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Droit au repos : le salarié qui s’endort à son poste n’est pas toujours fautif

Publié le 05/04/2017

Lorsque l’employeur ne respecte pas les limites maximales de la durée du travail, il ne peut pas reprocher à son salarié de s'assoupir au travail. Dans ce cas de figure, les juges du fond estiment qu’est sans cause réelle et sérieuse le licenciement sanctionnant un agent de sécurité qui s’était endormi à son poste. Cour d’appel de Colmar. 07.03.17 n°15/03621.

  • Un droit au repos institué pour préserver la santé des travailleurs

Tant au niveau européen que sur le plan national, le droit au repos revêt une importance fondamentale dans la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. L’occasion de faire un tour d’horizon en la matière.

Le droit au repos est souvent décliné en trois catégories : la pause quotidienne, le repos quotidien et le repos hebdomadaire.

La pause quotidienne

La loi Travail a rappelé l’importance de la pause quotidienne, en confirmant le droit pour chaque salarié, de bénéficier  de 20 minutes dès que le temps de travail atteint 6 heures consécutives. Toutefois, elle précise qu’il s’agit d’une pause de 20 minutes consécutives (1), consacrant ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation (2).

La durée du temps de pause peut également être augmentée par décision de l'employeur (Circ. 24 .06.98, fiche n° 10).

Le repos quotidien 

La loi Travail a inscrit le principe du repos quotidien dans la partie "Ordre public" du Code du travail (3). Ainsi, tout salarié bénéficie-t-il d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives, qui débute à la fin du service du salarié. Seuls les cadres dirigeants sont exclus de ce droit (4).

Le repos hebdomadaire 

Enfin, s’agissant enfin du repos hebdomadaire, la loi Travail n’a pas modifié les deux principes gouvernant le repos hebdomadaire : celui du droit à un repos hebdomadaire et celui du repos dominical.

Selon l’article L. 3132-1 du Code du travail « il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine ». Dit autrement, chaque salarié doit être en mesure de pouvoir bénéficier d’au moins 1 jour de repos par semaine.

La durée minimale de ce repos est de 24 heures consécutives, auxquelles s’ajoutent les 11 heures de repos quotidien, soit 35 heures consécutives au total (5).

Des dispositions spécifiques sont prévues pour les jeunes travailleurs de moins de 18 ans. Ces derniers bénéficient en principe de 2 jours de repos consécutifs par semaine (6). Des dérogations sont néanmoins autorisées dans des conditions définies  par accord collectif ou par décret.

De son côté, le principe du repos dominical est conservé : « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche » (7). Toutefois, bien que le repos hebdomadaire soit généralement accordé le dimanche, ce principe souffre en pratique de nombreuses exceptions.

Qu’il s’agisse du législateur avec la loi Travail, ou encore de la jurisprudence, une vigilance particulière est accordé au droit au repos. Une nouvelle illustration de ce constat nous est d’ailleurs offerte par un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar. 

  • Les faits et la procédure

Un agent de sécurité a été licencié pour faute grave pour s’être endormi sur son poste chez un client. L’employeur a notamment précisé dans la lettre de licenciement  le fait que le client en question était le plus important de l’agence, et que l’endormissement du salarié, chargé du filtrage à l’entrée du site, a laissé les locaux ouverts et les clés accessibles à tout le monde. L’agent de sécurité a décidé de saisir le conseil de prud’hommes.

Le salarié réclame à son ancien employeur le paiement de dommages et intérêts, des indemnités de rupture pour absence de cause réelle et sérieuse, mais également pour violation du droit à la santé et au repos. A cet effet, le salarié soutient que l’employeur n’a pas respecté les limites maximales de travail. Selon l’agent de sécurité, il a été contraint de travailler 72 heures entre le 10 et le 16 juillet 2013.

En première instance, le conseil de prud’hommes ne fait pas droit aux demandes du salarié. Ce dernier décide donc de faire appel du jugement.

Pour l’employeur, cette durée maximale doit être calculée sur une semaine calendaire, du lundi au dimanche. La période, objet du litige, étant à cheval sur deux semaines calendaires, l’employeur considère qu’il a respecté chaque semaine la durée maximale de travail, ainsi que le droit du salarié au repos. Pour le salarié, la directive européenne 93/104/CE du 23 novembre 2009 précise que cette durée maximale doit être calculée non pas sur une semaine calendaire mais bien sur une période de 7 jours.

L’article 6 de la directive européenne 93/104/CE dispose que «  la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas quarante-huit-heures, y compris les heures supplémentaires ».

La juridiction d’appel a donc dû se prononcer sur deux questions distinctes.

- La première portait sur la période de référence de calcul de la durée maximale hebdomadaire.

- La seconde avait trait à la fatigue excessive du salarié consécutive aux horaires de travail.

  • Il n’est pas permis de restreindre la définition de la période de 7 jours à une semaine calendaire

Dans un premier temps, les juges d’appel se penchent sur la période de référence de la durée maximale de travail hebdomadaire. Pour la cour d’appel, aucune disposition de la directive européenne 93/10/CE relative à l’aménagement du temps de travail, "ne permet de restreindre la définition de la période de 7 jours à une semaine calendaire commençant, comme c’est le cas en France, le lundi matin".

Autrement dit, pour les juges du fond, il n’est pas possible de calculer la durée maximale de travail sur 7 jours calendaires. L’employeur a donc méconnu les dispositions relatives au droit au repos et à la durée maximales de travail, en faisant travailler le salarié 72 heures au lieu de 48 heures.

  • La méconnaissance des limites maximales de durée de travail par l’employeur ne le fonde pas à en imputer les conséquences sur le salarié

La cour d’appel de Colmar se prononce en second lieu sur la faute du salarié. Pour la cour, « l’employeur ayant méconnu les limites maximales de la durée du travail hebdomadaire telles qu’elles résultent du droit européen n’est pas fondé à en imputer les conséquences au salarié ».

Autrement dit, l’employeur ne peut pas reprocher au salarié sa défaillance (à savoir le fait qu’il s’est endormi à son poste de travail) puisqu’il n’a pas respecté les limites maximales de travail. C’est bien parce que l’employeur n’a pas respecté le droit au repos du salarié qu’il s’est endormi à son poste de travail !

Logiquement, la cour conclut que « dès lors, le manquement qui lui est reproché ne justifiait pas la sanction du licenciement ». 

La cour d’appel de Colmar accueille donc les demandes du salarié et juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur est condamné à verser au salarié injustement licencié des dommages et intérêts d’un montant de 28 000 euros.

Encore une preuve, s’il en fallait une, que les dispositions relatives au droit au repos sont assidûment contrôlées par les juges et qu'en la matière la réglementation européenne est un carcan protecteur pour la santé et la sécurité des salariés.

 

 


 

(1) Art. L.3121-16 C.trav.
(2) Cass.soc.20.02.13, n°11-28612.
(3) Art. L.3131-1 C.trav.
(4) Art. L.3111-2 C.trav.
(5) Art. L.3132-2 C.trav.
(6) Art. L.3164-2 C.trav.
(7) Art. L.3132-3 C.trav.