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Prud’hommes : un nouveau cadre disciplinaire pour les conseillers

Publié le 16/11/2016

A l’occasion du dernier conseil supérieur de la prud’homie, réuni le 9 novembre 2016, a été dévoilé le projet de décret relatif à la déontologie et à la discipline des conseillers prud’hommes (1). Après la publication du décret du 20 mai 2016 (qui a totalement refondé la procédure prud’homale), voilà que s’amorce une nouvelle déclinaison réglementaire de la loi Macron, dont la mise en œuvre est envisagée pour le début 2017.

 

Le projet de décret qui a été présenté en conseil supérieur de la prud’homie (CSP) s’articule autour de quatre points centraux, qui feront l’objet de quatre parties. Sur chacune, nous livrerons la position de la CFDT telle qu’elle a été exposée en séance du CSP, le 9 novembre dernier.

  • L’élaboration d’un recueil des obligations déontologiques

Le projet de décret envisage de donner compétence au CSP pour que soit élaboré par ses soins un « recueil des obligations déontologiques des conseillers prud’hommes ». Une fois finalisé, ce recueil devrait avoir vocation à être rendu public.

Position de la CFDT : nous avons approuvé cette évolution. À notre sens, un tel recueil serait un outil bien utile pour diffuser une information fiable et exhaustive sur les obligations qui, déontologiquement, s’imposent aux juges prud’homaux. Il devrait permettre, par une meilleure diffusion de l’information, de davantage protéger les justiciables contre d’éventuels risques de dérive.

Nous avons cependant précisé que, pour qu’un tel recueil ait bien les vertus que l’on attend de lui, il conviendrait de le diffuser dès le début du prochain mandat. Il serait plus précisément pertinent qu’il soit diffusé, présenté et discuté à l’occasion de la prochaine formation initiale des conseillers prud’hommes qui, comme nous le savons, devra réunir l’ensemble des conseillers prud’hommes nouvellement désignés, salariés comme employeurs, dans une session commune. C’est en effet à cette occasion qu’il pourra se trouver approprié par le plus grand monde.

  • L’élaboration de la procédure de « refus de servir »

Le Code du travail, dans sa partie législative, précise que « tout conseiller prud’homme qui, sans motif légitime, et après une mise en demeure, refuse de remplir le service auquel il est appelé peut être déclaré démissionnaire » (2).

Le projet de décret propose la mise en place d’une procédure susceptible de mettre en œuvre cette disposition légale.

Dans un tout premier temps, ce serait au président du conseil de prud’hommes (après avis de son vice-président) qu’il appartiendrait de constater « le refus de service d’un conseiller prud’homme de sa juridiction ». Ce constat devant être réalisé par le biais d’un procès-verbal contenant l’avis motivé de la section (ou de la chambre).

À noter que, dans ce cadre, la section (ou la chambre) devrait être convoquée et que cette convocation ferait courir un délai d’un mois pendant lequel la section (ou la chambre) serait habilitée à rendre un avis. À défaut, le président du conseil de prud’hommes ne pourrait que faire état de cette abstention dans le procès-verbal.

Par la suite, ce procès-verbal de constat (contenant, ou non, l’avis de la section ou de la chambre) devrait être transmis au procureur général près la cour d’appel. Il appartiendrait enfin à ce dernier de saisir la cour d’appel.

Enfin, c’est à la cour d’appel qu’il appartiendrait de statuer, en chambre du conseil, sur la démission du conseiller prud’hommes, après son appel devant la cour.

Position de la CFDT : nous avons approuvé la perspective d’une telle procédure, qui nous semble tout à la fois équilibrée et respectueuse des droits de la défense.

  • L’établissement des règles de fonctionnement de la Commission nationale de discipline

Le 6 août 2015, la loi Macron est venue préciser que le pouvoir disciplinaire serait désormais exercé par une commission nationale de discipline (CND) (3). Elle est également venue préciser qu’elle serait présidée par un président de chambre à la Cour de cassation et également composée :

- d’un membre du Conseil d’État ;

- d’un magistrat et d’une magistrate du siège des cours d’appel ;

- d’un représentant et d’une représentante des salariés, conseiller prud’homme ou ayant exercé les fonctions de conseiller prud’homme désignés par les représentants des salariés au CSP ;

- d’un représentant et d’une représentante des employeurs, conseiller prud’homme ou ayant exercé les fonctions de conseiller prud’homme désignés par les représentants des employeurs au CSP ainsi que des suppléants en nombre égal (4).

La loi Macron est également venue préciser que :

- la CND ne peut délibérer que si au moins quatre de ses membres (y compris le président) sont présents (6) ;

- les décisions de la CND et celles de son président sont motivées (6).

Cette commission est censée entrer en fonction à compter du 1er février 2017.

      - Le rythme et le calendrier de désignation des membres de la CND

Les membres de la CND seraient désignés pour trois ans, entre le 14 mai et le 30 juin. Un tel rythme et un tel calendrier sont, en fait, calés sur celui du renouvellement des membres du conseil supérieur de la prud’homie.

