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Sport professionnel : un CDD avec condition suspensive, c'est possible !

Publié le 29/03/2017

Qu’il s’agisse de Nicolas Karabatic, de Marco Verratti, de Kylian Mbappé, ou de Scott Spedding, tous sont en CDD ! Le monde du sport est en effet très attaché au contrat à durée déterminée, et cela d’autant plus lorsqu’il s’agit de recruter des sportifs professionnels. Mais de quel droit dépend le CDD de ces sportifs professionnels ? Nouvel élément de réponse avec la Cour de cassation, qui précise que, dans le domaine du sport, suspendre l'exécution du CDD à la survenance d'un évènement est possible. Cass.soc.15.03.17, n°1524028.

  • Code du travail ou Code du sport ?

Indépendamment du contrat des joueurs, les règles régissant leurs relations de travail dépendent pour la plus grande partie du Code du travail. Les sportifs professionnels étant dans une relation de subordination, ils sont soumis, comme tout salarié, aux règles relatives au licenciement, au droit disciplinaire etc. En général, le sportif collectif est classiquement considéré comme lié à son club par un contrat de travail et le sportif individuel comme un travailleur indépendant.

A l’origine, le contrat à durée déterminée d’usage visé par le Code du travail (1) était le contrat applicable aux sportifs dans le secteur du sport professionnel. Source de nombreuses difficultés, les notions de sport et de sportifs professionnels n'étant pasdéfinies, les traitements différenciés des sportifs selon les clubs et parfois même au sein d’un même club, les risques importants de contentieux (certains clubs se situant en dehors du cadre d’application du CDD d’usage), la loi du 27 novembre 2015 (2) a créé un nouveau contrat de travail à durée déterminée applicable aux sportifs.

Le CDD sportif est dorénavant principalement régi par les articles L.222-2 à L.222-2-8 du Code du sport et, de manière résiduelle, par le Code du travail. Pour les CDD d'usage conclus avant le 28 novembre 2015 dans le secteur du sport professionnel, il est prévu que ce régime s'applique à tout renouvellement de contrat ayant lieu après ladite date.

 Doivent obligatoirement être employés sur la base de ce CDD :

- les sportifs professionnels, c'est-à-dire des personnes ayant pour activité rémunérée l'exercice d'une activité sportive dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société sportive, même s'ils sont en formation ;
- les entraîneurs professionnels ayant pour activité principale rémunérée de préparer et d'encadrer l'activité sportive d'un ou plusieurs sportifs professionnels salariés dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société sportive et qui sont par ailleurs titulaires d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification prévu à l'article L. 212-1 du Code du sport. Pour les entraîneurs n'encadrant pas de sportifs professionnels, le CDI reste la norme.

Que l’on se place dans le monde sportif ou dans le monde du travail lambda, les règles régissant les CDD sont extrèmement strictes. Le respect de ces règles protectrices, voilà l’enjeu de la récente décision de la Cour de cassation !

  • Les faits et la procédure

En 2008, une basketteuse a été engagée en CDD par l'association sportive "Basket Lattes Montpellier agglomération" en qualité de joueuse professionnelle de basket-ball. Le terme de son contrat a été fixé au 31 mai 2010. C’est à cette date que le club et la joueuse concluent un nouveau CDD pour la période du 1er juin 2010 au 30 mai 2011. Ce contrat est alors assorti d’une condition suspensive, mentionnant que le CDD ne sera définitif qu'une fois remplies les conditions d'enregistrement par la fédération française de basket-ball et de passage par la joueuse d'un examen médical.

Or le 4 mai 2010, la joueuse est victime d’un accident du travail. Elle prend acte de la rupture de son contrat de travail quelques mois plus tard. Elle n’a pu donc satisfaire à l’homologation de son contrat par la fédération, condition imposée dans le CDD.

En conséquence, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin de faire valoir diverses demandes.  Parmi les doléances de la joueuse figure en tête de liste le non-respect par l’employeur des dispositions d’ordre public relatives aux conditions de  rupture du contrat de travail à durée déterminée.  A ce titre, la joueuse reproche la mention d’une condition suspensive au sein de son CDD.

Le CDI étant la règle, le CDD l’exception, le législateur a strictement encadré les modalités d’exercice de ce dernier. A cet effet, l’article L.1243-1 du Code du travail pose un principe : le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme que dans les seuls cas visés par ce texte. Or en l’espèce, la condition suspensive n’y figure pas. N'oublions pas que les dispositions de l’article L.1243-1 du Code du travail sont d’ordre public. Autrement dit, elles sont indérogeables et doivent être strictement respectées.

 un CDD peut-il contenir une condition suspensive ?

Les juges du fond ont répondu par l’affirmative et ont débouté la salariée. Pour la cour d'appel de Montpellier (3), le second CDD n’avait jamais pris effet : la joueuse, en arrêt médical, ne s'était jamais re-présentée au club pour sa prise de fonction et n’avait jamais passé d’examen médical,comme le prévoyait son contrat. Les magistrats en avaient  conclu que la prise d’acte de rupture par la salariée était sans objet. S’estimant lésée, la joueuse décide de se pourvoir en cassation.

Les juges avaient pris soin d’indiquer que la conclusion d’un nouveau CDD permettait l’insertion d’une telle condition. Ils avaient également souligné  qu’il n'existait  «aucune mauvaise foi de l’employeur, ni intention frauduleuse et malhonnête  dans la mise en oeuvre de la condition suspensive en ayant proposé à la salariée une visite médicale le 7 septembre (2010), soit plus de 6 mois après la signature du renouvellement».

  • Dans le secteur du sport, une condition suspensive est possible !

Les magistrats du Quai de l’Horloge ne font que peu d’état des demandes de la joueuse, et énoncent le principe suivant : « les dispositions d'ordre public de l'article L. 1243-1 du Code du travail, dont il résulte que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme que dans les seuls cas visés par ce texte, ne prohibent pas la stipulation de conditions suspensives. »

Dit autrement, dans le domaine du sport professionnel, la chambre sociale de la Cour de cassation admet qu’un CDD puisse être conclu sous condition suspensive, en l’espèce sous la condition que le contrat soit homologué par la Fédération Française de Basket-ball.

Si le contrat n’est pas homologué, il ne commencera pas à produire ses effets et ne recevra donc pas exécution. Pour les Hauts magistrats, le mécanisme de la condition suspensive ne heurte pas les dispositions limitatives de rupture du CDD pourtant d’ordre public.

C’est là un tempérament fort qui est apporté au principe de rupture du CDD. Bien que critiquable, la solution de la Cour de cassation semble s’adapter aux règles particulières du secteur sportif.

Il est à souligner qu’en temps normal, une telle rupture du CDD donnerait lieu à des dommages-intérêts équivalents aux salaires courant jusqu’au terme du contrat «peu important que l’exécution du contrat ait ou non commencé» (4).

 


(1) Art. L.242-2 3° C.trav.
(2) Loi n°2015-1541 du 27.11.15.
(3) CA Montpellier, ch.soc.01.05.15, n° 13/03191.
(4) Cass.soc.26.09.02, n°0042581.