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Section syndicale : comment prouver le nombre d’adhérents en justice ?

Publié le 04/07/2018

En cas de contestation sur l’existence d’une section syndicale, comment le syndicat doit-il rapporter la preuve en justice du nombre d’adhérents si ces derniers s’opposent à la révélation de leur adhésion ? La Cour de cassation nous rappelle dans cet arrêt la règle en la matière : il appartient au juge d’aménager la règle du contradictoire en autorisant le syndicat à fournir seulement au juge (et non à l’employeur) les éléments permettant l’identification des adhérents. Cass.soc., 20.06.18, n°17-17.791.

Pour rappel, le principe du contradictoire est un principe de droit qui existe dans toute procédure. Ce principe signifie que, dans le cadre d’un litige et à tous les états de la procédure, les parties à l’instance (demandeur et défendeur) doivent s’informer et discuter les prétentions, les arguments et les preuves rapportés par l’une et l’autre des parties. Ce principe garantit la liberté de la défense.

  • Faits et procédure

Dans cette affaire, un employeur reproche à une organisation syndicale d’avoir désigné un représentant de la section syndicale au sein de son entreprise,sans qu’elle rapporte la preuve de l’identification d’au moins 2 adhérents au syndicat. Par conséquent, l’employeur demande l’annulation de la désignation du représentant de la section syndicale.

Pour rappel, il résulte des articles L.2142-1 et L.2142-1-4 du Code du travail que pour constituer une section syndicale et désigner un délégué syndical ou un représentant de cette section, le syndicat doit établir la présence d’au moins 2 adhérents à la date de cette désignation (1).

Devant le tribunal d’instance, l’organisation syndicale en cause oppose à l’employeur la preuve de l’existence de ses adhérents. Pour cela, elle produit en justice 2 mandats de prélèvement SEPA signés de 2 salariés autorisant le syndicat à faire prélever automatiquement sur son compte bancaire le montant des cotisations syndicales. 
En outre, le syndicat invoque l’existence d’autres adhérents salariés de l’entreprise, mais qui ne souhaitent pas que leur identité soit dévoilée. De ce fait, le syndicat a demandé au tribunal de l’autoriser à fournir en justice, mais de manière non contradictoire, des éléments justifiant l’identification d’autres adhérents.

Le tribunal d’instance ne l’a pas entendu de cette oreille et a considéré que la preuve des 2 adhésions au syndicat n’a pas été rapportée et annule la désignation du représentant de la section syndicale. Pour lui, les mandats de prélèvements SEPA ne constituent pas preuve du paiement des cotisations syndicales, aucun extrait de compte bancaire démontrant l’effectivité du paiement des cotisations syndicales n’ayant été produit.

En conséquence de quoi l’organisation syndicale s’est tournée vers la Cour de cassation pour faire valoir l’ensemble de ces preuves et reconnaître la constitution de la section syndicale. La question qui se pose vise à savoir si, lorsque des salariés s’opposent à la révélation de leur identité, un syndicat peut être autorisé par le juge à fournir de manière non contradictoire – c’est-à-dire sans en informer la partie adverse (l’employeur) – les éléments qui permettent l’identification de ses adhérents.

  • La possible dérogation à la règle du contradictoire

La Cour de cassation répond une nouvelle fois à cette question par l’affirmative ! (2) Pour cela, elle se fonde sur différents textes nationaux et international, notamment :
- l’alinéa 6 du Préambule de la constitution de 1946, qui garantit la liberté syndicale ;
- l’article 9 du code civil relatif au droit à la vie privée, qui permet au juge de « prescrire toute mesures […] propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée […] » ;
- l’article 11 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur le droit de fonder avec d’autres des syndicats et le droit de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Ces différents textes protègent les droits fondamentaux du salarié que sont la liberté syndicale et le droit à la vie privée. C’est sur ces fondements que la Cour de cassation admet qu’en cas de litige relatif au nombre d’adhérents, il ne peut pas être exigé du syndicat qu’il dévoile les identités de ses adhérents car l’adhésion du salarié à un syndicat relève de sa vie privée. Dès lors, son nom ne peut être divulgué sans son accord.

  • Mais une dérogation limitée à l’identification des salariés adhérents

Toutefois, la Cour de cassation précise bien qu’une telle dérogation à la règle du contradictoire est limitée à la preuve « des éléments susceptibles de permettre l’identification des adhérents du syndicat ». Ce n’est donc que dans ce seul cas que, sur demande du syndicat, le juge doit aménager la règle du contradictoire pour prendre seul connaissance des éléments nominatifs de preuve, sans les communiquer à l’employeur. 
Cela signifie qu’un employeur pourra toujours demander que lui soient communiquées des preuves anonymisées, telles que des cartes d’adhérents sans mention du nom et de la photo (3).

Pour la CFDT, une telle solution est logique et nécessaire. Elle protège les droits fondamentaux du salarié et notamment celui de la liberté d’adhérer à un syndicat de son choix. Par ailleurs, elle permet aux syndicats de rapporter la preuve de leurs adhésions plus aisément.



(1) Cass.soc., 08.07.09, n°08-60.599.

(2) La Cour de cassation a déjà énoncé cette possibilité d’aménagement du principe du contradictoire dans l’arrêt suivant : Cass.soc., 08.07.09, n°08-60.599.

(3) Cass.soc. 14.11.12, n°11-20.391.