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Covid-19 : quel recours possible au droit de retrait ?

Publié le 18/03/2020

Malgré le « semi-confinement » qui frappe le pays depuis le mardi 17 mars midi, nombre de salariés se trouvent encore dans l’obligation de rejoindre quotidiennement leur lieu de travail. La question de savoir s’ils sont en droit de faire valoir leur droit de retrait est donc plus que jamais d’actualité. Il n’y a pas de réponse monolithique à apporter à cette interrogation, mais une appréciation au cas par cas à réaliser. Avec en perspective, pour nos représentants du personnel, la possibilité (voire la nécessité) d’associer ce droit au droit d’alerte.

Les travailleurs ont une obligation : celle d’alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont ils ont un « motif raisonnable » de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé, ainsi que de toute défectuosité qu’ils constatent dans les systèmes de protection.

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Mais ils ont aussi un droit : celui de se retirer d’une telle situation. Et ce sans avoir à respecter un formalisme particulier (1).

Qu’est-ce que le danger grave et imminent ?

- Le danger « grave » est un danger « susceptible de produire un accident ou une maladie entrainant la mort ou paraissant devoir entrainer une incapacité permanente ou temporaire prolongée »
- Le danger « imminent » est susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché.

Attention ! Le risque à effet différé fait lui aussi partie de la notion de danger grave et imminent. Ce n’est pas le dommage qui doit être imminent, mais l’exposition.  Précision qui est susceptible de prendre toute son importance s’agissant du Covid-19...

Le salarié dispose là d’un droit, qu’il peut faire jouer dès lors qu’il a un « motif raisonnable de penser » qu’il y a danger grave et imminent. L’apparence et la bonne foi du salarié suffisent donc ici à pouvoir justifier un retrait, peu importe qu’au final, la croyance du salarié se révèle fausse.

Mais attention, ce droit ne doit pas pour autant être exercé à la légère : toutes les situations ne le justifient pas !

Le salarié qui se serait retiré sans « motif raisonnable » peut très bien être vu comme ayant commis un abus de droit et s’exposer, de ce fait, à une retenue sur salaire, à une sanction disciplinaire voire à un licenciement.

Le cas échéant, c’est au conseil de prud’hommes d’apprécier souverainement le caractère « raisonnable » du motif.

Dans des situations telles que des pandémies grippales, le droit de retrait ne s’applique pas systématiquement, car il vise une situation particulière de travail, et non la situation générale de pandémie. C’est pourquoi, à partir du moment où l’entreprise a mis en œuvre l’ensemble des mesures prévues par le Code du travail et par les recommandations nationales pour assurer la protection de la santé des travailleurs, l’existence même du virus ne suffit pas à elle-seule à justifier l’exercice du droit de retrait (2).

  • Un droit de retrait à articuler avec le droit d’alerte

Le droit de retrait est essentiel, notamment dans des situations d’urgence absolue impliquant une réaction immédiate. Et parce qu’il permet d’engager un rapport de forces avec l’employeur, lorsqu’il est imminent et afin que celui-ci prenne des mesures adaptées, il s’inscrit dans une utilisation préventive.

Mais le droit de retrait est avant tout de nature individuelle. Aussi doit-il, pour être plus efficace encore, s’articuler avec un droit de nature plus collective : le droit d’alerte du CSE.

L’alerte lancée par le CSE déclenche en effet l’obligation, pour l’employeur, d’initier une enquête conjointe avec l’élu qui a déclenché l’alerte, et l’obligation, en cas de désaccord, de réunir le CSE dans les 24 heures qui suivent.

  • Les trajets domicile / travail à l’heure du confinement et le recours au droit d’alerte

Une question plus particulière se pose depuis quelques heures : le passage au stade du « semi-confinement », tel qu’il s’applique depuis un peu plus de 24 heures, n’est-il pas de nature à de remettre la question du droit de retrait à l’ordre du jour dans un certain nombre d’entreprises ? Tout au moins pour les salariés qui, du fait même des fonctions qu’ils occupent dans l’entreprise, ne peuvent y télé-travailler.

Lorsque l’activité de l’entreprise rend leur intervention indispensable, le Gouvernement les autorise à quitter leur domicile pour rejoindre leur lieu de travail. Mais en pratique, d’autres difficultés sont susceptibles d’émerger. Ainsi par exemple pour les salariés qui présentent une fragilité de santé particulière qui, elle-même, est susceptible de les exposer à des risques particuliers en cas de contamination.

Bien entendu, l’employeur doit encore et toujours se conformer à son obligation de sécurité en mettant en œuvre les mesures de prévention adéquates. Jusque-là, rien de bien nouveau !

Mais qu’en est-il du risque de contamination inhérent au temps éventuellement passé dans les transports en commun ?  Ces salariés « fragiles » (dès lors qu’ils ne sont pas en arrêt maladie) ne sont-ils pas en droit de faire valoir leur droit de retrait au vu du risque que leur ferait prendre le trajet domicile / travail ? Difficile à envisager puisque, dans un tel cas de figure, l’employeur remplit bel et bien ses obligations en termes de préservation de la santé et de sécurité de ses salariés.

Mais ne serait-ce alors pas à nos représentants du personnel de se saisir de cette situation via la remontée la plus rapide possible vers l’employeur d’un droit d’alerte ?



(1) Art. L. 4131-1 C.trav.

(2) Circ. DGT 2009/16, 03.07.09.