Retour

Rupture anticipée du CDD : un droit à indemnisation conforme à la Constitution

Publié le 22/02/2017

A l’occasion d’un litige par lequel un salarié réclamait indemnisation à son ex-employeur du fait que ce dernier avait rompu son CDD avant qu’il n’arrive à terme, le conseil de prud’hommes de Lille a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le droit à indemnisation est-il conforme au droit constitutionnel ? Transmise à la Cour de cassation, cette QPC a finalement été considérée comme ne présentant pas un caractère suffisamment sérieux pour faire l’objet d’un renvoi vers le Conseil constitutionnel. Cass.soc.08.02.17, n° 16-40.246.

Lorsqu’elles signent leur contrat, les parties à un CDD s’engagent à exécuter leurs obligations jusqu’au terme fixé par ce dernier. En conséquence, elles n’ont, en principe, pas le droit de décider seules de d’une cessation anticipée de leurs relations contractuelles.

  • Le principe de l’interdiction de rompre le CDD avant terme

Le salarié en CDD n’a pas le droit de démissionner. Il n'est habilité à rompre le CDD de manière anticipée qu’à la (seule) condition de justifier de la conclusion, chez un autre employeur, d’un CDI. Et il n’est pas tout à fait inutile de préciser ici que cette souplesse n’a été expressément consacrée par le législateur qu’en 2002 (1). Antérieurement, le salarié ne disposait d’aucune porte de sortie. Juridiquement parlant, il se devait donc, à tout coup, d’exécuter son CDD jusqu’à son terme.

L’employeur n’a également pas le droit de licencier son salarié en CDD. Il n'est habilité à rompre le CDD de manière anticipée qu’en cas de faute grave (ou lourde), de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

Toutefois, la loi laisse aux parties au CDD la possibilité de s’entendre et d’acter, d’un commun accord, d’une précoce rupture de leurs relations contractuelles.

  • Quelles sanctions en cas de mise à mal de l’interdiction ?

Toute rupture anticipée du CDD en dehors des circonstances ci-avant rappelées risquerait d’exposer la responsabilité de la partie qui y procède et justifierait du fait que l’autre partie contractante saisisse la justice pour obtenir la réparation du préjudice qu’elle aurait subi de ce fait.

C’est ainsi que :

- la rupture par anticipation du CDD par le salarié (hors le cas de l’embauche en CDI chez un autre employeur) « ouvre droit pour l’employeur à des dommages-intérêts correspondant au préjudice subi »(2).

- La rupture par anticipation du CDD de l’employeur (hors le cas de la faute grave (ou lourde), de la force majeure ou de l’inaptitude constatée par le médecin du travail) « ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat » (3).

Et c’est justement ce minimum indemnitaire au versement, auquel les employeurs se trouvent soumis en cas de condamnation pour rupture anticipée irrégulière, qui a fait l’objet de la QPC.

 

Qu’est-ce qu’une QPC ? La QPC permet à une partie à une instance en cours devant une juridiction (en première instance, en appel mais aussi en cassation) de contester la  conformité d'une disposition législative aux « droits et libertés que la Constitution garantit ». La QPC, qui est nécessairement motivée, est transmise par écrit au juge, en l’espèce au juge prud’homal. Celui-ci examine si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux avant de se prononcer, sans délai, sur la QPC. S’il considère que la QPC n’est effectivement par dépourvue de caractère sérieux, il la transmet à la Cour de cassation et sursoit à statuer sur le fond du litige. La Cour de cassation a alors trois mois pour examiner à son tour la QPC. Si elle estime, à son tour, qu’elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, elle la transmet au conseil constitutionnel qui dispose, lui aussi, d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition législative contestée.

 

  • Les fragiles fondements juridiques de cette QPC

A en croire l’auteur de la QPC, la possible condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts « d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat » était, en elle-même, porteuse d’une atteinte « aux principes constitutionnels de nécessité et de personnalité de peine » et «  d’égalité ».

Une prétendue atteinte aux principes de nécessité et de personnalité de la peine :

Référence était faite ici à l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Article selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaire ».  Or, en prévoyant une condamnation à des dommages et intérêts « d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat », l’article L. 1243-4 du Code du travail aurait contrevenu à cette exigence constitutionnelle. En fait, c’est un peu comme si le caractère automatique de la condamnation devait être vu comme étant nécessairement déconnecté du préjudice réellement subi par le salarié.

