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Licenciement injustifié : le barème à l'épreuve du droit international et européen

Publié le 07/11/2018

L'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a instauré un barème qui s'applique en cas de condamnation d'un employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. S'il a dores et déjà été reconnu conforme à la constitution, la question de sa compatibilité avec le droit international et le droit européen reste posé. Le premier jugement prud'homal connu qui s'est essayé à y répondre a été rendu à la fin du mois de septembre. A ce titre, il mérite que nous nous y arrêtions, même si nous ne sommes là qu'au début d'un processus qui verra d'autres conseils de prud'hommes et cours d'appel se prononcer... avant qu' in fine la Cour de cassation ne soit amenée à le faire.CPH du Mans, 26.09.18, n° F17/00538.

  •  Le système de barémisation existant   

Depuis maintenant un peu plus d’une année, l’article L. 1235-3 du Code du travail précise que les dommage-intérêts auxquels un employeur qui a licencié un salarié sans cause réelle et sérieuse peut être condamné connaissent d’un montant minimal et surtout d’un montant maximal ; le montant de ces minima et maxima n’étant amené à varier qu’en fonction de l’ancienneté du salarié.

C’est ainsi que le salarié qui compte moins d’1 an d’ancienneté et qui fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut espérer obtenir des dommages-intérêts équivalent à 1 mois de salaire maximum tandis qu’à l’autre bout de la chaine le salarié qui compte plus de 30 ans d’ancienneté et qui fait l’objet d’un licenciement tout aussi injustifié ne peut espérer obtenir qu’entre 3 mois minimum et 20 mois maximum. Et entre ces deux extrémités, 29 autres tranches intermédiaires ont été instaurées avec, pour chacune d’elles, un minimum et un maximum y correspondant.

La CFDT s’est vigoureusement opposée à l’avènement d’un tel système qui est par nature susceptible de mettre à mal le principe même de réparation intégrale du préjudice subi et de réduire à peau de chagrin le pouvoir d’appréciation du juge.

A tout de même été obtenu le fait que l’application du barème et ses plafonds se trouve écartée en présence des licenciements illicites les plus graves (violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou harcèlement sexuel, discriminations …) qui pour leur part se trouvent sanctionnés non pas par l’absence de cause réelle et sérieuse mais par la nullité (1).

  • Les faits propres à cette affaire

Une salariée occupait des fonctions de coordinatrice de site pour le compte de l’Office public de l’habitat (OPH) de la communauté urbaine du Mans. Recrutée en CDI temps plein le 15 mai 2017, elle sera licenciée « pour cause réelle et sérieuse » dès le 3 octobre suivant.

Ses fonctions la conduisaient à être en contact direct avec les locataires du parc de l’OPH et, dans ce cadre, il lui sera notamment reproché de communiquer avec eux de manière inappropriée : « paroles vulgaires » et autres « vocabulaire plutôt mal poli à plusieurs reprises ».

L’employeur a réagi alors de manière particulièrement virulente puisqu’au retour de ses congés d’été, à la fin du mois d’août 2017, non seulement il a remis à la salariée une convocation à un entretien préalable « à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement » mais il l’a aussi  immédiatement éloignée de l’entreprise par une mesure de mise à pied conservatoire.

In fine, le déploiement d’une tel armada apparaîtra bien disproportionné puisque la salariée ne sera pas licenciée pour faute grave mais « simplement » pour « cause réelle et sérieuse » et que, à l’aune du procès prud’homal, le dossier de l’employeur se révélera vide : aucun témoignage direct de locataires n’accréditant les reproches qui lui étaient faits…         

  • Article L. 1235-3 du Code du travail versus une convention de l’organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne

S’agissant du droit du licenciement, la France se trouve liée par un certain nombre de textes internationaux. Parmi eux, l’on retrouve l’article 10 de la convention de l’OIT n° 158 et l’article 24 de la Chartre sociale européenne. Sur le fond, ces deux dispositions démontrent une grande proximité rédactionnelle.

Pour la première, lorsque les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié  (…) ils doivent être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » tandis que pour la seconde « les Parties » à la Charte sociale européenne  « s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une réparation appropriée ».

L’ex-salariée de l’OPH de la communauté urbaine du Mans se référera à ces deux textes (auxquels la France est liée) afin d’arguer de l’inconventionalité de l’article L. 1235-3 du Code du travail et, en conséquence, de l’illégalité du barème qui, quelques jours avant son licenciement, avait été introduit par ordonnance dans notre droit. 

  • La convention n° 158 de l’OIT, seule susceptible d’être directement invoquée par les salariés

Dans son jugement rendu le 26 septembre 2018, le CPH du Mans estime que seul l'article 10 de la convention de l'OIT n° 158 doit être vu comme étant d'application directe. Ce au motif que l'article 24 de la charte sociale européenne, qui ne fait qu'inviter les membres du Conseil de l'Europe à décliner les principes qu'il énonce dans leur législation interne, ne doit pas être considéré comme contraignant à l'égard des employeurs. Le concernant donc, seule la responsabilité des Etats concernés pourrait se trouver engagée

Aussi le CPH du Mans ne reconnaît-il à la salariée que la possibilité de se prévaloir de l'article 10 de la convention de l'OIT n° 158. Ce qui au final ne pouvait guère prêter à conséquence quant à l'issue du procès puisque le contenu de ces deux textes est très proche.

Oui mais voilà, si le CPH du Mans a considéré que l'article 10 de l'OIT n° 158 était bien d'application directe, il a aussi décidé que notre droit interne était parfaitement conforme...

