Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel valide le cœur du dispositif

Publié le 29/03/2017

Le 23 mars dernier, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi sur le devoir de vigilance qui institue une nouvelle obligation pour les entreprises transnationales d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Toutefois, il a censuré les sanctions civiles pouvant être infligées aux entreprises indisciplinées. Cons.const.23.03.17, décision n°2017-750 DC.

Deux jours après l’adoption définitive par le Parlement de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre le 21 février dernier, plus de 60 députés et 60 sénateurs du parti "Les Républicains" ont saisi le Conseil constitutionnel.

Pour rappel, la loi sur le devoir de vigilance prévoit que les entreprises françaises employant au moins 5 000 salariés et les entreprises étrangères employant au moins 10 000 salariés et ayant des activités en France ont l’obligation de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Ce dernier doit comporter des mesures destinées à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves aux droits humains et libertés fondamentales, à la santé et la sécurité ou à l’environnement. Il couvre les filiales, les sous-traitants et fournisseurs avec lesquels l’entreprise a des rapports directs, que ceux-ci soient implantés en France ou à l’étranger.

Dès lors que l’entreprise ne satisfait pas à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre le plan de vigilance, la loi du 21 février dernier prévoit une procédure en trois temps.

- Tout d’abord, une mise en demeure est adressée à l’entreprise (débitrice de l’obligation d’établir un plan de vigilance).

- Ensuite, si elle n’y satisfait pas dans un délai de 3 mois, toute personne justifiant d’un intérêt à agir a alors la possibilité de saisir le juge, lequel peut enjoindre à l’entreprise, le cas échant sous astreinte, de respecter ses obligations. Ces dispositions sont validées par le Conseil constitutionnel.

- Seul le troisième temps, à savoir les amendes civiles, a été censuré. Auparavant, le juge pouvait aller jusqu’à la condamnation de l’entreprise au paiement d’une amende civile dont le montant ne pouvant excéder 10 millions d’euros. Cette amende civile pouvait être multipliée par trois (30 millions d’euros) dans le cas où la responsabilité de l’entreprise était engagée. Le Conseil constitutionnel censure ce dernier aspect.

  • L’obligation d’établir un plan de vigilance ne méconnaît pas le principe de la liberté d’entreprendre

Alors que les requérants invoquaient une atteinte manifeste à la liberté d’entreprendre, notamment par le fait que les entreprises «soumises aux exigences de la loi déférée seraient contraintes de divulguer des informations relatives à leur stratégie industrielle et commerciale» (1), les Sages n’ont pas suivi cette argumentation. Pour eux, le législateur dispose de la possibilité d’apporter à la liberté d’entreprise des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, si toutefois il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Dès lors, l’obligation d’établir un plan de vigilance ne confère aucune prérogative de nature à porter atteinte à la liberté d’entreprendre et n’impose pas aux entreprises de rendre publiques des informations relatives à leur stratégie industrielle ou commerciale. La loi ne méconnaît ainsi pas la liberté d’entreprendre.

  • Le champ d’application du plan de vigilance conforme au principe d’égalité devant la loi

Pour les requérants, en assujettissant seulement les entreprises dépassant certains seuils en nombre de salariés (5 000 ou 10 000) à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance, le législateur contrevient au principe d’égalité devant la loi. De plus, ils soutiennent que le champ d’application du plan de vigilance méconnaît ce principe du fait qu’il exclut les sous-traitants et fournisseurs qui n’entretiennent pas une «relation commerciale établie» avec l’entreprise soumise à l’obligation de vigilance.

Or, pour le Conseil constitutionnel, en déterminant des seuils, «le législateur a retenu des critères et des catégories en rapport avec l’objectif qu’il s’est assigné» (2). En outre, en procédant à des distinctions (entre les sous-traitants et fournisseurs qui détiennent «une relation commerciale établie» et ceux qui n’en détiennent pas) pour déterminer le champ d’application du plan, le législateur a créé des différences de situation «qui ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi».

  • Les sanctions civiles méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines

En revanche, s’agissant des sanctions civiles, le Conseil constitutionnel donne raison aux requérants. Il affirme que la sanction attachée à l’obligation civile d’établir un plan de vigilance est assortie d’une sanction ayant le caractère d’une punition. A ce titre, les nouvelles obligations incombant à l’entreprise et la sanction doivent être définies en termes suffisamment clairs et précis.

Or, le Conseil constitutionnel reproche au législateur d’avoir employé des termes généraux et indéterminés tels que «droits humains», «libertés fondamentales»,  et de ne pas avoir suffisamment précisé le périmètre, pour lui trop large, des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ du plan de vigilance. En outre, le Conseil constitutionnel ajoute que le législateur n’a pas précisé si la sanction encourue l’est pour chaque manquement à l’obligation qu’il définit ou une seule fois quel que soit le nombre de manquements.

Par conséquent, le Conseil constitutionnel censure les dispositions relatives aux sanctions civiles.

  • Des recours possibles en cas de manquement de l’entreprise à son obligation de vigilance

Il est important toutefois de souligner que, même si le juge ne pourra condamner une entreprise au paiement d’une amende du seul fait de l’absence, de la défaillance ou du défaut de mise en œuvre du plan, il sera toujours possible pour lui d’enjoindre l’entreprise, le cas échéant sous astreinte, de respecter ses obligations.

Par ailleurs, une victime, une organisation syndicale ou une ONG ont la possibilité d’engager la responsabilité civile délictuelle de l’entreprise pour un dommage causé par une filiale ou un sous-traitant et qu’elle aurait pu éviter avec un plan de vigilance effectif. A ce titre, le Conseil constitutionnel valide la possibilité d’engager la responsabilité de l’entreprise en cas de manquement sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil. Il précise, contrairement à ce que soulignaient les requérants, que le régime de responsabilité ne correspond pas à un régime de responsabilité du fait d’autrui mais bien à un régime de responsabilité pour faute. Pour condamner l’entreprise au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, la victime devra dès lors prouver :

- l’existence d’une faute (par exemple l’absence, la défaillance ou le défaut de mise en œuvre du plan de vigilance) ;

- un préjudice ;

- le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.

Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel précise la nécessité d’établir un lien de causalité direct entre les manquements et le dommage (3).

Si la responsabilité de l’entreprise est engagée, le juge pourra également ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci.

Même si la censure des sanctions civiles est regrettable, la CFDT se félicite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel qui préserve l’essentiel du dispositif. Mobilisée depuis plusieurs années pour l’adoption de cette loi, la CFDT se réjouit du fait que la France soit le premier pays au monde à se doter d’un tel dispositif de prévention.

La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre a été publiée au Journal officiel du 28 mars 2017. Elle s’appliquera dans son intégralité à compter de 2018.



(1) § 15 de la décision.

(2) § 21 de la décision.

(3) §27 de la décision.