Retour

DUP : l'exclusion des salariés mis à disposition est constitutionnelle

Publié le 02/11/2017

Chercher à éviter que les salariés d’une autre entreprise puissent accéder à des informations stratégiques de l’entreprise utilisatrice au sein de laquelle ils sont placés, peut justifier de les priver du droit d’être élus au sein des institutions auxquelles ces informations sont susceptibles d’être transmises. Voici le principal argument avancé par le Conseil constitutionnel et saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, pour déclarer conforme à la constitution l’inéligibilité des salariés mis à disposition à la DUP de l’entreprise utilisatrice. DC QPC n°2017-661 du 13.10.17.

  • Les faits à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

La question prioritaire de constitutionnalité permet à toute personne, partie à un procès ou une instance, de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, le Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d'État et la Cour de cassation, devra se prononcer et, le cas échéant, abroger la disposition législative. La QPC peut être posée en 1re instance, en appel ou encore cassation.

Dans cette affaire, tout commence lorsque des salariés mis à disposition au sein de la société SNC Tour Eiffel se sont portés candidats aux élections des membres de la délégation unique du personnel (DUP) mise en place.
Pour la société, l’article L. 2326-2 du Code du travail tel qu’il résulte de la loi Rebsamen du 17 août 2015 (1), ne permet plus aux salariés mis à disposition d’être éligibles à la DUP instaurée au sein de l’entreprise utilisatrice. Elle a donc décidé de saisir le tribunal d’instance. C’est à l’occasion de cette action qu’une organisation syndicale (Syndicat CGT des salariés des hôtels de prestige économique) a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité. Ainsi, par un arrêt du 13 juillet 2017(2), la Cour de cassation a soumis la question suivante au Conseil constitutionnel :

« L’article L. 2326-2 du Code du travail porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le 8ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément en ce qu’il crée une rupture d’égalité entre les salariés à ancienneté et intégration égales en fonction de l’entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition ? ».

 

  • La disposition contestée

Jusqu’aux ordonnances Macron, dans les entreprises de moins de 300 salariés, l’employeur avait la possibilité,  après consultation des délégués du personnel (DP) et, éventuellement, du comité d’entreprise (CE) et du CHSCT, de mettre en place une instance unique, la délégation unique du personnel (DUP), regroupant les DP, le CE et le CHSCT et au sein de laquelle, les mêmes délégués occupent les fonctions dévolues à chacune des instances(3).

La loi Rebsamen du 17 août 2015 était déjà venue impacter de façon substantielle les règles relatives à la DUP(4) notamment en soumettant l’élection des membres de la DUP aux règles applicables aux membres du CE. Pour ce faire, la loi  a modifié l’article L. 2326-2 du Code du travail. Cet article prévoit  depuis que la délégation unique du personnel est composée de représentants du personnel mais surtout, il renvoie aux dispositions de l’article L. 2324-17-1 qui fixe les conditions d’éligibilité au CE. Or, selon ce même article, les salariés mis à disposition ne sont justement pas éligibles au comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice. Ils ne le sont donc pas plus à la DUP. Et c’est précisément cette disposition de la loi que conteste en l’espèce le syndicat.  

Pour rappel, jusqu’à la loi Rebsamen, les salariés mis à disposition pouvaient, au sein de l’entreprise utilisatrice et sous réserve de remplir certaines conditions de présence :
- voter (5) et être élus(6) aux élections des délégués du personnel (Art L.2314-18-1 C.trav ) ;
- voter (7) aux élections des membres du CE. En revanche, ils n’y étaient pas éligibles et ce, quelle que soit leur ancienneté au sein de celle-ci (Art L.2324-17-1 C.trav);
- en ce qui concerne la DUP de l’entreprise utilisatrice, la jurisprudence admettait jusque-là que les salariés mis à disposition y étaient éligibles dans les mêmes conditions que pour l’élection en qualité de DP(8).

Or, en soumettant le régime électoral de la DUP au régime applicable aux membres du CE, la loi Rebsamen a tout simplement supprimé cette dernière possibilité. D’où la question posée au Conseil constitutionnel.

  • Une atteinte aux principes de participation et d’égalité ?

Pour le syndicat requérant, les nouvelles dispositions instaurées par la loi Rebsamen reviennent à priver les salariés mis à disposition du droit d’être éligibles au sein de la DUP alors même qu’ils répondent aux conditions d’ancienneté requises pour être éligibles en qualité de DP ou de membres du CHSCT. Or, selon lui, la DUP n’est pas une nouvelle instance, mais est composée de délégués  « à compétence étendue ». Il y a donc méconnaissance du principe de participation.

Le droit de participation est le droit, pour tout salarié, de participer par l’intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. Ce droit « a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui y sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu’elle constitue, même s’ils n’en sont pas les salariés »(9).
Par ailleurs, le syndicat conteste l’inégalité de traitement entre salariés mis à disposition, selon que l’entreprise utilisatrice soit ou non dotée d’une DUP : ceux dont l’entreprise a conservé une configuration classique (DP/CE/CHSCT) pourront toujours être élus en qualité de DP. En revanche, si l’entreprise opte  pour une DUP, ils ne pourront plus y être éligibles. Or, à partir du moment où la DUP intègre les DP, elle devrait suivre leur régime d’élection.

