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CE/CSE : les documents qu'il détient doivent être accessibles à chacun de ses membres

Publié le 28/11/2018

Comme leur nom l’indique, les comités d’entreprise (CE) comme désormais les comités sociaux et économiques (CSE) -ou tout au moins ceux implantés dans des entreprises de 50 salariés et plus- sont des comités. Ils sont, en tant que tels, dotés de la personnalité morale. Aussi ont-ils une vie propre qui, inévitablement, les amène à produire et/ou à conserver un certain nombre de documents et d’archives. Documents parmi lesquels nous pouvons par exemple retrouver les comptes de cette instance représentative du personnel, les procès-verbaux de ses réunions ou bien encore les rapports rendus par les experts auxquels elle a décidé de recourir. Or, afin que les membres qui y siègent puissent exercer pleinement leur mandat, il est indispensable qu’ils puissent, tous autant qu’ils sont, accéder à ces documents et à ces archives. C’est ce que la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt récent. Cass.soc.07.11.18, n° 17-23157.

  • Les faits

Dans l’affaire ici commentée, le CE d’une entreprise était tenu par un syndicat FO et l’ensemble des documents et archives propriétés de l’instance étaient conservés dans des locaux qui servaient également de bureau à la secrétaire et à la trésorière du CE, toutes deux militantes de ce même syndicat.

Une telle situation trouvait à s’expliquer par le fait que, dans cette entreprise, le règlement intérieur du CE prévoyait la mise à disposition de la secrétaire et de la trésorière d’un local distinct de celui dont le Code du travail prévoit la fourniture obligatoire par l’employeur au profit du CE (1).

Problème : les élus autres que la secrétaire et la trésorière du CE, et à coup sûr les élus d’une obédience syndicale différente, ne pouvaient accéder librement aux documents et aux archives ainsi détenus.

Le 1er décembre 2015, n’acceptant plus une telle situation, des élus d’une autre organisation exigeront de pouvoir avoir accès à ces sources d’information. Mais, à cette revendication pour le moins légitime, la secrétaire du CE opposera une cinglante fin de non-recevoir.

Confrontés à ce refus, les élus ainsi empêché d’accéder à une information clairement indispensable à la bonne exécution de leur mandat n’eurent alors d’autre choix que de saisir, en référé, le tribunal de grande instance afin de faire cesser ce qu’ils considéraient comme un trouble manifestement illicite.

  •  Le problème de droit ici soulevé

Nous pouvons le formuler comme suit : les membres d’un CE doivent-il, du seul fait de leur qualité de membre de ce comité, être considérés comme pouvant accéder de plein droit aux documents et archives détenus par cette instance de représentation du personnel ?

  • La réponse de la justice  

En appel, les juges des référés reconnurent que ces circonstances avaient généré un trouble manifestement illicite. Pour eux, en effet, les élus du CE qui avaient saisi la justice auraient dû se voir reconnaître le droit d’accéder aux archives et aux documents détenus par l’instance. Mais ils constatèrent aussi, en consultant le règlement intérieur du CE, qu’aucune de ses dispositions n’était venue fixer les modalités de son exercice. Aussi, et dans le but clairement affiché de « concilier ce droit avec les exigences de bon fonctionnement de l’entreprise », ils décidèrent de leur propre chef que le droit à consultation ainsi réclamé ne pourrait être exercé par les élus ayant saisi la justice que les mardis entre 14 heures et 16 heures et les avant-veilles des réunions du CE (ou de ses commissions) aux mêmes heures.

Une telle solution aux allures de compromis pouvait cependant apparaître comme bancale dans le sens où, d’un côté, elle reconnaissait à tous les membres du CE le droit d’accéder à ses documents et à ses archives et, de l’autre, elle posait des règles de fonctionnement fondamentalement inégalitaires : un accès plein et entier pour le syndicat de la secrétaire et la trésorière et un accès clairement limité dans le temps pour les autres. 

La Cour de cassation décidera en conséquence d’une cassation partielle de l’arrêt d’appel. Pour s’en justifier, elle ouvrira son arrêt par un attendu ainsi libellé : « tous les membres du comité d’entreprise doivent avoir un égal accès aux archives et aux documents administratifs et comptables du comité ». Attendu, disons-le, pas franchement novateur puisqu’il se contentait de réaffirmer un principe que la Haute juridiction avait, de longue date, posé et auquel elle s’était à l’époque référée afin d’affirmer le droit de l’employeur (en sa qualité de membre et même de président du comité) de pouvoir, lui aussi, pleinement accéder aux documents et aux archives détenus par le CE (2). 

Mais attendu également très explicite dans le sens où il ne permettait pas de considérer comme licite la contrainte faite aux requérants (et seulement eux) d’un accès aux documents et aux archives du CE cantonné à certains moments bien précis de certaines journées de la semaine. Pour la Cour de cassation donc, non seulement les juges des référés s’étaient aventurés sur un terrain qui n’était pas le leur mais qui plus est ils avaient aussi mis à mal le principe d’égal accès aux documents et aux archives du CE pour tous les membres qui le composent.

  • En dehors du règlement intérieur du CE (ou du CSE), point de salut  

Dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe ici, en l’absence de clauses du règlement intérieur de l’instance encadrant l’exercice de ce droit, les membres du CE devaient être considérés comme disposant à titre personnel d’un libre accès aux documents et aux archives du CE. Et ce sans que le juge des référés ne puisse, en lieu et place dudit règlement intérieur, en limiter l’exercice.

L’arrêt ici commenté vient donc nous le rappeler avec force : si le règlement intérieur d’un CE (ou d’un CSE) ne s’attarde pas à fixer les conditions dans lesquelles la consultation des documents et des archives du CE par ses membres peut se faire, personne ne pourra par la suite venir y suppléer, pas même le juge. A l’appui de son arrêt de cassation partielle, la cour de cassation prend d’ailleurs bien soin de viser l’article L. 2325-2 du Code du travail alors applicable et selon lequel « le comité d’entreprise détermine, dans son règlement intérieur, les modalités de son fonctionnement … ». Dispositions qui ont été reprises comme telles par les textes qui régissent désormais le fonctionnement du nouveau CSE (3). 

Nous pouvons donc ici poser une alerte à propos de la rédaction des règlements intérieurs des CSE qui se mettent actuellement en place : C’est à eux, et à eux seuls, qu’il revient le droit d’encadrer (et donc nécessairement de restreindre) l’accès des membres de l’instance nouvelle à ses documents et à ses archives. Ce qui peut bien sûr apparaître comme nécessaire en termes d’organisation. Mais dès lors que le règlement intérieur décide de mettre sur pied un tel encadrement, il doit également veiller à traiter de la même manière l’ensemble des élus au CSE, et ce quelque-soit l’organisation syndicale à laquelle ils sont rattachés et quelque-soit leur position (majoritaires ou minoritaires) au sein du CSE.

 


 

(1) Art. L. 2325-12 du Code du travail alors applicable : « l’employeur met à la disposition du comité d’entreprise un local aménagé et le matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions ».

(2) Cass. soc. 19.12.90, n° 88-17.677.

(3) Art. L. 2315-25 nouveau C. trav.