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Covid-19 : congés, repos et durée du travail, ce qui peut vous être imposé

Publié le 01/04/2020

Dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire, le Gouvernement a notamment fait adopter le 25 mars dernier, une ordonnance qui modifie certaines dispositions liées notamment aux congés payés, aux repos ainsi qu’à la durée du travail, permettant ainsi aux entreprises d’avoir recours à des dérogations en la matière. En voici un exposé.

Les dispositions spécifiques au temps de travail issues de l’ordonnance du 25 mars 2020 n°2020-323 (1) sont applicables depuis le 26 mars et jusqu’au 31 décembre 2020Elles permettent de déroger au droit du travail dans trois domaines : les congés payés, les jours de repos et la durée du travail.

 

  • Sur les congés payés : la possibilité de négocier des mesures dérogatoires

Pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19, un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche, peut :

    - autoriser l’employeur à  imposer la prise de congés payés, dans la limite de 6 jours (c’est-à-dire 1 semaine de CP)

L’employeur doit respecter un délai de prévenance d’au moins 1 jour franc (contre 1 mois jusqu’ici).

Qu’est-ce qu’un jour franc ?
Cela correspond à un jour qui dure de 0 h à 24 h. Un délai ainsi calculé ne tient pas compte du jour de la décision à l'origine du délai, ni du jour de l'échéance. Si le délai s'achève un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est reporté d'1 jour.

  • Cette disposition vise tant les congés acquis, que ceux qui sont en cours d’acquisition (c’est-à-dire qu’ils pourront être pris avant même l’ouverture de la période de prise des congés).
  • Attention : il s’agit de 6 jours de CP maximum jusqu’au 31 décembre 2020 !

Attention, dans tous les cas, le droit européen impose qu’un travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins 4 semaines (2) !

Ce qui s’applique aujourd’hui :

Aujourd’hui, les modalités de prise des congés payés (CP) sont régies par des règles strictes. Ainsi :

- le salarié acquiert des CP sur une « période d’acquisition » : celle-ci est fixée par un accord d’entreprise ou à défaut de branche. A défaut d’accord, elle court du 1er juin au 31 mai de l’année suivante ;

- l’employeur doit informer les salariés au moins 2 mois avant son ouverture de la période de prise des congés. Cette période est fixée par un accord d’entreprise, ou à défaut de branche. Dans tous les cas, elle comprend obligatoirement la période 1er mai au 31 octobre ;

- un accord d’entreprise, ou à défaut, de branche détermine l’ordre des départs en CP. A défaut, c’est l’employeur qui s’en charge, après avis du CSE. Il doit tenir compte de certains critères (ancienneté, autre activité, possibilité de congés du conjoint, charges de famille, etc) ;

- l’employeur doit ensuite informer le salarié au moins 1 mois avant la date de son départ en CP (sauf dispositions différentes d’un accord collectif).

En cas de circonstances exceptionnelles, l’employeur peut modifier les dates de départ en congés qui ont déjà été posées, sans respecter le délai de prévenance d’1 mois. 

L’épidémie de covid-19 constitue une circonstance exceptionnelle permettant de ne pas respecter ce délai.

L’employeur ne peut pas obliger le salarié à prendre :

   - des congés sans l’avoir informer au moins 1 mois à l’avance,

   - des congés par anticipation (c’est-à-dire qui n’ont pas encore été acquis),

   - des congés sans solde,

   - des congés qui ont été acquis, avant la période de laquelle ils ont vocation à être pris.

 

 - autoriser l’employeur à modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés dans la limite de 6 jours

  • Cette disposition porte sur les congés payés déjà posés par le salarié.
  • L’employeur doit respecter un délai de prévenance d’au moins 1 jour franc (contre un mois jusqu’ici).
  • A défaut d’accord collectif, la loi autorise déjà l’employeur à le faire sans respecter le délai de prévenance d’un mois, en cas de circonstances exceptionnelles comme c’est le cas actuellement. 

 - autoriser l’employeur à imposer le fractionnement du congé principal lorsqu’il est supérieur à 12 jours, sans l’accord du salarié

Ce qui s’applique aujourd’hui :

- Le salarié, qui dispose en principe de 30 jours de CP/an (5 semaines), peut prendre au moins 24 jours continus de CP sur la période allant du 1er mai au 31 octobre : il s’agit du congé principal.

 - En principe, la 5è semaine n’est pas accolée à ce congé principal.

- Lorsque le congé principal ne dépasse pas 12 jours (2 semaines): il doit être pris en continu.

- Lorsque le congé principal dépasse 12 jours : les congés payés restants peuvent être fractionnés, c’est-à-dire posés en dehors de cette période, à condition que le salarié soit d’accord. Quoi qu’il en soit, le salarié doit bénéficier de 12 jours de CP continus.

