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Accident du travail : quand jouer les archers à la pause déjeuner vire au drame

Publié le 03/04/2019

La blessure causée par une flèche envoyée par un salarié sur la tête de son collègue durant la pause déjeuner peut-elle être reconnue comme accident du travail ? Oui, nous répond la Cour de cassation, en précisant sa vision de la définition d’accident du travail. Cass.crim., 05.03.19, n°17-86.984.

Jouer les Guillaume Tell sur le lieu de travail et ce faisant blesser un collègue pourrait coûter cher à un salarié, mais aussi à l'employeur ! Le présent arrêt de la Cour de cassation est l’occasion de nous rappeler précisément les règles et le régime de la preuve en matière d’accident du travail.

  • Les faits 

Au retour de leur pause-déjeuner, deux ouvriers travaillant sur un chantier de rénovation de toiture d’une maison se sont amusés à chahuter. L’un a commencé à envoyer de l’eau sur son collègue, lequel a rétorqué en allant chercher, sans autorisation, un arc et une flèche dans la grange du client, où les ouvriers entreposaient leur matériel. En utilisant cette flèche, il blessa accidentellement son collègue à la tête.

Résultat : le salarié s'est retrouvé condamné au pénal par le Tribunal correctionnel pour "blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois".

Les assureurs du salarié condamné ont alors interjeté appel devant la chambre correctionnelle afin de le mettre hors de cause. Ils ont invoqué la responsabilité de l’employeur en faisant valoir le fait que l’accident survenu était en réalité un accident du travail.

  • L’accident du travail est celui survenu au temps et au lieu du travail

Pour rappel, l’accident du travail est celui qui survient, quelle qu’en soit la cause, par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs (article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale).
Par conséquent, le fait doit être accidentel et revêtir un caractère professionnel, c’est-à-dire que l’accident doit se réaliser au lieu et au temps de travail, à savoir lorsque le salarié est sous l’autorité de l’employeur.

En appel, les juges ont rejeté la qualification d’accident du travail. Ils précisent que l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ne prévoit qu’une présomption simple du caractère professionnel de l’accident. Cette présomption peut alors être écartée si le fait accidentel est la conséquence de faits non professionnels. Cela implique alors que « l’événement accidentel doit s’inscrire dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, alors que le salarié se trouve sous le contrôle de l’autorité de son employeur ».

Pour la cour d’appel, même si l’accident s’est réalisé sur le lieu de travail et pendant la journée de travail, « il n’a manifestement aucun lien avec l’exécution du contrat de travail ». Pour les juges du fond, l’arc et la flèche appartenaient au client et n’étaient pas utilisés à la rénovation de la toiture. De plus, pour eux, le salarié a fait usage de ces objets sans y être autorisé préalablement. La cour d’appel en tire donc les conséquences en considérant qu’il n’existe aucun lien avec le travail. L’accident n’a pour elle aucune origine professionnelle.

  • Une appréciation large de la définition d’accident du travail

Dans une ultime tentative, les assureurs du salarié condamné se sont tournés vers la chambre criminelle de la Cour de cassation. Cette dernière casse l’arrêt de Cour d’appel en reconnaissant le caractère professionnel de l’accident. Ainsi, énonce-t-elle qu’«est présumé imputable au travail, l'accident survenu, quelle qu'en soit la cause, sur le lieu et dans le temps du travail, qui comprend le temps de la pause déjeuner, au préjudice d'un salarié ». Elle reproche en outre deux points :

- de ne pas avoir rapporté la preuve que le salarié fautif se soit soustrait à l'autorité de son employeur ;
- et de ne pas avoir rapporté la preuve que l'accident a eu une cause entièrement étrangère au travail.

La Cour de cassation retient donc une appréciation extensive de la présomption d’accident du travail. Dès lors que la pause déjeuner est considérée comme du temps de travail, l’accident survenu à ce moment-là doit être présumé imputable au travail.

Il suffit que le salarié demeure sous l’autorité de l'employeur pour que l’accident soit reconnu comme accident du travail.

Renverser une telle présomption n’est donc pas des exercices les plus faciles pour l’employeur, qui devra cibler au plus juste son argumentation…