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Détachement des travailleurs : quelles avancées, quel avenir ?

Publié le 11/12/2013

Suite au compromis des 28 ministres du travail de l’Union européenne du 9 décembre dernier, Carnet juridique fait le point sur la directive qui règle le sort des travailleurs détachés et les questions juridiques qui entourent leur statut.

Lorsque l’on évoque le travailleur détaché, l’image qui nous vient en tête est celle du célèbre plombier polonais. Au fondement de la directive détachement de 1996 sont énoncés le principe fondamental de libre circulation des travailleurs et le principe fondamental de la libre prestation de services.

Alors que la directive détachement ne faisait pas de bruit du temps de l’Europe des 15, elle a suscité de nombreuses polémiques sur son application au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union européenne qui compte aujourd’hui 28 Etats membres. 28 Etats membres, cela signifie 28 cultures juridiques et économiques différentes qui témoignent de fortes disparités économiques et sociales entre les Etats.

Revenons un instant sur le texte de la directive de 1996 et la proposition de directive d’application pour mieux comprendre dérives qui sont nées de son application et qui font polémiques aujourd’hui.

  • Définition du détachement

Selon la directive de 1996, le détachement consiste pour une entreprise établie dans un Etat membre de l’Union européenne à envoyer un travailleur dans un autre Etat membre, dans le cadre d’une prestation de service transnationale et pour une durée temporaire. Durant la période de détachement, le travailleur reste lié à son employeur de l’Etat d’origine par son contrat de travail et se voit toujours soumis à la réglementation de l’Etat d’origine. Cependant, la directive prévoit un noyau dur de règles impératives applicables au travailleur détaché et qui portent sur des domaines précisés et listés limitativement par la directive (art. 3§1). On y trouve notamment les conditions de travail, le temps de travail, les congés payés mais aussi le salaire minimum. Pour s’appliquer, ces dispositions doivent être prévues par une loi ou bien par un accord collectif d’application générale et obligatoire. Pour exemple, le SMIC en France fixé par une loi est considéré comme une règle impérative devant s’appliquer au travailleur détaché en France, ce qui n’est pas le cas en Allemagne où ce sont des conventions collectives qui fixent le salaire minimum par secteurs d’activité au sein de conventions collectives négociées mais qui ne sont pas toutes d’application générale au sens de la directive (elles ne font pas l’objet d’extension comme en France). Les charges sociales quant à elles sont versées par l’employeur de l’Etat d’accueil au pays d’origine. C’est là notamment que le système du détachement connait des dérives.

  • Quelles sont les dérives ?

Des salariés vont en effet être embauchés dans des conditions dérisoires pour des salaires horaires de 3-4 €, faute de rémunération minimum légale applicable dans certains Etats. De même que des « entreprises boites aux lettres », c’est-à-dire des entreprises fictives sans activité économique réelle, sont créées pour proposer des charges fiscales et sociales des plus attrayantes. Des entreprises alors basées en Chypre vont embaucher des travailleurs polonais pour travailler sur des chantiers en France puis en Allemagne par exemple, et ce pour un prix défiant toute concurrence. Les entreprises contournent de cette manière la directive pour se servir du détachement comme outil de dumping social et envoyer de la main d’œuvre bon marché dans les autres Etats membres, et ceci par des montages sophistiqués tels la sous-traitance en chaîne, pour échapper aux possibles sanctions. Ces systèmes permettent d’écarter la responsabilité de l’entreprise donneuse d’ordre lors de fraude.

  • La proposition de directive d’application de la directive détachement

Pour remédier aux défauts de la directive de 1996, une proposition de directive d’application est en discussion depuis mars 2012. Elle précise les conditions d’application de la directive de 1996 et prévoit notamment la fixation de critères pour encadrer les pratiques abusives des entreprises fraudeuses. L’article 3 de la proposition précise ainsi que la directive détachement s’applique aux seules entreprises ayant une véritable activité habituelle et substantielle dans un Etat.

De même que, pour lutter contre les fraudes, la proposition de directive d’application prévoit de renforcer les mesures de contrôle et la coopération entre les Etats membres afin de favoriser l’échange de données et d’informations sur les entreprises de l’Etat d’origine. L’Etat d’accueil peut ainsi exiger une liste d’informations et de documents auprès d’une entreprise détachant des travailleurs. C’est notamment sur ce point que les 28 ministres ont obtenu un accord. Cette liste d’informations est ouverte, dotant ainsi les Etats de moyens de contrôle appropriés et efficaces, mais ces mesures de contrôle doivent répondre au principe de proportionnalité, c’est-à-dire être justifiées et proportionnées aux autres principes droit de l’Union européenne (et notamment, ne pas porter atteinte aux libertés économiques). Ces mesures de contrôle doivent par ailleurs être notifiées à la Commission européenne.

Par ailleurs, concernant la sous-traitance en cascade, les ministres ont convenu d’une responsabilité conjointe et solidaire obligatoire mais dans les seuls secteurs de la construction. Sera tenue pour responsable l’entreprise donneuse en raison des comportements frauduleux commis par le sous-traitant, ou bien l’entreprise sera soumise à des mesures de sanction appropriée et équivalente prises par les Etats membres conformément au droit de l’UE et au droit national. Cette responsabilité reste cependant facultative pour les autres secteurs, selon l’accord des ministres, ce qui peut être regrettable tant on sait que les chaînes de sous-traitance sont présentes dans les activités agro-alimentaires et dans les abattoirs.

La directive d’application est aujourd’hui encore en discussion au Parlement européen. L’accord des 28 ministres devrait être intégré aux débats et pour partie faire l’objet d’amendements.

Affaire à suivre donc…