Mutation intra-groupe : modalités d'application de la clause de non concurrence

Publié le 03/10/2018

La Cour de cassation, par un arrêt publié au bulletin, précise les modalités d’application de la clause de non concurrence lorsqu’un salarié est muté au sein d’une société du même groupe. Cass.soc., 12.09.18 n° 17-10853.

La clause de non concurrence est une des rares clauses qui s’applique après la relation de travail, interdisant au salarié d’exercer des fonctions équivalentes chez un concurrent afin de ne pas porter atteinte aux intérêts de son ancien employeur. En raison de l’atteinte à la liberté du travail, cette clause est valable sous réserve de réunir les trois conditions cumulatives suivantes :

- être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise,

- être limitée dans le temps et dans l’espace,

- prévoir une contrepartie pécuniaire.

L’employeur peut renoncer à l’application de la clause à condition que cette levée soit prévue dans le contrat de travail, ou dans une convention collective, et intervienne dans un délai précis et raisonnable afin de ne pas laisser le salarié dans l’incertitude concernant sa recherche d’emploi. 

Rappel des faits

Un salarié a été engagé en 2005 en qualité de directeur commercial. Son contrat contient une clause de non concurrence d’une durée de 2 ans. En 2007, un protocole met fin à la relation contractuelle afin que le salarié soit engagé par une autre société du même groupe. Son contrat contient à nouveau une clause de non concurrence. En 2010, une rupture conventionnelle est homologuée par l’administration, mettant donc fin à ce second contrat. 

Cette « simple » affaire a donné lieu à trois arrêts de la Cour de cassation entre 2014 et 2018 ! En effet, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes afin de demander le paiement de la contrepartie financière à l’encontre de la deuxième société au motif que celle-ci n’avait pas régulièrement renoncé à l’application de la clause et à l’encontre de la première société  en soutenant que le contrat avec la deuxième société avait seulement suspendu l’application de la clause initiale dont les obligations réciproques reprenaient après la seconde rupture. Notons que la contrepartie financière était loin d’être négligeable, représentant 50 % du salaire mensuel brut. 

Point de départ du délai de renoncement en cas de rupture conventionnelle

La question soumise à la Cour de cassation était donc de savoir à quel moment la seconde société pouvait renoncer à l’application de la clause de non concurrence suite à la conclusion d’une rupture conventionnelle. Sur ce point la Cour, en 2014, réaffirme sa jurisprudence et considère que le point de départ du délai pour dispenser un salarié de cette clause est la date de rupture fixée par convention elle-même - et non l’expiration du délai de rétractation, comme le soutenait le salarié. Rappelons que la rupture conventionnelle peut fixer une date de fin de contrat bien après l’homologation par l’administration. 

 

Y a-t-il une reprise d’ancienneté automatique en cas de mutation intra groupe ? L’arrêt de la Cour de Cassation du 13 juin 2018, n° 17-13447 précise qu’il n’y a pas une reprise automatique de l’ancienneté, mais que celle-ci peut être prévue  par des dispositions conventionnelles ou contractuelles, ou lorsqu’il est démontré une situation de coemploi entre les différentes sociétés concernées.

 

Les tergiversations de la Cour de cassation en cas de mutation intra-groupe 

Dans ce même arrêt de 2014, la Cour considère en revanche que le salarié n’a pas été délié de la clause par la première société et qu’il aurait donc dû percevoir une indemnité. Pour la Cour, la clause du premier contrat a simplement été suspendue et devait reprendre à l’issue du deuxième contrat avec la société du même groupe. La cour d’appel de renvoi a donc fait droit à la demande de la salariée en lui octroyant une indemnité au titre de la contrepartie financière. L’employeur s’est pourvu en cassation, avec un argument habile, en faisant valoir que le salarié avait violé la clause en travaillant pour une autre société ayant une activité similaire… Ce point n’a pas emporté la conviction des Sages de la rue Montpensier, l’arrêt d’appel a toutefois été cassé en 2016 en raison du non-respect du principe du contradictoire, et à nouveau renvoyé devant une cour d'appel.

La conclusion pragmatique de la Cour de cassation

Le 12 septembre 2018, la Cour a précisé sa jurisprudence en fixant les principes suivants. 

  • Une clause de non concurrence n’est pas applicable au salarié quittant une entreprise pour une autre dès lors que les deux entreprises ne sont pas en situation réelle de concurrence, mais appartiennent au même groupe économique, et que la mutation est le résultat d’une entente entre les deux employeurs. 
  • En conséquence, la clause reprend ses effets normaux à partir du jour où le contrat avec le second employeur est rompu ,sans pour autant que le délai soit reporté ou allongé. 

En l’occurrence, comme le premier contrat avait prévu une clause valable 2 ans et que le second contrat a été rompu plus 2 ans après, la Cour conclut que le salarié ne pouvait prétendre à la contrepartie financière. 

Cette jurisprudence a le mérite de la clarté :

- d’une part la clause, assez logiquement, ne s’applique pas au sein d’une société du même groupe lorsqu’elles ne sont pas en situation de concurrence et que la mutation s’est faite en bonne entente ;

- d’autre part la clause reprend ses effets après le second contrat à condition que sa durée initiale ne soit pas expirée. 

Certes, un nouveau délai de 2 ans ne commence pas à courir après la rupture du second contrat, mais cela n’est pas au désavantage du salarié sauf à considérer, ce qui a pu être le cas dans l’espèce, qu’il avait un droit acquis de même nature qu’une indemnité de licenciement. En effet, rappelons que si l’employeur est libéré de la contrepartie,  le salarié quant à lui se retrouve libre de tout engagement de non concurrence, ce qui facilite sa recherche d’emploi !  

Une clause de mobilité prévoyant une mutation intra-groupe est-elle valable ? Le 23 septembre 2009, la Cour de cassation a affirmé que toute clause de mobilité par laquelle le salarié lié par un contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société est considérée nulle, et cela quand bien même cette société appartiendrait au même groupe ou à la même UES. En effet, la mutation dans une autre société implique un changement d'employeur, même lorsqu’il s’agit du même groupe ou de la même unité économique et sociale. Or lorsque le changement d’employeur n’est pas automatique en raison d’un transfert légal du contrat de travail, il constitue une modification du contrat de travail qui ne peut intervenir sans l'accord du salarié.