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CDD : l’employeur qui rompt le contrat n’a pas droit à indemnisation

Publié le 24/05/2017

La Cour de cassation fait une interprétation stricte des dispositions encadrant la rupture anticipée d'un CDD : si l'abandon de poste d'un salarié autorise l'employeur à rompre son CDD avant le terme pour faute grave, il ne lui permet pas en revanche de réclamer des dommages et intérêts en raison du préjudice subi dès lors que c’est lui qui a pris l’initiative de la rupture du CDD, et non le salarié. Cass.soc.26.04.17, n°15-21196.

  • Faits, procédure

En août 2012, un entraîneur sportif est embauché en CDD par un club de basket (CSP) à Limoges. Mais alors qu’il est sous contrat, le coach va, à l’insu de son club, s’engager à entraîner l’équipe nationale de Chine. Faute grave selon la CSP, la convention collective du basket est claire : un entraîneur sous contrat avec un club ne peut contracter avec un autre club.
La CSP procède donc à la rupture de son CDD pour faute grave.

Contestant cette rupture, l’entraîneur saisit le conseil de prud’hommes. Malheureusement pour lui, les juges de première instance, tout comme la cour d’appel, le déboutent de sa demande.
Les juges du fond vont considérer qu’il a effectivement commis une faute grave en enfreignant les dispositions conventionnelles, ils vont en outre, au vu des conséquences préjudiciables que son abandon de poste a entraîné pour le club, le condamner à verser à ce dernier, la somme de 50 000 euros au titre de dommages-intérêts. Selon eux, le salarié aurait rompu de façon anticipée son CDD en dehors des cas prévus par la loi ouvrant ainsi droit pour l’employeur à des dommages intérêts correspondant au préjudice subi (article L. 1243-3 du Code du travail). L’entraîneur se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation  approuve la Cour d’appel en ce que l’engagement du salarié à 8000 km de là est effectivement de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constitue une faute grave. Mais l’intérêt du litige ne porte pas tant sur la caractérisation de la faute que sur le fait de savoir si un employeur peut, après avoir rompu de façon anticipée un CDD pour faute grave du salarié, lui réclamer l’indemnisation du préjudice subi.

La question qui se pose est donc la suivante: l’employeur qui a pris l’intiative de rompre le contrat, peut-il prétendre aux dommages et intérêts qui sont en principe dus  par le salarié lorsqu’il rompt son CDD en dehors des cas prévus par la loi?

  • Rappel des règles de rupture anticipée d’un CDD

Afin de compenser la précarité dans laquelle se trouvent les salariés en CDD et de leur apporter stabilité, la loi s’est attachée à en encadrer strictement la rupture. Qu’il soit de date à date ou sans terme précis, le CDD cesse en principe de plein droit à l’échéance du terme.
Le Code du travail a toutefois prévu des cas dans lesquels le contrat peut être rompu avant la fin initialement fixée(1):
-  en cas d’accord entre les parties,
- en cas de faute grave ou lourde du salarié ou de l’employeur,
- en cas de force majeure,
- en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail,
- ou encore par le salarié s’il justifie de la conclusion d’un CDD.

Attention, cette liste est strictement limitative et aucun autre cas de rupture n’est autorisé !
La sanction : la réparation du préjudice. En effet, la rupture anticipée par l’une des parties en dehors de ces cas ouvre droit, pour l’autre, à des dommages-intérêts.


Aussi, le fait pour un employeur de rompre un CDD avant son terme en dehors d’une faute grave, d’un cas de force majeure ou d’une inaptitude, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues si le contrat avait été mené à terme(art. L. 1243-4).

De la même façon, la rupture anticipée par le salarié en dehors des cas énoncés ci-dessus, ouvre droit pour l’employeur à des dommages et intérêts correspondants au préjudice subi  et dont le montant est souverainement apprécié par les juges(art. L. 1243-3)(2).
C’est précisément dans le cadre de cette seconde disposition que l’employeur s’est estimé en droit de demander à être indemnisé au titre du préjudice subi par le départ de son entraîneur.