Position de la CFDT : pour nous, une telle option est frappée au coin du bon sens. Les membres de la CND devant nécessairement être membres du CSP, le rythme et le calendrier de renouvellement de l’une doivent nécessairement être calés sur le rythme et le calendrier de l’autre. Mais c’est aussi, pour nous, l’occasion de plaider pour un alignement de ces calendriers et rythmes sur ceux des mandats de conseiller prud’homme. Le système y gagnerait en cohérence et en lisibilité. Le mandat de conseiller prud’homme étant désormais de 4 ans avec une date de nomination fixée au mois de décembre, il devrait donc en aller de même des mandats de membres du CSP et de la CND.

      - La désignation des membres de la CND

Le projet de texte précise que les représentants des salariés et des employeurs à la CND devraient être désignés, au sein du CSP, par ses membres titulaires et suppléants appartenant « à leurs catégories respectives ».

Position de la CFDT : entre organisations syndicales siégeant au CSP, nous sommes tombés d’un commun accord sur la répartition suivante : les deux sièges de titulaires devraient revenir à la CFDT et à la CGT. Les deux sièges de suppléant devraient, quant à eux, revenir à FO et à la CFE-CGC.

      - L’installation et la démission des membres de la CND et la publication de la liste

Les membres de la CND devraient être installés dans leur fonction par le premier président de la Cour de cassation. Et ce, dans la première quinzaine du mois de juillet suivant leur désignation.

Par la suite, dès lors qu’un membre de la CND désirerait résilier son mandat, il devrait adresser sa démission au garde des Sceaux. Mais ce n’est que si ce dernier l’accepte que la démission deviendrait définitive.

Position de la CFDT : pas de commentaire particulier.

      - La publication de la liste des membres de la CND

La liste des membres de la CND serait ensuite publiée au Journal officiel, à la diligence du premier président de la Cour de cassation.

Position de la CFDT : pas de commentaire particulier.

  • L’établissement d’une véritable procédure disciplinaire

La loi Macron est venue préciser que la CND pouvait être saisie, soit par le garde des Sceaux, soit par le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseiller prud’homme siège, après audition de celui-ci par le premier président (7).

Elle est également venue indiquer quelles étaient les sanctions applicables aux conseillers prud’hommes : « Le blâme, la suspension pour une durée ne pouvant excéder six mois, la déchéance assortie d’une interdiction d’exercer les fonctions de conseiller prud’homme pour une durée de dix ans, la déchéance assortie d’une interdiction définitive d’exercer les fonctions de conseiller prud’homme » (8).

La possible suspension, pour 6 mois maximum, du mandat de conseiller prud’homme par le président de la CNDSur proposition du garde des Sceaux ou du premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseiller prud’homme mis en cause siège, le président de la CND peut suspendre un conseiller prud’homme pour une durée qui ne peut excéder 6 mois lorsqu’il existe contre l’intéressé (qui a été préalablement entendu par le premier président) des faits de nature à entraîner une sanction disciplinaire. La suspension peut être renouvelée une fois par la CND pour une durée qui ne peut elle-même excéder 6 mois (9).

Position de la CFDT : de manière liminaire, sur cet aspect des choses, nous avons rappelé que ces dispositions réglementaires nouvelles trouvaient à s’inscrire au sein d’une section intitulée « discipline et protection ». Ce, afin de mieux dénoncer le fait que l’aspect protection ait été fortement négligé. Nous avons en ce sens rappelé que, contrairement aux magistrats professionnels, les conseillers prud’hommes ne bénéficiaient d’aucune protection fonctionnelle. Aussi, en cas de difficultés rencontrées dans l’exercice de leur mandat (diffamation, agression …), ils ne bénéficient pas d’une prise en charge automatique des frais de justice générés. Ce qui n’est pas franchement acceptable !

      - L’enclenchement de la procédure

C’est soit le garde des Sceaux, soit le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseiller mis en cause siège qui serait habilité à saisir, soit la commission, soit son président. Il devrait à cette occasion transmettre au président de la commission « toutes les pièces afférentes à la poursuite ».

Dans la foulée, le secrétariat de la CND devrait, par lettre recommandée avec accusé de réception, informer le conseiller prud’hommes mis en cause de l’engagement de la procédure et lui préciser qu’il a droit à « la communication des pièces afférentes à la poursuite ».

Le conseiller prud’hommes mis en cause pourrait, quant à lui, prendre connaissance de ces pièces au secrétariat de la commission. Mais il pourrait aussi, à sa demande, se voir communiquer ces mêmes pièces « par voie électronique ».

Position de la CFDT : c’est sous notre impulsion que le projet de décret est venu préciser que le conseiller prud’homme mis en cause pouvait demander à se voir communiquer « les pièces afférentes à la poursuite (…) par voie électronique ». La précision est d’importance, car la CND est basée à Paris, à la Cour de cassation. Il aurait donc été particulièrement préjudiciable aux conseillers prud’hommes mis en cause de devoir faire tout le chemin pour simplement consulter ces pièces.

