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Licenciements abusifs : entrée en vigueur des référentiels indicatifs aux prud’hommes

Publié le 30/11/2016

Deux décrets traitant de l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse viennent d’être publiés au Journal officiel. Le premier dessine les contours du référentiel indicatif destiné aux bureaux de jugement des conseils de prud’hommes et aux chambres sociales des cours d’appel (afin de proposer une base d’appréciation du préjudice subi par le salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse). Le second rehausse les taquets du barème indicatif de conciliation des salariés qui contestent l’existence de cette cause réelle et sérieuse. Deux textes qui auraient pu être acceptables si le Gouvernement avait entendu les observations de la CFDT. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas… Décrets n° 2016-1581 et n° 2016-1582 du 23.11.16. (1) 

  • Le référentiel indicatif destiné aux bureaux de jugement des conseils de prud’hommes et aux cours d’appel

L'article L. 1235-1 du Code du travail, modifié par la loi Macron, a instauré la possibilité pour le juge, lorsqu’il considère qu’un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de prendre en considération un « référentiel indicatif » afin de fixer le montant des dommages et intérêts à allouer au salarié demandeur. Il précise également que lorsque les parties en font conjointement la demande, l’indemnité est fixée par la seule application de ce référentiel.

Ce même article prévoit également que le « référentiel indicatif » doit être réglementairement établi, après avis du Conseil supérieur de la prud'homie, en fonction notamment :

- de l'ancienneté,

- de l'âge,

- de la situation du demandeur par rapport à l'emploi.

Le tout sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles.

Ce texte était resté lettre morte depuis l’adoption de la loi Macron à l’été 2015.

Ce n’est que le 13 septembre dernier que le projet de décret traitant de ce référentiel indicatif a été présenté, pour avis, au Conseil supérieur de la prud’homie. Entre ce projet et la version finale du texte tel que publié au Journal officiel vendredi dernier, aucune évolution de fond n’est à noter. Ce qui est particulièrement décevant au vu du sérieux des contre-propositions que nous nous étions efforcés de bâtir.

Le décret (2) se contente donc de mettre sur pied un référentiel construit à partir de l’ancienneté du salarié, avec une prise en compte (très) à la marge de l’âge du salarié et de sa situation quant à d’éventuelles difficultés pour retrouver un emploi.

C’est ainsi qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dommages et intérêts pouvant être alloués vont :

- de 1 mois de salaire pour les salariés justifiant, au moment de leur licenciement, d’une ancienneté inférieure à 1 an ;

- à 21,5 mois de salaire, pour les salariés justifiant au moment de leur licenciement d’une ancienneté de 43 ans.

Ces montants ne peuvent être majorés que d’1 mois pour les salariés âgés de 50 ans et plus et en cas de « difficultés particulières de retour à l’emploi du salarié ».

La CFDT, qui s’est opposée avec force à l’avènement d’un référentiel impératif, avait toutefois accepté le principe du référentiel indicatif, afin d’unifier les montants octroyés d’un conseil ou d’une cour à l’autre et de garantir une certaine égalité de traitement entre les justiciables, sans compromettre le principe de réparation intégrale du préjudice.

Mais force est de constater que les options réglementaires retenues ne répondent guère à nos exigences.

  • Les propositions de la CFDT pour rendre le barème plus équitable

À notre sens, les hauteurs de dommages-intérêts fixées en rapport avec l’ancienneté auraient pu être opérantes si plusieurs de nos remarques avaient été prises en compte.

         - Revoir à la hausse les taquets pour les salariés ayant la plus faible ancienneté.

Les taquets prévus, trop faibles, sont de nature à les dissuader d'agir.

Plus choquant : les taquets prévus pour les salariés ayant entre 2 et 4 ans d’ancienneté (fixée entre 3 et 5 mois de salaire) sont même inférieurs aux 6 mois minimum d’indemnisation prévus par le Code du travail (auxquels peuvent prétendre les salariés ayant 2 ans d’ancienneté minimum et travaillant dans une entreprise de 11 salariés et plus !) (3)

Une telle contradiction entre la loi et le règlement aurait dû, à notre sens, être évitée par le rehaussement des taquets indemnitaires prévus au référentiel indicatif pour les salariés justifiant d’une (relativement) faible ancienneté.

