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Covid-19 : deux ordonnances pour aider les prud’hommes à passer le cap de l’épidémie

Publié le 01/04/2020

Depuis que le « semi-confinement » lié à la propagation du covid-19 est entré en vigueur, les conseils de prud’hommes de notre pays connaissent, à l’instar des autres juridictions, de très importantes difficultés de fonctionnement. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs encore fermés.

Les salariés sont les premières victimes de cette situation puisqu’ils se trouvent clairement atteints dans leur capacité à faire valoir leurs droits. Dans le cadre de la loi d’urgence n°2020-290 du 23.03.20 pour faire face à l'épidémie de covid-19, le Gouvernement a réagi face à ces difficultés de fonctionnement en prenant deux ordonnances, qui ont très rapidement été publiées au Journal officiel. C’était le 26 mars dernier.

 

 PICTO CPH-Orange

  • Etat d’urgence sanitaire

Voilà le nouveau régime d’exception dans lequel notre pays est entré le 24 mars. Et comme tout régime d’exception, il s’accompagne d’une cohorte de mesures dérogatoires au droit commun ayant vocation à s’appliquer tout au long de son existence provisoire.

Le fonctionnement de notre système judiciaire n’a pas échappé à l’application de telles mesures dérogatoires. Ce qui n’est guère étonnant puisque, depuis que le « semi-confinement » a été imposé aux populations, les juridictions de notre pays sont pour ainsi dire à l’arrêt.

La justice est en effet en tout premier lieu une activité humaine. Les audiences qu’elle tient sont ouvertes au public et les juges sont, dans leur activité quotidienne, au contact direct des justiciables et des personnes chargées de les assister et de les représenter.

Cet aspect des choses prend d’ailleurs un relief tout particulier s’agissant des conseils prud’hommes, puisque ces juridictions connaissent d’une « procédure orale » (1). En période normale, cette oralité, qui peut être vue comme une garantie d’accès au juge devient, en période de contamination virale, un véritable ennemi de la santé publique ! 

Il fallait donc trouver des solutions pour qu’en ces temps de contamination par le covid-19, la justice en général, dont celle du travail, ne soit pas, elle aussi, mise en quarantaine. C’est ce à quoi s’est appliqué le Gouvernement en publiant ces ordonnances.

  • Des mesures dérogatoires, oui mais pour combien de temps ?

Les dispositions particulières visées à ces ordonnances sont applicables pendant toute la période d’état d’urgence sanitaire à laquelle il y a lieu de rajouter 1 mois. Sur cette base-là, elles devraient normalement perdurer jusqu’au 24 juin 2020

La période d’état d’urgence sanitaire a en effet débuté le 24 mars 2020. Sa durée est de 2 mois, ce qui nous mène au 24 mai 2020. Période à laquelle il convient de rajouter 1 mois, ce qui nous mène au 24 juin 2020.

A noter ! Nous verrons cependant qu’en ce qui concerne les délais (et, notamment, le délai de prescription), l’ordonnance n° 2020-306 a rétroactivement fait courir la période dérogatoire au 12 mars 2020.

 

  • Permettre au justiciable de ne pas être rattrapé par une prescription à agir pendant la période d’état d’urgence sanitaire    

L’ordonnance n° 2020-306 précise que toute action en justice prescrite par la loi ou par le règlement à peine de prescription et qui aurait dû être accomplie pendant une période courant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 sera réputée avoir été faite à temps si elle a été effectuée dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de 2 mois (2).

Ainsi, les salariés pour lesquels la prescription à agir arrive à échéance pendant cette période verront leur délai pour agir « réactivé » au terme de cette période. 

Pour la CFDT, cette disposition mérite d’être saluée, puisqu’elle est clairement de nature à préserver le droit des salariés à agir. 

 

  • Faciliter le fonctionnement des conseils de prud’hommes pendant la période d’état d’urgence sanitaire (+ 1 mois), soit du 24 mars 2020 au 24 juin 2020

L’ordonnance assouplit nombre des exigences formelles inhérentes à la procédure. Ce, afin de faciliter la poursuite de l’activité juridictionnelle des juridictions judiciaires non-pénales, au rang desquelles figurent les conseils de prud’hommes.

C’est ainsi qu’elle rend possible :

- un échange entre les parties de leurs écritures et de leurs pièces « par tout moyen », dès lors que le juge a pu s’assurer du respect du contradictoire (3) ;

- avant l’audience et par ordonnance non contradictoire, un rejet des référés introduits et ce, notamment, pour irrecevabilité de la demande (4) ;

- sur décision du président de la juridiction, un déroulement des débats « en publicité restreinte » et, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, un déroulement des débats en chambre du conseil, à huis clos (5) ;

- sur « décision du juge ou du président de la formation de jugement », une organisation de l’audience via « un moyen de télécommunication audiovisuelle », ou à défaut, via « tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique », à la condition toutefois que l’identité des parties puisse être vérifiée et que la qualité de la transmission et de la confidentialité des échanges puisse être assurée (6).