  • Une inéligibilité jugée conforme à la Constitution

Les Sages ne vont pas donner suite à ces griefs et vont, bien au contraire,  juger conformes à la Constitution les dispositions contestées. Ils avancent pour cela trois arguments :

Tout d’abord, les salariés mis à disposition sont toujours libres de choisir d’exercer leur droit de vote et d’éligibilité aux IRP au sein de l’entreprise qui les emploie plutôt qu’au sein de l’entreprise utilisatrice.

Ensuite, une DUP est une IRP spécifique, dont l’objet est précisément de « se substituer aux DP, au CE et au CHSCT » et d’exercer « les attributions dévolues à  chacune de ces IRP ». En d’autres termes, ce sont les mêmes délégués qui occupent l’ensemble de ces fonctions et qui, à ce titre, ont donc tous « accès à l’ensemble des informations dévolues à chacune  de ces IRP ». Or, les DP et les membres du CE n’ont par nature pas la même mission ni accès aux mêmes informations. C’est donc pour éviter que des salariés qui continuent de dépendre d’une autre entreprise, puissent avoir accès à certaines informations confidentielles et d’ordre stratégique, en principe adressées uniquement aux membres du CE, que le législateur a exclu les salariés mis à disposition du droit d’être élus à la DUP mise en place au sein de l’entreprise utilisatrice lorsqu’elle exerce les attributions du CE. Pour le Conseil constitutionnel, il est donc possible de limiter le corps électoral dès lors que cette limitation repose sur des critères objectifs et rationnels, ce qui est le cas ici. Il n’y a donc pas d’atteinte au principe de participation.

Troisième argument du Conseil : à partir du moment où les délégués du personnel n’ont pas accès aux mêmes informations confidentielles que les membres du CE, le législateur pouvait tout à fait établir une différence de traitement entre les salariés mis à disposition éligibles à la DUP ou à la délégation du personnel. Cette différence de situation étant « en rapport avec l’objet de la loi », le législateur n’a donc pas méconnu le principe d’égalité devant la loi.

C’est à l’issue de cette réflexion que le Conseil Constitutionnel a jugé l’article L. 2326-2 du Code du travail conforme à la Constitution : « les salariés mis à disposition ne sont pas éligibles au comité d’entreprise utilisatrice (…) ils ne le sont donc pas non plus à la délégation unique du personnel ».

  • Et depuis les ordonnances Macron ?

En fusionnant les différentes instances au sein du Comité social et économique (CSE), les ordonnances Macron ont finalement fait disparaître les DUP. Elles ont par ailleurs pris le soin de préciser expressément que les salariés mis à disposition ne seront pas éligibles au CSE mis en place au sein de l’entreprise utilisatrice. Ils seront en revanche électeurs dès lors qu’ils pourront justifier d’une durée de présence continue de 12 mois (10).

Certes, cette exclusion prive les salariés du droit d’être éligibles dès lors qu’une DUP est mise en place au sein de l’entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition. Elle nous apparaît toutefois cohérente et légitime à partir du moment où la DUP y intègre les fonctions dévolues au CE.

 


(1) Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
(2) Cass.soc.13.07.17, n°17-40041.
(3) Art L.2326-3 C.trav.
(4)  En plus de l’extension de son champ aux entreprises de moins de 300 salariés (avant elle ne visait que les entreprises de 50 à 199 salariés), et l’intégration du CHSCT.
(5) A condition d’y justifier de 12 mois de présence continue.
(6) A condition d’y justifier de 24 mois de présence continue.
(7) A condition d’y justifier de 12 mois de présence continue.
(8) Cass.soc.05.12.12, n°12-13828 : « les travailleurs mis à disposition d’une entreprise, qui remplissent les conditions fixées par l’article L. 2314-1-18-1 pour être éligibles en qualité de délégué du personnel, peuvent, à ce même titre, en l’absence de dispositions légales y faisant obstacle, être candidats à la délégation unique du personnel ».
(9) Ce droit est reconnu par le 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Décisions n°2006-545 DC du 28.12.06 ; 2008-568 DC du 7.08.08 ; 2011-122 QPC du 02.04.11 ; 2013-333 QPC du 26.07.13.
(10) Le nouvel article L. 2314-23 issu de l’article 1 de l’ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales prévoit que «  Pour les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 1111-2, la condition de présence dans l'entreprise utilisatrice est de douze mois continus pour y être électeur. Les salariés mis à disposition ne sont pas éligibles dans l'entreprise utilisatrice. 
Les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au premier alinéa choisissent s'ils exercent leur droit de vote dans l'entreprise qui les emploie ou l'entreprise utilisatrice ». Cet article devrait entrer en vigueur au plus tard au 1er janvier 2018 (art 9-I de l’ordonnance).

 

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS