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Listes électorales : en cas de conflit la fédération prime sur le syndicat

Publié le 01/07/2014

Dès lors qu’une fédération informe l’employeur de sa volonté de déposer une liste en lieu et place des syndicats qui lui sont affiliés, ce dernier peut écarter d’office les listes présentées par ces syndicats sans avoir à saisir le juge. Telle est la précision apportée par un arrêt de la Cour de cassation. Cass.soc. 04.06.14, n° 13-60238.

  • Les faits

En vue du renouvellement des institutions représentatives du personnel dans une entreprise, deux listes ont été déposées le même jour :

-          Celle d’un syndicat, affilié à sa fédération syndicale

-          Celle de la fédération, précisant qu’elle venait en remplacement des listes déposées par les syndicats qui y sont affiliés.

Conformément aux instructions de la fédération, l’employeur a décidé d’écarter la liste déposée par le syndicat. Ce dernier a saisi le tribunal d’instance pour demander l’annulation des élections.

Les juges du fond ont fait droit à cette demande en considérant que l’employeur ne pouvait pas se faire juge de la validité des candidatures présentées sur le seul fondement des instructions de la fédération et qu’il aurait dû les contester devant le juge d’instance. Pour résumer, l’employeur aurait dû faire preuve de neutralité.

Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation : elle considère que dès lors que la fédération a informé l’employeur qu’elle déposait une liste « au lieu et place des syndicats qui lui sont affiliés », ce dernier était autorisé à « ne pas retenir les listes présentées par les syndicats » et ce, sans avoir à saisir le tribunal d’instance.

Obligation de neutralité de l'employeur

 

  • Une entorse au principe de neutralité ?

Le principe de neutralité est un des principes essentiels du droit électoral qui, en cas de non-respect, peut constituer une cause d’annulation des élections.

C’est en vertu de ce principe que les juges du fond ont considéré que l’employeur ne pouvait pas, sur instruction émanant d’une partie, décider seul d’écarter une liste. La jurisprudence allait déjà en ce sens (1).

Ici la Cour de cassation apporte un tempérament au principe de neutralité : l’employeur peut d’office écarter une liste déposée par des syndicats si la fédération à laquelle ils sont affiliés a précisé qu’elle était la seule qualifiée pour déposer une liste. 

Cette entorse au principe de neutralité reste toutefois encadrée puisqu’elle suppose que la fédération se soit prononcée sur la structure habilitée à candidater et qu’elle en ait informé l’employeur. On imagine qu'à l'appui de ses instructions, la fédération a fourni les éléments permettant à l'employeur de vérifier la réalité de ce qui est avancé (ex: statuts, réglement intérieur, organisation interne de l'organisation syndicale)

C’est seulement en l’absence de précisions apportées par la fédération, que l’employeur devra s’en remettre au juge.

  • Rôle accru de l'employeur?

Si l’employeur n’est pas juge de la régularité des candidatures, il a progressivement été autorisé, dans certains cas, à écarter seul des candidatures : dépôt de liste hors délai fixé par le protocole d’accord préélectoral(2), retrait de candidature (3).

Par exemple, dans un arrêt de 2013 (4), la Haute Cour avait déjà apporté une exception au principe  en permettant à l’employeur d’écarter, sans intervention du juge,  la candidature  d’un délégué syndical déposée au nom de son organisation,  à condition d’avoir vérifié auprès de l’organisation syndicale, que le délégué n’avait effectivement pas reçu mandat pour déposer une liste.

Cet  arrêt  étend donc les pouvoirs dont il dispose à l’occasion des élections professionnelles, mais quelle est  la portée du  contrôle que l’employeur doit exercer, lui qui voit en principe son rôle cantonné à celui d’une police des élections professionnelles ?

On peut aussi s’interroger sur la portée de cette solution en matière de conflits internes aux organisations syndicales. En l’espèce, il s’agit d’un conflit de listes  mais la solution pourrait-elle s’étendre à d’autres attributions inhérentes à la représentativité, telle que la désignation de délégués syndicaux ou la signature d'accord collectif en cas de désaccord entre structures?

Qu’en serait-il d’un conflit opposant une confédération et une de ses fédérations ? La Cour de cassation pourrait être amenée à préciser les choses prochainement.


(1) Cass.soc. 10 décembre 1986, n° 86-60297 : l’employeur, qui n’est pas juge de la validité d’une candidature, ne peut refuser celle d’un salarié sans décision préalable du tribunal d’instance.
(2) Cass.soc., 9 novembre 2011, 10-28838
(3) Cass.soc., 5 mars 1997, n° 96-60034
(4) Cass.soc. 30 octobre 2013, n° 12-29.952