  • L’existence d’un préjudice pour l’employeur

En l'espèce, l’abandon de son poste par l’entraîneur a indiscutablement eu des conséquences préjudiciables pour son club : que ce soit en termes d’image - son départ ayant entraîné de nombreux articles dans la presse, des répercussions sur les joueurs, le public, les partenaires - ou en raison des conséquences financières générées  (honoraires du remplaçant, logement de fonction, etc) ou encore à cause des perturbations en fin de saison et de la difficulté à recruter de nouveaux joueurs.
Par ailleurs, en signant avec un autre club alors qu’il était déjà engagé, le salarié est contrevenu aux dispositions conventionnelles. Le fait de s’engager ailleurs était bien, selon les juges, constitutifs d’une faute. L’employeur avait donc toutes les raisons d’invoquer la faute grave du salarié et pouvait, à ce titre rompre le CDD avant son terme.

L’employeur pouvait-il pour autant demander réparation au titre du préjudice subi ?

  • Pour réclamer une indemnisation, le salarié doit être à l’initiative de la rupture du CDD

Au vu des conséquences malheureuses pour le club, les juges du fond ont accordé à la CSP le droit de réclamer des dommages et intérêts. Pour cela, ils se sont fondés sur l’article L. 1243-3 qui ouvre droit pour l’employeur à indemnisation dans l’hypothèse où le salarié a rompu son CDD en dehors des cas prévus par la loi.

Il se trouve qu’en l’espèce, ce n’est pas le salarié qui a rompu le contrat, mais c’est bien l’employeur : ce dernier a usé de sa faculté de rompre le CDD avant son terme pour faute grave du  salarié. Or le Code du travail est très clair : pour que l’employeur puisse demander des dommages intérêts pour rupture abusive du salarié, il faut que ce soit le salarié qui soit à l’initiative de cette rupture. Ce qui n’est pas le cas ici.

C’est donc cette interprétation stricte (mais bienvenue pour le salarié) du Code du travail, qu’est venue dégager la Cour de cassation:  « l’article L. 1243-3 du Code du travail (qui prévoit le versement de dommages-intérêts par le salarié), concerne la rupture anticipée du CDD à l’initiative du salarié », or, en l’espèce, « la rupture du contrat de travail était intervenue à l’initiative de l’employeur pour une cause prévue à l’article L. 1243-1 du Code du travail travail ».
La Cour de cassation annule donc la condamnation du salarié à verser 50 000 € à son ancien employeur.

Autrement dit, dans la mesure où c’est l’employeur et non le salarié qui a rompu le contrat, on ne se trouve pas dans le cadre de l’article L. 1243-3 permettant à l’employeur de réclamer des dommages-intérêts au salarié.

Peu importe finalement que le salarié soit à 8000 km de là et qu'il soit donc matériellement dans l’impossibilité de poursuivre son contrat, son abandon de poste ne permet pas de transférer l’initiative de la rupture du contrat sur lui, c'est-à-dire de considérer qu'il avait lui-même rompu le contrat. 
Si la faute grave du salarié autorise l'employeur à mettre un terme au CDD, elle ne lui permet pas de demander des dommages-intérêts au titre de l'article L.1243-3 du Code du travail.

Pour rappel, dans le cadre des CDI, la règle est identique : la démission ne se présume pas, elle doit résulter d’un acte équivoque. Un abandon de poste du salarié ne permet pas non plus à l'employeur de considérer que celui-ci démissionné. 
En l’espèce, on a toutefois du mal à imaginer dans quelle mesure l’employeur aurait pu être en droit de réclamer réparation du préjudice subi.

 

 



(1) Art. L.1243-1 et L.1243-2 C.trav.
(2) Art.L.1243-3 C.trav.: "La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative du salarié en dehors des cas prévus aux articles L.1243-1 et L.1243-2 ouvre droit pour l'employeur à des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi".