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Licenciement nul : pas d’acquisition de congés pendant la période d’éviction

Publié le 31/05/2017

Le plus souvent, lorsqu’il déclare un licenciement nul et qu’il ordonne la réintégration d’un salarié, mise à part l’obligation pour l’employeur de réaffecter le salarié à son poste et de lui payer tout ou partie des salaires perdus depuis l’éviction, le juge ne précise pas outre mesure les modalités de remise en l’état du contrat de travail. La Cour de cassation apporte ici, de façon inédite, quelques précisions : si une indemnité d’éviction est due au salarié, celui-ci n’est en revanche pas en droit de réclamer les jours de congés payés qu’il n’a pu acquérir du fait de la rupture de son contrat. Cass.soc.11.05.17, n°15-19731

•             Les faits

Mis à la disposition d’une société en qualité de préparateur de commandes via plusieurs missions d’intérim, le salarié est finalement embauché par cette société dans le cadre d’un CDD et ce, jusqu’au 3 août 2008. Le salarié, victime d’un accident du travail en février 2008, va être placé en arrêt de travail jusqu’au 4 mars 2009 (soit après la fin de son contrat).

En avril 2008, il saisit le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de son CDD en CDI, ce qui va lui être accordé en 2010. Or entre temps, l’employeur lui notifie le terme de son CDD (3 août 2008).

La cour d’appel estime qu’en mettant fin au contrat pendant l’arrêt de travail du salarié, l’employeur est contrevenu à la protection des accidentés du travail. Aussi, par jugement du 5 décembre 2013, analyse-t-elle cette rupture en licenciement nul et ordonne-t-elle la réintégration du salarié dans l’entreprise. Réintégration qui devient effective le 8 septembre 2014.

Evincé à tort de l’entreprise, le salarié a naturellement perçu les rappels de salaire qu’il n’avait pu percevoir sur la période comprise entre son licenciement et sa réintégration. Mais il demande plus : il réclame la totalité des jours de congés payés qui n’ont pu être acquis du fait de son éviction. Débouté par les juges du fond, le salarié se pourvoit en cassation.

La question posée aux hauts magistrats est la suivante : lorsqu’un salarié est réintégré dans l’entreprise, a-t-il droit, outre les rappels de salaire dus pour la période d’exclusion, aux congés payés qu’il n’a pu acquérir du fait de la rupture de son contrat ?

•             L’indemnisation due au salarié réintégré

Lorsqu’un salarié est  licencié en violation d’une disposition légale ou d’une liberté fondamentale et que son licenciement est jugé nul, il peut demander sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent (1).
Le salarié a alors droit à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, c’est-à-dire durant la période d’éviction.

Peu de textes déterminent les modalités de cette indemnisation, en revanche la jurisprudence est venue apporter quelques précisions : elle prévoit d’une part, une indemnisation de droit commun, au titre de laquelle l’employeur n’est tenu qu’au paiement du montant des salaires que le salarié aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration. Il faut alors déduire de cette indemnisation toutes les sommes que le salarié aurait perçues au titre d’une autre activité ou d’un revenu de remplacement pour cette même période (salaires, allocations chômage, indemnités journalières d’assurance maladie, etc). Tout ce qui aurait pu être versé au-delà de ce montant ouvre droit à répétition.

Elle prévoit par ailleurs une indemnisation plus favorable au profit de certains salariés en raison de la violation d’un statut protecteur (représentants du personnel, etc), d’un droit ou d’une liberté garantie par la Constitution (grévistes, licenciement discriminatoire lié à l’état de santé ou à la pratique d’une activité syndicale, etc). La Cour de cassation considère dans ce cas que l’indemnisation a un caractère forfaitaire car elle sanctionne la violation soit d’un statut protecteur, soit d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution (2). Peu importe alors que le salarié ait perçu des salaires ou un revenu de remplacement au cours de cette même période, ces sommes ne seront pas déduites de l’indemnisation.

Dans notre affaire, le salarié étant en arrêt de travail suite à un accident du travail lorsque son employeur lui a notifié la fin de son contrat, les juges ont à juste titre considéré la rupture du contrat comme un licenciement nul. En tant qu'accidenté du travail, le salarié bénéficiait en effet d'une protection particulière. 