La « décision du juge ou du président de la formation de jugement » serait ici insusceptible d’appel.

- sur « décision du juge ou du président de la formation de jugement », et dès lors que chacune des parties est assistée ou représentée par avocat, un recours à une « procédure sans audience », c’est-à-dire exclusivement régie par l’écrit (7).

Les parties peuvent s’opposer au recours à la « procédure sans audience » sauf en matière de référé, de procédure accélérée au fond (par exemple, en droit du travail, pour les contestations des avis d’aptitude / inaptitude rendus par la médecine du travail) et de procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé (par exemple, en droit du travail, pour les requalifications de CDD en CDI ou bien encore les contestations de la rupture du contrat de travail suite à une prise d’acte).

C’est ainsi qu’elle impose : 

- pour les audiences (clôture d’instruction ou décision de statuer selon la procédure sans audience) qui tombent pendant la période d’état d’urgence sanitaire, un recours DE DROIT à une formation restreinte du bureau de jugement (un juge employeur et un juge salarié) (8). 

 

  • Parer aux difficultés de fonctionnement d’un conseil de prud’hommes  

Et si malgré toutes ces facilités de fonctionnement, un conseil de prud’hommes devait être dans l’incapacité de fonctionner en tout ou partie, le Premier président de la cour d’appel concernée désignerait une autre juridiction de même nature et du même ressort pour connaître (en tout ou partie) de l’activité du conseil de prud’hommes empêché (9).

Pour la CFDT, ces mesures dérogatoires au droit commun sont parfaitement acceptables dès lors qu’elles permettent la continuité du service public de la justice tout en garantissant le respect dû aux principes, eux-mêmes garants des droits des justiciables, tels que le contradictoire et, s’agissant plus particulièrement des prud’hommes, le paritarisme.

En ce sens, les termes sur « décision du juge ou du président de la formation de jugement » auxquels recourt l’ordonnance n° 2020-304 devront être interprétés à l’aune de cette dernière exigence.

La mise en œuvre de ces mesures doit cependant appeler toute notre vigilance, car certaines d’entre-elles sont susceptibles de générer des abus. Ainsi, par exemple, du tri rendu possible des dossiers préalablement aux audiences de référé, qui pourrait rapidement devenir un obstacle à l’accès au juge.

 

  • Pendant la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois, neutraliser le cours des astreintes et l’application des clauses pénales ayant pris effet avant le 12 mars 2020

Ainsi, une clause pénale, ou une astreinte, qui serait en cours avant le 12 mars 2020 se trouverait-elle figée pendant la période d’urgence sanitaire + 1 mois (10).

 

  • Neutraliser les astreintes et les clauses pénales / résolutoires qui auraient dû prendre cours ou produire effet pendant la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois

Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ni produit effet, si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois (11).

On peut donc penser que ces astreintes prendront cours et que ces clauses ne produiront leurs effets qu’à compter du 25 juin 2020

 

Pour la CFDT, ces deux derniers points sont difficilement compréhensibles. En effet :

- sur l’aspect « clause pénale », cette disposition interroge par rapport à la cohérence de sa mise en œuvre. Prenons en effet l’exemple d’un contrat de travail qui s’est cassé il y a 10 mois et dont la clause de non-concurrence (assortie d’une clause pénale) est encore en application. La période d’état d’urgence sanitaire ne dispensant pas le salarié de rechercher un nouvel emploi, faut-il en déduire que durant cette même période le recrutement d’un salarié - pourtant tenu par une clause de non-concurrence - par une entreprise concurrente n’est pas sanctionnable ?

- sur l’aspect « astreinte », elle interroge par sa potentielle dangerosité. Un employeur qui se serait vu, par exemple, ordonner la délivrance sous astreinte d’un document indispensable au déclenchement de l’indemnisation chômage de son ex-salarié se trouverait mis à l’abri (en terme de liquidation de l’astreinte) pendant toute la période d’état d’urgence sanitaire plus 1 mois ? Les conséquences pour le salarié pourraient alors être délétères…

=> Devra-t-il attendre la fin de l’état d’urgence sanitaire pour faire valoir un droit dont dépend le déclenchement de son indemnisation chômage ?     



(1) Art. R. 1453-3 C. trav.

(2) Art. 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25.03.20.

(3) Art. 5 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(4) Art. 9 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(5) Art. 5 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(6)Art. 7 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(7) Art. 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(8) Art. 5 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(9) Art. 3 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

(10) Art. 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25.03.20.

(11) Art. 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25.03.20.