifs. La vigilance s’impose donc...



(1) Art L.2142-1-1 C.trav.
(2) Les critères de représentativité des syndicats sont les suivants : le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, l’audience, l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, les effectifs d’adhérents et les cotisations.
(3) Cass.soc.08.07.09, n°08-60599 ; Cass.soc.31.03.10, n°09-60227.
(4) Cass.soc.22.02.17, n°16-60123 : en l’espèce, le syndicat avançait que le critère de la transparence financière ne s’imposait qu’aux OS qui souhaitaient démontrer leur représentativité en vue de désigner un DS, de signer un accord collectif, etc. et non à celles qui souhaitaient simplement désigner un RSS, puisque cette désignation ne leur était précisément réservée que dans la mesure où elles n’étaient justement pas représentatives... Soutenu par le TI, le syndicat s’est fait débouter par la Cour de cassation.
(5) Art L.2135-1 C.trav.
(6) Art D.2135-4 C.trav.
(7) Art D.2135-3 C.trav.
(8) Art D. 2135-2 C.trav.
(9) Art D.2135-7 C.trav.
(10) Art D.2135-8 C.trav.