Le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle bénéficie d’une protection contre le licenciement. Pendant son arrêt de travail, l’employeur ne peut rompre le contrat que pour deux motifs (3) :
- en raison d’une faute grave du salarié,
- parce qu’il est dans l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
Les règles en la matière, d’ordre public, doivent être scrupuleusement respectées par l’employeur.

Réclamant (et obtenant) sa réintégration, le salarié a obtenu une indemnité correspondant aux salaires perdus entre son éviction de l’entreprise (le 3 août 2008) et sa réintégration effective (le 8 septembre 2014). Indemnité de laquelle ont été déduits les revenus de remplacement perçus par le salarié au cours de cette même période (4).

Mais la particularité de l’espèce réside dans le fait que le salarié demandait en plus à bénéficier des jours de congés payés qu’il avait, selon lui, acquis pendant la période durant laquelle son contrat a été rompu, afin de pouvoir les poser à son retour. Pour lui, le fait de n’avoir pu prendre ses congés par la faute de l’employeur lui donnait le droit de reporter ceux-ci conformément aux dispositions légales (5). 

Cette question n’avait jusqu’ici encore jamais été tranchée.

            Pas d'acquisition de congés payés pendant la période d’éviction

Certes, en cas de nullité de licenciement, le salarié réintégré a droit à la réparation du préjudice subi par la rupture (temporaire) de son contrat. Mais on l’a vu, cette indemnisation se limite aux salaires que le salarié a perdus sur la période d’éviction.

Qu’en est-il alors des congés payés que le salarié aurait normalement dû cumuler sur cette période ?  Peut-on considérer, comme l’avançait le salarié, qu’il continue d’acquérir des congés (à hauteur de 2,5 jours/mois) dont il pourra bénéficier à son retour ? Ou bien ces congés sont-ils au contraire définitivement perdus ?

La solution de la  Cour de cassation a le mérite d’être claire : la période d’éviction ouvre droit, « non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d’éviction ». Le salarié ne pouvait donc pas bénéficier effectivement de jours de congés pour cette période. Au bout de 2 ans 1/2, le salarié réintègre  l’entreprise avec un compteur de congés à zéro, au même titre qu’un salarié nouvellement embauché.

La Cour avait déjà été amenée par le passé à juger que le salarié n’avait pas droit au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés (6).  Elle ajoute désormais qu’il n’a pas plus droit aux congés qu’il n’a pu acquérir du fait de la rupture de son contrat. Elle justifie sa solution par le fait que le salarié perçoit une indemnité d’éviction destinée à compenser le préjudice causé du fait de cette rupture.

Pour autant, le droit aux congés payés est un droit fondamental, et quand bien même l’on conçoit que des congés ne soient pas acquis pendant cette période où le contrat n’est plus, leur perte constitue indiscutablement un préjudice pour le salarié.
Or, le principe veut qu’un licenciement nul avec une réintégration ne laisse perdurer aucune conséquence négative pour le salarié. Cela signifie qu'il devrait se retrouver exactement dans la même situation que si le contrat n’avait jamais été rompu.

Alors que l'indemnité d'éviction est censée réparer la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre le licenciement et la réintégration du salarié, force est de constater que ca n'est pas toujours le cas ! La voie indemnitaire a ses limites. Les effets de la nullité d'un licenciement ne sont finalement pas si "gommants", les choses n’étant pas tout-à-fait remises en l’état...

 



(1) Cass.soc. 30.04.03, n°00-44811.
(2) Cass.soc.10.10.06, n°04-47623 ; Cass.soc.29.05.13, n°11-28734.
(3) Art L.1226-9 et L. 1226-13 C.trav.
(4) A noter que la protection des accidentés du travail n’est pas de valeur constitutionnelle, ce qui permet au juge d’appliquer l’indemnisation de droit commun et de déduire de celle-ci toutes les sommes perçues par le salarié durant sa période d’éviction.
(5) Art L.3141-12 et s. C.trav.
(6) Cass.soc. 06.01.11, n°09-41363.