         - La désignation du rapporteur

Un rapporteur devrait, par la suite, être désigné par le président de la CND, parmi les membres de cette dernière. La mission de ce rapporteur est ainsi définie par le projet de texte. Procéder « à toutes investigations utiles ». Pour ce faire, le projet de texte autorise le rapporteur à entendre (ou à faire entendre par un magistrat du siège), non seulement le conseiller prud’hommes mis en cause, mais aussi le plaignant et les témoins.

Position de la CFDT : le rôle du rapporteur est particulièrement important, puisqu’il lui appartient, ni plus, ni moins, d’instruire le dossier. Or, il se trouve que le projet de texte prévoit que le président de la CND pourrait désigner comme rapporteur, notamment, le représentant des salariés (seul) comme le représentant des employeurs (seul). Or, il nous semblerait que pour une instruction réellement paritaire des dossiers, il conviendrait que le représentant des salariés et celui des employeurs devraient pouvoir être désignés ensemble.

         - L’avant-audience ou l’avant-audition devant la CND ou le rapporteur

« Le dossier de procédure » devrait être mis à la disposition du conseiller prud’homme mis en cause et de son conseil au moins 48 heures avant chaque séance de la CND ou avant chaque audition du rapporteur (ou du magistrat du siège ayant été désigné pour ce faire). Les citations à comparaître devant la CND devraient être adressées par lettre recommandée avec accusé de réception au conseiller prud’homme mis en cause.

Le conseiller prud’homme mis en cause pourrait par ailleurs jouer un rôle actif en versant aux débats « à tout moment de la procédure » les pièces qu’il estime utiles et en déposant des mémoires en défense.

Position de la CFDT : sur cet aspect des choses, il nous semble que la procédure dont la mise en œuvre est envisagée est équilibrée et respectueuse des droits de la défense et qu’elle mérite d’être approuvée.

      - L’audience devant la CND

Sauf maladie ou « empêchement reconnu », le conseiller prud’homme mis en cause serait tenu de comparaître en personne devant la CND. Il aurait cependant la possibilité de se faire assister, soit par l’un de ses pairs, soit par un avocat au conseil d’État et à la Cour de cassation, soit par un avocat inscrit à un barreau.

En principe, les débats devant la CND devraient être publics. Ils ne le seraient cependant pas dès lors que le conseiller prud’homme mis en cause en aurait expressément fait la demande ou que la publicité des débats serait susceptible de porter atteinte soit à un secret protégé par la loi, soit à l’intimité de la vie privée.

Après la lecture du rapport et après l'audition du représentant du garde des Sceaux, le conseiller prud’homme devrait alors être « invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés ».

Position de la CFDT : sur ce point, la CFDT a dénoncé un manque criant au sein des dispositions réglementaires envisagées. En effet, si le projet de texte fait de la comparution du conseiller prud’homme mis en cause devant la CND une obligation, elle ne prévoit par contre rien ni sur son droit, dans ce cadre-là, de s’absenter de son travail, ni sur la prise en charge de ses frais de déplacement.

Or, il va sans dire que si ces deux aspects des choses devaient ne pas être traités, le droit à la défense des conseillers prud’hommes mis en cause se trouverait très sérieusement écorné ! Le président du CSP, estimant que le fait de comparaître devant la CND devrait être considéré comme une activité prud’homale, s’est voulu rassurant s’agissant du droit pour le conseiller prud’homme salarié de s’absenter de son travail. Il n’en reste pas moins que cela conduirait le conseiller prud’homme mis en cause à se révéler comme tel auprès de son employeur (ce qui pourrait, dans certains cas, le mettre en difficulté) et que la question de la prise en charge des frais de déplacement n’est, à ce jour, toujours pas réglée.

         - Le rendu de la décision et l’exercice des voies de recours

Les décisions de la commission et les ordonnances de son président devraient être notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception. Le conseiller prud’hommes sanctionné disposerait alors d’un délai de 10 jours (à compter de la notification de la décision) pour se pourvoir en cassation. Le pourvoi, qui trouverait à se réaliser dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire, devrait alors être porté devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Position de la CFDT : nous avons ici regretté que le pourvoi contre la décision de la CND s’inscrive dans le cadre des procédures avec représentation obligatoire. Car à l’évidence, le coût à supporter par le conseiller prud’homme sanctionné pour la mise en œuvre d’une telle voie de recours risquerait bien de se révéler dissuasive.

La CFDT attend maintenant que ses revendications et suggestions soient prises en compte avant que le décret ne soit définitivement publié. Dossier à suivre donc !



(1) Après que, notons-le, un groupe de travail ad’hoc ait été réuni, sur ce même sujet, à la Chancellerie.
(2) Art L1442-12 C.trav.
(3) Art L1442-13-2 al. 1er C.trav.
(4)  Art L1442-13-2 al. 2 C.trav.
(5) Art L.1442-16-1 C.trav.
(6) Art L.1442-16-2 C.trav.
(7) Art L.1442-13-3 C.trav.
(8) Art L.1442-14 C.trav.
(9) Art L.1442-16 C.trav.