Quel contrôle de la bonne application par la France de l’article 24 de la Charte sociale européenne ? C’est le Comité européen des droits sociaux (CEDS) qui, au sein du Conseil de l’Europe, est chargé de veiller à la bonne application par les Etats qui en sont membres de la Charte des droits sociaux. Cet organe non juridictionnel peut être saisi dans le cadre d’une « réclamation collective », notamment par les organisations internationales d’employeurs et de travailleurs et par les organisations nationales représentatives d’employeurs et de travailleurs « relevant de la juridiction de l’Etat mis en cause par la réclamation »Dans ce cadre, le CEDS pourrait très bien être conduit à considérer que, par l’introduction du barème applicable aux dommages-intérêts sanctionnant les licenciements sans cause réelle et sérieuse, la France a violé l’article 24 de la Charte des droits sociaux. Elle a en effet déjà épinglé pour ce même motif la Finlande, alors que celle-ci avait introduit dans son droit interne des dispositions assez proches de celles qui ont cours chez nous depuis 2017. Le système finlandais prévoit en effet une indemnisation allant de 3 à 24 mois (voire 30 lorsqu’il s’agit de représentants du personnel ou de délégués syndicaux) ainsi qu’une indemnisation spécifique et non-plafonnée en cas de discrimination, d’atteinte à l’égalité femmes / hommes ou bien encore de mise en cause de la responsabilité civile de l’employeur. Au final, le fait que dans les cas les plus graves, l’application du barème se trouve écartée (tout comme dans notre système) n’a pas suffi à garantir la conformité de la législation finlandaise à l’article 24 de la Charte des droits sociaux ; le Comité ayant ici considéré que ces indemnisations possiblement déplafonnées n’étaient pas « de nature à concerner tous les salariés abusivement licenciés ».

  • La conventionalité de l’article L. 1235-3 du Code du travail reconnue

Le licenciement prononcé par l’OPH du Mans sera bien considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse. Mais le conseil de prud’hommes du Mans rejette la requête en inconventionalité, s’appuyant sur une série de trois arguments.

1er argument : entre les deux bornes du barème, le juge demeure libre « de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié » et notamment « l’âge et les difficultés à retrouver un emploi ». Ce faisant, le conseil de prud’hommes du Mans marche dans les pas du conseil constitutionnel qui, le 21 mars 2018, s’était peu ou prou livré à la même analyse.

Pour autant, ce 1er argument n’emporte pas nécessairement la conviction. Dans notre cas de figure, la salariée licenciée justifiait d’une ancienneté inférieure à 1 an. En conséquence, au vu du barème figurant à l’article L. 1235-1 du Code du travail, les dommages-intérêts auxquels elle pouvait prétendre ne connaissaient d’aucun minimum et ne pouvaient excéder la hauteur d’1 mois de salaire. En quoi le juge prud’homal était-il alors mis en position d’apprécier la hauteur d’indemnisation du préjudice effectivement subi par la salariée ? Sa marge d’estimation était en effet cantonnée à un espace allant d’1 euro symbolique à 1 mois de salaire…

Le tribunal reconnaîtra d’ailleurs implicitement son incapacité à apprécier finement le préjudice subi en condamnant l’employeur à des dommages-intérêts fixés à hauteur d’1 mois de salaire.

Mais qui plus est, dans une configuration autre, la capacité du juge prud’homal à apprécier la hauteur du préjudice subi aurait été encore davantage biaisée. Ainsi par exemple, d’un salarié âgé de 56 ans abusivement licencié après 3 ans de bons et loyaux services. Les dommages-intérêts auxquels il pourrait prétendre ne pourraient aller que de 3 mois minimum à 4 mois maximum. Comment pourrait-on alors décemment prétendre que le juge prud’homal serait libre « de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié » afin d’apprécier à sa juste hauteur les dommages-intérêts auxquels pourraient prétendre le salarié licencié ?

2è argument : le barème n’est pas applicable dans les cas de manquement les plus graves de l’employeur (générant de ce fait le prononcé d’un licenciement non pas sans cause réelle et sérieuse mais nul) et notamment en cas de « violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » ou bien encore en cas d’ « atteinte à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ».

Ce 2è argument n’est pas non plus exempt de critique car comme l’a fait remarquer le Comité européen des droits sociaux à propos du cas finlandais, de telles capacités de déplafonnement ne seront en aucun susceptibles de concerner l’ensemble des salariés abusivement licenciés.

3è argument : l’article L. 1235-3 du Code du travail ne vise qu’à « réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi ». C’est ainsi que le jugement précise expressément que « les autres préjudices, en lien avec le licenciement, et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civile, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct ».

Ce 3è argument est plus intéressant, puisqu’il ouvre grand la voie au développement des demandes de dommages-intérêts annexes à ceux visés à l’article L. 1235-3 du Code du travail. Dans l’affaire qu’il avait à juger, le conseil de prud’hommes du Mans semble d’ailleurs « compenser » par ce biais la faiblesse des dommages-intérêts qu’il a alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il n’hésitera pas à condamner l’employeur au versement de dommages-intérêts pour « rupture brutale et vexatoire » supérieurs à ceux alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. On peut cependant se demander en quoi la possibilité offerte aux tribunaux de statuer sur des demandes indemnitaires de cet ordre est susceptible de garantir la parfaite adéquation de l’article L. 1235-3 du Code du travail avec l’article 10 de la convention de l’OIT n° 158.

Nous l’avons bien compris, le jugement prud’homal ici commenté ne doit être vu que comme la toute première étape d’un long chemin. A n’en pas douter, d’autres décisions prud’homales (puis de cours d’appel) seront conduites à se prononcer sur la question de la conventionalité de l’article L. 1235-3 du Code du travail avant qu’in fine la Cour de cassation ne vienne fixer la jurisprudence.


(1) Art. L. 1235-3-1 C. trav.