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Lanceurs d’alerte : vers une protection unifiée

Publié le 18/01/2017

La loi Sapin II du 9 décembre 2016 (1), qui donne un cadre général à la protection des lanceurs d’alerte, a été adoptée il y a peu. Des arrêts récents de la cour d'appel témoignent du fait que, avant même cette loi, les juges étaient déjà vigilants en cas de licenciement de salariés ayant dénoncé des faits de corruption ou de violation de règles de déontologie en matière financière. Ainsi, lorsqu’un lien entre le licenciement et la dénonciation peut être établi, voire simplement présumé, les juges n’hésitaient pas à annuler le licenciement intervenu, au moins pour partie, du fait de l’alerte. Pour ce faire, les juges se fondaient sur des textes épars, que la loi Sapin II est venue unifier.

  • Une protection des lanceurs d’alerte contre le licenciement sur la base de textes épars

Dans une première affaire, un cadre supérieur, affecté dans une filiale du groupe Vinci au Vietnam depuis 2008, a été « réaffecté » en 2012 lorsque la société, après lui avoir laissé un mois pour réorganiser son retour en France, lui a demandé de se présenter au siège début décembre. A la suite de sa convocation à un entretien préalable à son licenciement à la mi-décembre, le salarié a saisi le juge prud’homal. En effet, son employeur l’a licencié pour faute grave début janvier en raison de son refus de respecter la décision de fin de détachement et plus généralement de son indiscipline, caractérisée notamment par la diffusion à des salariés du groupe et à Médiapart d’informations jetant le discrédit sur la société.

Le conseil de prud’hommes l’ayant débouté de sa demande de résiliation judiciaire, le salarié a interjeté appel et s’est prévalu, à titre subsidiaire, de la nullité de son licenciement. Selon lui, son licenciement était directement lié à son refus de signer un contrat qu’il estimait avoir été passé dans des conditions anormales (surfacturation et surévaluation d’environ 50 %), ce dont il avait alerté le représentant éthique du groupe dans un courriel. La réponse à son courriel (très détaillé sur les pratiques de corruption) ne lui était adressée, dans des termes vagues et laconiques, que le lendemain de la décision de le licencier.

Les juges d’appel infirment la décision de première instance estimant que le licenciement était « en lien direct avec cette révélation de faits présumés de corruption » et que « l’employeur avait fait en sorte de se débarrasser » du salarié. Dans un arrêt du 20 septembre 2016, la cour d’appel de Versailles prononce donc la nullité de ce licenciement sur le fondement de l’article L.1161-1 du Code du travail, alors en vigueur.

Jusqu’à la loi Sapin II, l’article L.1161-1 du Code du travail prévoyait que toute rupture du contrat de travail résultant de la dénonciation de bonne foi de « faits de corruption » dont le salarié « aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » est nulle de plein droit. Dans un souci d’unification de la protection, cet article a été supprimé par cette loi (cf. ci-dessous).

Dans une affaire plus récente, un salarié avait dénoncé une pratique de « front running », autrement dit de manipulation de cours, commise par un de ses collègues, lequel a finalement été sanctionné par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Peu après ce signalement au service de la conformité, le salarié avait été licencié pour insuffisance professionnelle.

La cour d’appel de Paris, saisie par le salarié dont la demande avait été rejetée en première instance, constate la concomitance des dates de l’alerte et du licenciement. Les juges relèvent par ailleurs que l’employeur n’établit ni l’insuffisance professionnelle, ni les dénigrements reprochés au salarié. En conséquence, dans un arrêt du 16 décembre dernier, la cour d’appel de Paris décide que le licenciement, qui a été  prononcé en atteinte à la liberté d’expression et au droit pour les salariés de signaler de bonne foi des faits dont il ont eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions et qui, établis, pourraient caractériser des infractions ou des délits pénaux, est nul.

Sur le même modèle que le texte protégeant les lanceurs d’alerte en matière de corruption, les articles L.1132-3-3 et L.1132-4 du Code du travail protègent les lanceurs d’alerte signalant des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime.

Dans aucune de ces affaires, la loi Sapin II n’était applicable. Celle-ci entend unifier la protection des lanceurs d’alerte. Unification, sans déperdition ?

  • La loi Sapin : unification de la protection sans déperdition?

La loi Sapin II a pour ambition de poser les règles générales de protection des lanceurs d’alerte rassemblées dans le chapitre II de cette loi « De la protection des lanceurs d’alerte ».

L’article 6 de cette loi définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Il s’agit ainsi de regrouper dans un même texte des lanceurs d’alerte aussi divers que les lanceurs d’alerte en matière de santé publique ou d’environnement, probablement visés à travers la « menace » ou le « préjudice graves pour l’intérêt général », ceux dénonçant des délits ou des crimes, par exemple en matière financière, en passant par ceux signalant la violation « grave et manifeste » d’un engagement international.

Aux fins de traitement des signalements, l’article 8 de la loi prévoit que des procédures internes devront être mises en place dans toutes les entreprises d’au moins 50 salariés.

Malheureusement, l’association des représentants des salariés n’est pas expressément prévue, comme nous l’aurions souhaité, mais elle reste possible. En effet, si le signalement peut être transmis au supérieur hiérarchique ou à l’employeur, il peut aussi être prévu qu’il soit transmis à un référent. Rien n’empêche donc que ce référent soit un représentant des salariés !

Aux termes de l’article 10 de la loi, l’article L.1132-3-3 du Code du travail, qui porte grossièrement sur l’interdiction d’écarter des personnes d’un recrutement ou d’adopter des mesures défavorables en raison du signalement par elles d’un délit ou d’un crime, est modifié afin d’intégrer tous types de lanceurs d’alerte en harmonie avec la nouvelle définition générale donnée par l’article 6.

Ce faisant, et dans le but d’unifier la protection, quelques articles épars sont supprimés : celui spécifique à la protection des lanceurs d’alerte en matière de corruption (L.1161-1 du Code du travail), mais aussi ceux spécifiques aux alertes en matière environnementale et sanitaire (L4133-5 du Code du travail et L.1351-1 et L5312-4-2 du Code de la santé publique). L’idée est certainement que ces textes n’ont plus de raison d’être car ces lanceurs d’alerte sont inclus dans la définition générale, même si la corruption, par exemple, n’est pas  visée en tant que telle.

Sachant par ailleurs que le texte prévoyant expressément la nullité de toutes les mesures proscrites (article L.1132-4 du Code du travail) est maintenu, il ne devrait pas y avoir de déperdition et globalement, la protection des lanceurs d’alerte devrait sortir renforcée de cette unification.

Seul bémol : le lanceur d’alerte devra désormais veiller à bien respecter la loi, et plus précisément, les procédures internes mises en place, pour bénéficier de l’entière protection.

(1)    Loi n°2016-1699 du 09.12.16 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.