Mais le Gouvernement a préféré s’entêter dans son projet, quitte à se satisfaire d’une distorsion entre textes réglementaires et textes légaux. Après le passage du texte au Conseil d’État, il s’est simplement contenté de préciser que le "référentiel indicatif" trouvait à s’appliquer « sous réserve des dispositions du présent Code fixant un montant forfaitaire minimal d’indemnisation ».

            - Adapter le critère de l’employabilité.

Le juge aurait dû se voir reconnaître la faculté de pouvoir faire varier, de manière significative, le montant des dommages et intérêts. Or, le décret ne lui offre pas cette opportunité. De manière dérisoire, il ne l’autorise qu’à bonifier les dommages-intérêts d'1 mois de salaire dès lors qu'un problème d'employabilité a été détecté.

Nous avions proposé de fixer une majoration variable de dommages-intérêts sur la base d'une fourchette suffisamment large (de 1 à 12 mois) en cas de préjudice lié à l’employabilité du salarié.

            - Ajuster le critère de l’âge.

Le juge se voit reconnaître la faculté de majorer d’un mois les dommages-intérêts du demandeur dès lors que celui-ci est âgé d’au moins 50 ans à la date de la rupture du contrat de travail.

Pour la CFDT, le critère de l'âge, aussi pertinent soit-il, ne devait pas nécessairement être amené à jouer un rôle majeur car il n'est finalement que l'une des déclinaisons possibles des difficultés d'employabilité du salarié. Aussi proposions-nous une majoration à hauteur d’1 mois de salaire pour les salariés ayant entre 55 et 60 ans et de 2 mois de salaire pour les salariés ayant entre 60 et 65 ans, à la condition que le critère de l’employabilité soit mieux pris en compte.

            - Ouvrir la prise en compte d’autres critères.

S’agissant des autres critères susceptibles d’être pris en compte par le juge, il faut rappeler ici que, pour la loi Macron, le barème indicatif devait être construit notamment sur la base de trois critères distincts (ancienneté, âge et employabilité). Le recours au « notamment » laissait à penser qu'il devrait être possible de recourir à d'autres critères que ces trois-là. Le décret, lui, ne fait pourtant aucune référence à cette faculté donnée au juge.

C'est pourquoi nous avions proposé que le décret indique expressément que, par-delà les trois critères visés, le juge conserve la faculté d'en prendre d'autres en considération. Mais là encore, notre légitime aspiration à davantage de cohérence entre textes légaux et textes réglementaires a été ignorée par le Gouvernement.

  • Le barème de l’indemnité de conciliation destiné aux BCO

Le second décret (4) rehausse les hauteurs des taquets de l’indemnité forfaitaire de conciliation. Ce qui, sur le principe, ne saurait qu’être approuvé par la CFDT !

Oui mais voilà, ce faisant, le barème indicatif de conciliation et le barème indicatif de jugement ne se trouvent plus construits sur la base de hauteurs indemnitaires similaires.

Le barème se veut plus favorable à la conciliation qu'au jugement, ce qui ne peut qu'inciter les employeurs à faire l'impasse sur la conciliation, puisque la condamnation dont ils pourraient écoper serait potentiellement moins onéreuse qu'une conciliation.

Aussi aurait-il fallu parallèlement rehausser les taquets indemnitaires du référentiel indicatif de jugement pour qu’un tel effet pervers ne se fasse pas jour. Malheureusement, le Gouvernement n’en a finalement tenu aucun compte.

Comptons donc sur les conseillers prud’hommes pour rétablir l’équité et la cohérence qui font défaut à ces référentiels, afin de garantir l’efficacité de la phase de conciliation et d’assurer une juste réparation pour les salariés victimes de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

(1) Décrets n° 2016-1581 du 23.11.16 portant fixation du référentiel indicatif d’indemnisation prévu à l’article L.1235-1 du Code du travail et n°2016-1582 modifiant le barème de l’indemnité forfaitaire de conciliation fixé à l’article D. 1235-21 du Code du travail.
(2) n° 2016-1581.
(3) Article L.1235-3 C.trav.
(4) n° 2016-1582.