 - Cette prise de congés en dehors de la période « estivale » ouvre droit à des jours de congés supplémentaires (dits « jours de fractionnement »).

- En principe, ni l’employeur ni le salarié ne peuvent imposer le report de tout ou partie des congés sur la période suivante.

Cela n’est possible que dans certains situations (ex : maladie ayant empêché la prise du congés), par accord collectif ou par un accord entre les parties.

 

 - Un accord collectif peut autoriser l’employeur à fixer les dates de congés sans tenir compte du droit aux congés simultané des conjoints ou pacsés salariés de la même entreprise

L’employeur pourra dissocier leurs congés si la présence de l’un des deux conjoints seulement est indispensable à l’entreprise, ou si l’un des deux a déjà épuisé ses CP.

Ce qui s’applique aujourd’hui : les conjoints ou partenaires de PACS salariés d’une même entreprise ont droit à un congé simultané.

 

=> A noter que les jours imposés ne pourront pas l’être au-delà du 31 décembre 2020 !

En bref, si un accord collectif le prévoit, l’employeur pourrait donc unilatéralement : 
- imposer des CP non posés (6 jours max, avec un délai de prévenance d’un jour franc) ;
 
- imposer des CP avant l’ouverture de la période de prise habituelle;
 
- fractionner les CP ;
 
- imposer des CP différents pour les conjoints ou pacsés d’une même entreprise ;
le tout dans la limite du 31/12/2020
Les accords ainsi conclus remplaceront les mesures existantes (accords de branche, d’entreprise, dispositions du Code du travail).
A défaut d’accord, ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent.

Pour la CFDT : ces mesures dérogent temporairement aux dispositions légales et aux accords collectifs applicables (d’entreprise, d’établissement ou de branche). La CFDT a obtenu de haute lutte que ces dérogations fassent l’objet d’un accord collectif ; il s’agit là d’un garde-fou essentiel. Si accord collectif il y a, les représentants CFDT devront donc veiller à :
- encadrer les situations dans lesquelles l’employeur pourra avoir recours à ces mesures ;
- préciser les périodes de CP concernées par ces mesures, laisser le choix aux salarié à l’intérieur d’une période donnée; - prévoir un délai de prévenance supérieur à 1 jour franc et préciser les modalités d’information des salariés ;
- être vigilant sur les possibilités de fractionnement du congé principal ;
- prévoir des garanties pour les conjoints ou salariés pacsés ;
- prévoir l’implication du CSE.

 

  • Sur les jours de repos : un élargissement du pouvoir de l’employeur

L’employeur peut déroger de manière unilatérale aux dispositions conventionnelles applicables (d’entreprise ou de branche) lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie au regard des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19. 

Il pourra ainsi, sans besoin d’accord collectif :

-  imposer ou modifier les journées de RTT acquises dans le cadre d’un accord de réduction du temps de travail, ou les jours de repos conventionnels attribués dans le cadre d’un dispositif d’aménagement du temps de travail au-delà de la semaine (y compris les jours dont la prise relève en principe du choix du salarié) ;

Pour les RTT, les jours doivent avoir été acquis. L’employeur ne peut pas imposer de RTT « par anticipation ».

-  imposer et modifier les dates de prises de jours de repos acquis prévus par une convention de forfait annuel en heures ou en jours ;

-  imposer la prise de jours de repos placés sur un CET.

 

Les conditions et limites :

l’employeur doit respecter un délai de prévenance d'1 jour franc ;

cette possibilité se limite à 10 jours, tout jour de repos (imposé ou modifié) confondu (RTT, jours de repos ou CET);

ꞏ les journées de repos imposées ou modifiées ne peuvent aller au delà du 31 décembre 2020


A noter que la mesure visant les congés payés et celle visant les jours de repos sont cumulables !
L’employeur pourrait donc par accord collectif imposer 6 jours de CP et, unilatéralement, imposer jusqu’à 10 jours de repos, soit 16 jours au total d’ici le 31 décembre 2020 !

La CFDT avait demandé que cette possibilité soit aussi encadrée par accord collectif, mais n’a malheureusement pas obtenu gain de cause.

Toutefois, ces dérogations ne devraient pouvoir être utilisées que si « l’intérêt de l’entreprise le justifie au regard des difficultés économiques liées à la propagation du virus ». Les représentants CFDT devront veiller à ce que cette justification ne soit pas détournée par les employeurs. Par ailleurs, rien n’interdit de négocier pour encadrer ce pouvoir unilatéral de l’employeur (cas de recours, délais, modalités de l’information, etc.).

