Egalité de traitement : les avantages catégoriels par voie d’accord sont présumés justifiés

Publié le 04/02/2015

Ce n’est pas exactement un revirement, plutôt une « correction ». La Cour de cassation modifie en partie sa jurisprudence relative à la justification des avantages catégoriels conventionnels au regard du principe d’égalité de traitement. Désormais, les différences de traitement, opérées entre catégories professionnelles (ex : cadres, non-cadres), quand elles sont contenues dans une convention ou un accord collectif, sont présumées justifiées. La haute Cour renverse donc la charge de la preuve qui pèse sur celui qui conteste, et qui devra démontrer que ces avantages catégoriels conventionnels sont étrangers à toute considération de nature professionnelle. Cass. soc. 27.01.15, n°13-22.179.

  •  Rappel de la jurisprudence de 2011

Selon le principe d’égalité de traitement, les différences opérées par l’employeur entre les salariés placés dans une même situation sont interdites. Sauf si elles sont justifiées par des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence. Aussi, une convention ou un accord collectif prévoyant une différence de traitement entre les salariés (le plus souvent entre les cadres et les non-cadres) doit justifier cette différente de traitement par des raisons objectives (que ce soit au niveau des congés payés, des tickets restaurants ou de durée du préavis).

Par deux arrêts datant du 8 juin 2011 (1), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement, résultant d’un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage. Cette différence devant reposer sur des raisons objectives (tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération des salariés relevant d’une catégorie déterminée) dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

Pour la CFDT, à l’époque, cette jurisprudence ne remettait pas en cause la possibilité de prévoir des avantages catégoriels, mais imposait de les justifier, par des raisons objectives (et non par la seule différence de catégorie professionnelle), directement au sein des accords qui les mettent en place.

Certes, cette solution pouvait mettre à mal la sécurité juridique de ces accords collectifs qui n'avait pas prévu de justification objective. Et le salarié, en contestant l’avantage catégoriel, pouvait remettre en cause l’ensemble d’un accord collectif, qui résulte du compromis d’un intérêt général.

Dans le communiqué de la Cour de cassation (2) publié sur son site, la Haute Cour reconnaît elle-même la difficulté provoquée par sa décision de 2011 : « La règle avait vocation à s’appliquer à toute inégalité constatée, que celle-ci trouve sa source dans une décision unilatérale de l'employeur,ou dans une convention ou un accord collectif. Mais, dans le domaine du droit négocié, l’expérience a montré que cette exigence de justification se heurtait à des difficultés tenant notamment au fait qu’elle pesait le plus souvent sur l’employeur, pris individuellement, alors qu’était en cause une convention ou un accord conclu au niveau national ».

  • Le revirement de 2015 ?

Par l’arrêt du 27 janvier 2015, la Cour de cassation « corrige » donc sa jurisprudence, en privilégiant la sécurité juridique de la convention ou de l’accord collectif qui octroie l’avantage, en lui attribuant une présomption de légalité. Ceci au motif qu’il est négocié par les organisations syndicales représentatives légitimes.

En l’espèce, la convention collective Syntec (3) prévoyait des avantages catégoriels (notamment en matière d’indemnité et de durée du préavis de licenciement et de moyens de transport) au profit des ingénieurs et cadres par rapport aux employés, techniciens et agents de maîtrise.

La haute Cour pose le principe suivant : « les différences de traitements entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

  • Charge de la preuve inversée et légitimité du dialogue social renforcée

Le principe ne change pas : les avantages catégoriels doivent toujours être justifiés, mais dans la mesure où ils sont octroyés par voie de convention ou accord collectif, ils sont présumés justifiés. La preuve contraire reste toujours possible, il appartient à celui (salarié ou organisation syndicale) qui conteste cette différence de traitement, d’apporter la preuve qu’elle est étrangère à toute considération de nature professionnelle.

Le communiqué de la Cour de cassation, suite à l’arrêt, précise que « les négociateurs sociaux agissant par délégation de la loi doivent disposer dans la mise en œuvre de la loi du principe d’égalité de traitement d’une marge d’appréciation comparable à celle que le Conseil Constitutionnelle reconnaît au législateur ».

Ainsi, la Cour de cassation consacre la légitimité des accords signés par les organisations syndicales représentatives depuis la loi de 2008. Nous ne pouvons que nous en réjouir, car ce sont la légitimité du dialogue social et la sécurité juridique des accords collectifs qui s’en trouvent renforcées.  

 

Quid des avantages octroyés par voie unilatérale? La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt datant également du 27 janvier 2015 (4), a clairement exclu l’application de ce nouveau principe aux avantages catégoriels octroyés par décision unilatérale de l’employeur. Ils devront être justifiés par des raisons objectives dont le juge devra contrôler la réalité et la pertinence. L’employeur devra en rapporter la preuve.

 


(1) Cass.soc.08.06.11, n°10-14.725 et 10-11.933
(2) La Cour de cassation publie un communiqué lorsqu’elle rend un arrêt posant un nouveau principe et qu’elle souhaite expliquer sa position. A noter qu’il n’a qu’une valeur informative.
(3) Convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
(4) Cass.soc.27.01.15, n°13-17.622. 

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