Pour bien nous faire comprendre, prenons l’exemple le plus extrême qui soit d’un salarié titulaire d’un CDD de 18 mois et dont le contrat serait rompu par anticipation, en dehors des cas rendant cette rupture licite, seulement 2 mois après sa conclusion.

Dans un tel cas de figure, le salarié aurait droit, en termes de dommages-intérêts, à un minimum de 16 mois de salaire. Or verser 16 mois de salaire à un salarié qui n’aurait, en fait, que 2 mois d’ancienneté dans l’entreprise, on peut comprendre que cela puisse légèrement irriter la partie patronale. Ce d’autant plus qu’il s’agit là d’une réparation de type forfaitaire qui ne saurait donc être réduite, par exemple, des allocations chômage qui auraient été perçues « au titre de la période en CDD »(4). Mais s’arrêter à un tel constat serait nécessairement très réducteur. Car, au final, qu’est-ce qu’a cherché à faire le législateur en instituant une tel mode de réparation indemnitaire ? Tout simplement à faire en sorte que le salarié n’ait pas à subir les conséquences d’une rupture anticipée qui, normalement, n’aurait jamais dû avoir lieu. Et pour ce faire, quoi de plus logique que de lui assurer une indemnisation à hauteur des salaires qu’il aurait normalement dû toucher si, comme cela aurait dû être le cas, le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme.

Une prétendue atteinte au principe d’égalité :

S’il était ici argué d’une rupture du principe constitutionnellement garanti d’égalité, c’est que, pour dans même type de situation (une rupture anticipée de CDD), la loi ne soumettait pas le salarié et l’employeur aux mêmes types de sanction. « Dommages-intérêts correspondant au préjudice subi » côté salarié, « dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat » côté employeur.

Or, nous savons que, sauf circonstances exceptionnelles, un employeur n’a pas nécessairement grand intérêt à poursuivre aux prud’hommes un salarié qui se serait rendu « coupable » d’une illicite rupture anticipée de CDD. La loi ne prévoit dans ce cas-là une indemnisation de l’employeur qu’à la hauteur du « préjudice subi ». Préjudice qui, du fait même du déséquilibre chronique que connait le marché du travail, ne pourrait être considéré en justice que comme purement symbolique. Cependant, arrêter le raisonnement à ce stade serait là encore guère opérant car l’on peut assez facilement comprendre qu’entre le fait, pour un salarié précaire, de se retrouver plus tôt que prévu au chômage et celui, pour un employeur, de devoir relancer un processus de recrutement, les conséquences, en terme de « préjudice subi » n’aient pas grand-chose à voir !      

  • Un non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation n’a pas considéré cette QPC comme suffisamment sérieuse pour faire l’objet d’un renvoi vers le conseil constitutionnel. Et ce pour deux raisons :

Sur la prétendue atteinte aux principes de nécessité et de personnalité de la peine 

La cour de cassation a balayé l’argumentaire développé par les auteurs de la QPC en précisant que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ne valait que pour les sanctions pénales et non pour les condamnations à dommages-intérêts.

Sur la prétendue rupture d’égalité 

La  cour de cassation a logiquement considéré que « le salarié et l’employeur n’étaient pas placés dans la même situation au regard des conséquences indemnitaires de la rupture du CDD » et il en a tout aussi logiquement déduit que « le législateur pouvait régler de façon différente des situations différentes ».

Aussi, le salarié en CDD qui, sans motif valable, voit son contrat de travail rompu avant l’heure a-t-il toujours intérêt à vérifier la cause de cette rupture afin d’expertiser l’utilité qu’il y aurait à agir.      



(1) Art. 129 II de la loi de modernisation sociale du 17.01.2002 portant modification de l’article L.124-5 (devenu depuis le 1er mai 2008, l’article L.1243-2) du Code du travail.

(2) Art. L.1243-3 C.trav.

(3) Art. L.1243-4 al. 1er C.trav.

(4) Cass.soc.27.02.01, n° 98-45.140.