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Egalité de traitement : non cadres circulez, y a rien à comparer !

Publié le 14/11/2018 (mis à jour le 30/11/2018)

Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de cassation admet une inégalité de traitement entre cadres et non cadres pour le versement d’une prime de 13è mois.  Elle considère que les cadres, en raison de leur statut, ne sont pas placés dans une situation identique aux non-cadres. La méthode de cette décision, publiée au bulletin, inquiète (Cass.soc., 26.09.18, n°17-15101).

  • Faits et procédure 

Ils attendent. Les 39 ouvriers et employés de l’entreprise Cooper sécurité ont saisi la justice prud’homale après la mise en lumière, par une expertise, de l’existence d’un avantage correspondant à un 13è mois pour les cadres de l’entreprise. Les salariés ont agi sur le fondement de l’inégalité de traitement.

Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel de Riom, en Auvergne Rhone Alpes, ont fait droit aux demandes des salariés au motif que l’employeur n’a pu établir en quoi la différence de traitement était justifiée par des raisons objectives, réelles et pertinentes.

La Haute Cour casse la décision de la cour d'appel en excluant la prime de 13è mois, sans appliquer la méthode fine de comparaison des avantages qu’elle a pourtant construite ces 20 dernières années.

Il est ici question d’inégalité de traitement et non de discrimination. Ces deux notions sont souvent confondues dans le langage courant, en droit il est fondamental de les distinguer. La discrimination étant considérée comme une atteinte plus grave, elle est pénalement sanctionnée. Pour faire un lien entre les deux notions, on peut définir la discrimination comme une inégalité de traitement fondée sur un motif prohibé (parmi les 24 motifs, dont le dernier en date la domiciliation bancaire).

  • La solution : son analyse et sa portée 

"Circulez, y a rien à comparer !" : cette formule sommaire pourrait résumer cette décision... La solution de l'arrêt fait fi de la construction jurisprudentielle de ces dernières années. Il est possible de considérer, pour la Cour, que la différence est présumée justifiée du simple fait de la différence de statut. Pourtant la jurisprudence s’est précisément construite contre cette idée. La présomption de justification ne vaut jusqu’à présent qu’en cas d’accord collectif légitimé par le vote des salariés - et non pour une décision unilatérale comme ici.

En l'espèce, les juges du fond avaient respecté la méthode de la Haute Cour. Celle ci n’interdit pas les différences de traitement, mais demande qu’elles soient objectivées. La Cour écarte le 13è mois de cette méthode de comparaison « qu’elles que soient les modalités de son versement ». Ce point a son importance. Le débat a porté sur la question de savoir s’il s’agissait d’une gratification sans lien directe avec le travail, comme retenue par les juges du fond, ou d’une modalité de paiement du salaire de base sur 13 mois, comme l’employeur l'a soutenu, justifiant ainsi l'inégalité.

La Cour de cassation occulte totalement ce débat pour conclure :

« UNE PRIME DE 13È MOIS, QUI N’A PAS POUR OBJET SPÉCIFIQUE ÉTRANGER AU TRAVAIL ACCOMPLI OU DESTINÉE À COMPENSER UNE SUJÉTION PARTICULIÈRE, PARTICIPE DE LA RÉMUNÉRATION ANNUELLE VERSÉE, AU MÊME TITRE QUE LE SALAIRE DE BASE, EN CONTRE PARTIE DU TRAVAIL À L’ÉGARD DUQUEL LES SALARIÉS CADRES ET NON CADRES NE SONT PAS PLACÉS DANS UNE SITUATION IDENTIQUE. »

A ce stade, cette jurisprudence conduit-elle à étendre le champ des exceptions ? Pour l’instant l'exception est cantonnée aux avantages liés à la protection sociale que la Cour de cassation a rapidement écarté du champ en précisant qu’ «  en raison des particularités des régimes de prévoyance incluant la protection sociale complémentaire, qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, qui prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d'un organisme extérieur à l'entreprise, l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre les salariés d'une même catégorie professionnelle » (Cass.Soc., 9.07.2014 n°13-12121). 

Le raisonnement de la Cour de cassation est inquiétant à plusieurs titres, notamment en ce qu’elle considère que le 13è mois, peu importe sa modalité de versement, n’a pas un objet étranger au travail accompli pour justifier l'inégalité cadres, non-cadres. Ce raisonnement peut s’appliquer à toute forme de gratification puisque au final tout peut être lié indirectement à la présence au travail mais sans forcément en être la contrepartie directe !

Ce recul dans la finesse de l’analyse appelle donc à la vigilance pour les futures actions contentieuses, d'autant que dans l'affaire ici commentée la décision de la Cour est sans renvoi. Elle est donc définitive au plan interne...

 

 

De longues dates les différences entre catégories professionnelles ont justifié des différences de traitement. On pense notamment aux périodes d'essai plus longues pour les cadres, aux indemnités de licenciement conventionnelles parfois plus importantes pour les cadres, ou encore l’existence de caisses de retraite différentes. 
A l’occasion de l’arrêt Ponsolle lié à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes la Cour de cassation a dégagé le célèbre principe général : « A travail égal, salaire égal » (Cass. soc., 29.11.96, n° 92-42.291). Ce principe n’a eu de cesse d’être précisé jusqu’à la formule suivante de la Cour de cassation :  « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » (Cass.Soc., 20.02.08, n° 05-45.601). 
La raison objective et pertinente permettant de justifier une inégalité a été définie comme suit : « Constitue une raison objective et pertinente  la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération » (Cass. Soc., 8.06.11, n° 10-14725). 
Plus récemment la Cour de cassation a consacré la légitimité des accords signés par les OSR renforçant ainsi la légitimité du dialogue social et la sécurité juridique des accords collectifs : « les différences de traitements entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Cass.Soc., 27.01.15, n°13-17.22). 
Enfin, en 2017 la Cour de cassation a considéré, s’agissant d’une prime de 13è mois qualifiée de gratification sans lien direct avec le travail, qu’elle ne pouvait être réservée à certains salariés, sauf à justifier de raisons objectives telles que l’exercice de « responsabilités plus importantes »  ou l’existence de « sujétions particulières en matière de protection et de sécurité » (Cass.Soc., 12.07.17, n° 16-19710).