Par ailleurs, il est tout-à-fait possible de négocier, notamment à l’occasion de la négociation d’un accord sur les congés payés, afin d’encadrer, voire de limiter, ce pouvoir unilatéral de l’employeur (cas de recours, délais et modalités d’information, limiter le nombre et la nature des jours « imposables »...).

  • Sur le repos du dimanche : une extension des dérogations au repos dominical

Pour qui ?

-  Dans les entreprises des secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et à la sûreté de la nation (dont la liste sera fixée par décret).

- Dans les entreprises qui assurent aux précédentes, des prestations nécessaires à l’accomplissement de leur activité principale ;

- Des dispositions s’appliquent également aux entreprises situées dans les départements de laMoselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

- Pour quelle durée ?  Jusqu’au 31 décembre 2020 !

 

  • Sur la durée du travail : une extension des dérogations aux durées maximales de travail

Dans certains secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et à la sûreté de la nation (dont la liste sera fixée par décret), l’employeur pourra déroger de manière unilatérale aux règles d’ordre public en matière de durée du travail, et aux stipulations conventionnelles applicables. 

Il pourra ainsi :

-        réduire le repos quotidien à 9 h consécutives, sous réserve d’un repos compensateur équivalent à la durée du repos non pris. (Il est aujourd’hui fixé à 11h, sauf dérogation) ;

-        porter la durée maximale quotidienne de travail à 12 h (elle est aujourd’hui fixée à 10 h, sauf dérogation) .

-        fixer la durée maximale hebdomadaire moyenne à 48 h sur 12 semaines consécutives ou 12 mois pour certains exploitants ou entreprises agricoles (3) (elle est aujourd’hui fixée à 44h, sauf dérogation) ;

-        fixer la durée maximale absolue hebdomadaire à 60 h (elle est aujourd’hui fixée à 48 h, sauf dérogation) ;

-        fixer la durée maximale quotidienne d’un travailleur de nuit à 12 h, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur équivalent à la durée du dépassement  (elle est aujourd’hui fixée à 8h avec droit à un repos équivalent, sauf dérogation) ; 

-        fixer la durée maximale hebdomadaire moyenne d’un travailleur de nuit à 44 h sur 12 semaines consécutives (elle estaujourd’hui fixée à 40 h, sauf dérogation).

 

Conditions

- Les secteurs concernés seront déterminés par décrets. Pour chacun d’eux seront définies les catégories de dérogations admises et la durée maximale de travail ainsi que les durées minimales de repos susceptibles d’être fixées par l’employeur « dans le respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs ». 

L’employeur qui use d’au moins une de ses mesures, doit, sans délai et par tout moyen, informer le CSE et la Direccte.

- Les dérogations ne seront applicables qu’à compter de la publication des décrets d’application.

- Les dérogations ne seront possibles que jusqu’au 31 décembre 2020

 La CFDT avait demandé que la loi d’urgence encadre ces dérogations possibles en matière de durée du travail par accord collectif, mais elle n’a pas obtenu gain de cause. Certes, ces mesures sont provisoires, mais elles peuvent amener certains salariés à travailler 48 heures par semaine sur plusieurs semaines consécutives, avec des pics à 60 h/semaime, avec des amplitudes de travail pouvant aller jusqu’à 12 h/jour. Ajoutons à cela l’obligation de solder ses congés payés ou ses RTT sur des temps non choisis.

Bref, le cumul de ces mesures pourrait incontestablement avoir des conséquences désastreuses sur la santé et la sécurité des travailleurs !

Pour la CFDT, il n’est pas question que ces dérogations se fassent au détriment de la sécurité et de la santé des salariés.

C’est pourquoi, ces mesures doivent plus que jamais faire l’objet d’un dialogue social de qualité.

A noter que pour faire suite à une demande de la CFDT, le Gouvernement s’est engagé à ce que chaque secteur fasse l’objet d’un décret, dont la validité sera définie sur une période strictement limitée aux besoins du secteur et à ceux de la Nation. Chaque décret tiendra compte de la nature des activités à réaliser et « permettra de préserver la santé des travailleurs durant cette période exceptionnelle ». Les partenaires sociaux de chaque champ concerné devraient d’ailleurs être impliqués dans l’élaboration de ces décrets.

Quoi qu’il en soit, les représentants CFDT seront particulièrement vigilants quant au « respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs », seule limite garantie par l’ordonnance à ces dérogations !

 



(1) Ordonnance du 25.03.20, n° 2020‐323 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos.

(2) Art. 7 de la directive européenne du 4.11.03 concernant certains aspects du temps de travail.

(3) Pour les exploitations, entreprises, établissements et employeurs mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 et aux 2°, 3° et 6° de l'article L. 722-20 du Code rural et de la pêche maritime et ayant une activité de production agricole.