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Télétravail et titres-restaurant : l’employeur peut-il exclure les télétravailleurs qui mangent chez eux ?

Publié le 19/07/2017

Le régime juridique gouvernant le télétravail ne permet pas aujourd’hui de régler toutes les difficultés inhérentes à cette forme d’organisation du travail. Non seulement, le cadre juridique offert par le Code du travail et l’ANI de 2005 est insuffisant, mais le contentieux portant sur le télétravail est lui-même peu abondant.  Plusieurs arguments vont toutefois dans le sens du bénéfice des titres-restaurant aux télétravailleurs.

 

  • Aucun texte n’exclut les télétravailleurs

Aucun texte relatif à l’attribution de titres-restaurant n’exclut expressément les télétravailleurs du bénéfice. La seule condition posée par le Code du travail (1) est que le repas soit « compris dans son horaire de travail journalier », sans exiger par ailleurs que cet horaire de travail soit effectué dans ou hors de l’entreprise.
En 2013, la Cour de cassation a précisé qu’il n’y avait pas lieu de distinguer selon que cette inclusion concerne des plages d’horaires fixes ou résulte de la libre détermination par le salarié des plages mobiles qu’autorise son contrat de travail et lui permettant d’intercaler son temps de repas entre deux séquences de travail.

Les autres conditions à l’obtention de titres-restaurant :  

-        L’attribution d'un titre restaurant implique l'existence d'un lien de salariat entre l'employeur et le bénéficiaire des titres (contrat de travail, intérimaire, stagiaire ....).

-        Il ne peut être attribué qu'un seul titre restaurant par jour de travail (et à condition que le temps de repas soit compris dans l'horaire de travail journalier, y compris pour les salariés à temps partiel).

-        Le salarié ne peut acquérir des tickets pour ses jours d'absence et ce, quel que soit le motif de l'absence (congés annuels, maladie, maternité, etc.). Seuls les jours de présence effective ouvrent droit  à attribution d’un TR.

  • Une position de l’Urssaf favorable

 Pour l’Urssaf, les choses sont très claires : le télétravailleur est un salarié à part entière qui doit bénéficier des mêmes droits individuels et collectifs que ses collègues travaillant au sein de l’entreprise que ce soit en termes de :

-        Rémunération (elle ne doit pas être inférieure au minimum prévu pour une personne de même qualification occupant un poste de même nature),

-        Politique d’évaluation,

-        Formation professionnelle,

-        Avantages sociaux (titres-restaurant chèques vacances, etc.).

Dès lors que les salariés qui exercent leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs à domicile, nomades ou en bureau satellite doivent aussi en bénéficier si leurs conditions de travail sont équivalentes. Aussi, si leur journée est organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas, ils doivent recevoir un titre-restaurant et ce, quel que soit le nombre de jours de télétravail (2).
Ce droit aux titres-restaurants vaut aussi bien que leur mise en place soit postérieure ou antérieure au passage au télétravail. 

  • Principe d’égalité de traitement : l’ANI de 2005

Par ailleurs, en application du principe général d’égalité de traitement entre salariés, les télétravailleurs doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. C’est une règle d’ordre public que rappelle l’Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005 dans son article 4 portant sur les « conditions d’emploi ». L’article 12 ajoute qu’il ne peut être dérogé, pour son application aux dispositions de cet article 4.
Le titre-restaurant étant considéré comme un avantage social collectif devant être accordé sur une base égalitaire à l’ensemble des salariés, c’est-à-dire de manière égale et indifférenciée, il n’y a donc en principe pas lieu de faire une distinction selon le lieu de travail du salarié.
Les télétravailleurs doivent donc pouvoir bénéficier de titres-restaurant au même titre que les autres salariés. Les en exclure contreviendrait aux dispositions de l’ANI de 2005.

  • Sur la position de la Cour de cassation

Pour la Cour de cassation, l’employeur n’a aucune obligation légale de mettre en place des titres-restaurant. Aucune disposition légale, ni règlementaire ne lui interdit donc de subordonner l’attribution de cet avantage à certains critères, à condition toutefois :

-        qu’ils soient objectifs,

-        et qu’il n’y ait pas de discrimination entre les salariés.

Aussi, en 1992, elle a admis que l’employeur puisse prévoir une tarification différente en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés, à partir du moment où cette différenciation était fondée sur un critère objectif (la distance séparant le lieu de travail du domicile). Pour les juges, cette pratique n’est pas considérée comme discriminatoire. Dans cette affaire il s’agissait de faire bénéficier d’une meilleure prise en charge de leurs frais de repas, les salariés qui se trouvaient dans l’impossibilité de regagner leur domicile.

La même année, la Cour d’appel a également admis que l’employeur puisse n'attribuer des titres-restaurant qu'aux salariés domiciliés en dehors de la commune où est située l'entreprise.
Dans ces conditions, on peut par exemple imaginer que l’employeur puisse moduler le montant du titre-restauratn jusqu’à un montant égal à zéro lorsque le salarié travail à domicile…

  • Une solution à nuancer à plusieurs titres

-        Une décision qui date

Lorsque la Cour de cassation a rendu sa décision (en 1992), l’Urssaf avait à l’époque une position contraire à celle d’aujourd’hui en ce qu’elle préconisait de ne pas donner de titres-restaurants aux télétravailleurs.

Depuis le changement de position de l’Urssaf en 2011, la Cour de cassation n’a pas eu encore à se prononcer sur ce point. Il n’est donc pas certain qu’elle adopte aujourd’hui une solution aussi ferme que celle visant à exclure les télétravailleurs du bénéfice de cet avantage.

-        Une exclusion qui risque de contrevenir au principe de l’égalité salariale

Même s’il ne peut être assimilé au salaire pour l’application des règles relatives au calcul du salaire minimum ou au paiement, cet avantage que constitue le titre-restaurant, revêt un caractère rémunératoire relevant ainsi de la qualification de rémunération au sens européen du terme et des règles relatives à l’égalité de traitement. Si l’employeur peut traiter différemment des salariés en ce qu’il octroie des titres-restaurant à certains et pas à d’autres, les critères qu’il doit prendre en compte doivent répondre à des conditions objectives, générales et connues de tous.

Il a notamment été jugé, pour des salariés intérimaires, que la rémunération qu’ils devaient percevoir correspond au salarie ou traitement ordinaire de base ou minimal ainsi qu’à tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, en raison de l’emploi occupé (6).

-        Un risque de discrimination indirecte.

Si le télétravail répond dans la majorité des cas à une volonté du salarié, ce choix n’est pas toujours « libre ». Dans la pratique, mais de nombreux accords collectifs le prévoient également, il arrive que le télétravail soit un moyen de maintenir ou de faire accéder à l’emploi des travailleurs qui en raison de leur état de santé, de grossesse ou de leur situation de handicap, ne pourraient pas, sans cet aménagement, travailler.


Dès lors, exclure l’ensemble des télétravailleurs du bénéfice des titres-restaurant, ne risque-t-il pas de créer une discrimination indirecte plus spécifiquement à l’égard de ces télétravailleurs ? Avec le développement du télétravail, la question paraît en effet essentielle et vaut la peine d’être défendue. 

(1)    Art. L. 3262-1 et R.3262-7 du CT.
(2)    Cass. soc. 20.02.13, n° 10-30028.
(3)    Document Urssaf du 8.9.2015.
(4)    Cass.soc.22.01.92, n°88-40938.
(5)    CA Montpellier, 22 oct. 1992.
(6)    Cass.soc.29.11.06, n° 05-42853.