Retour

Devoir de vigilance : la loi enfin votée !

Publié le 01/03/2017

Le 21 février dernier, a été adoptée pour la première fois en France une loi responsabilisant les grands groupes transnationaux s’agissant des atteintes aux droits humains et à l’environnement qui pourraient résulter des activités menées dans leurs filiales et dans leurs chaînes de sous-traitance.

Quels sont les apports juridiques de cette loi?

La loi adoptée le 21 février dernier vise à prévenir les atteintes aux droits fondamentaux et à l’environnement causées par les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre ou par leurs filiales. Cette loi intervient en réaction à la catastrophe du Rana Plaza qui a eu lieu au Bengladesh, en avril 2013 (1). Désormais, les sociétés mères et les donneurs d’ordre sont responsables à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs. Cette nouvelle responsabilité se concrétise au travers de deux obligations : l’obligation d’établir un plan de vigilance et l’obligation de le mettre en œuvre. L’entreprise qui manque à ces obligations pourra être sanctionnée.

  • L’obligation d’établir un plan de vigilance

La loi prévoit que les entreprises dépassant un certain seuil en nombre de salariés ont l’obligation de mettre en œuvre un plan de vigilance à l’égard de leurs filiales et «de leurs relations commerciales établies», c’est-à-dire les sous-traitants et fournisseurs avec lesquels l’entreprise a des rapports directs.

- Quelles entreprises sont concernées par l’obligation d’établir un plan de vigilance ?

La loi couvre les grands groupes puisque sont visés :

   d’une part, toute entreprise ayant son siège en France et employant en son sein et dans ses filiales directes et indirectes au moins 5000 salariés ;

   d’autre part, toute entreprise ayant son siège en France ou à l’étranger (et ayant des activités en France) et qui emploie en son sein et dans ses filiales directes et indirectes au moins 10 000 salariés au total.

-Qui établit ce plan de vigilance ?

Le plan de vigilance n’est pas établi unilatéralement par la direction de ces entreprises, puisque la loi prévoit qu’il doit être élaboré et mis en œuvre en concertation avec les parties prenantes et en premier lieu avec les organisations syndicales.

- Quel est le périmètre d’application de ces plans de vigilance ?

Ces plans de vigilance devront couvrir les filiales, les sous-traitants et les fournisseurs, que ce soit en France ou à l’étranger.

L’adoption d’un tel plan de vigilance relève donc d’une démarche prospective et d’une responsabilité préventive des entreprises. En effet, l’obligation d’établir un plan de vigilance est ici déconnectée de toute atteinte avérée aux droits de l’homme ou à l’environnement.

- Que contient le plan de vigilance ?

Le plan de vigilance comporte des «mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes» aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Les risques dont il est question sont ceux occasionnés par l’activité de la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre, mais aussi les risques générés par les activités des sociétés qu’elle contrôle et par les activités des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels la société mère ou le donneur d’ordre entretient une «relation commerciale établie».

La loi précise que le plan doit comporter 5 mesures.

1) Une cartographie des risques identifiés doit figurer dans le plan.

2) La mise en place de procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitant ou fournisseurs avec lesquelles la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre entretien une relation commerciale établie.

3) Des actions adaptées pour atténuer les risques ou prévenir les atteintes graves.

4) Une procédure d’alerte lorsqu’existe ou se réalise un risque. Il est important de souligner que ce mécanisme d’alerte est établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives.

5) Enfin, pour s’assurer que le plan de vigilance est bien mis en œuvre, un dispositif de suivi des mesures et d’évaluation de leur efficacité est mis en place.

  • Les recours prévus en cas de manquement au devoir de vigilance 

Deux cas de recours sont envisagés par le législateur.

- 1er cas de recours : en cas de manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance, une mise en demeure est alors adressée à l’entreprise (débitrice de l’obligation d’établir un plan de vigilance). Si elle n’y satisfait pas dans un délai de 3 mois, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut alors saisir le juge. La juridiction compétente peut enjoindre à l’entreprise, le cas échant sous astreinte, de respecter ses obligations. Le juge peut aller jusqu’à la condamnation de l’entreprise au paiement d’un montant ne pouvant excéder 10 millions d’euros. Ainsi, la loi ne prévoit-elle pas de disposition pénale mais fixe-t-elle une amende civile qui revêt un effet dissuasif.

- 2è cas de recours : la possibilité d’engager la responsabilité civile des entreprises pour un dommage causé par une filiale ou un sous-traitant et qu’elles auraient raisonnablement pu éviter avec un plan de vigilance effectif. La responsabilité dont il s’agit est une responsabilité civile de droit commun, telle qu’elle résulte du Code civil français (2). La victime devra dès lors prouver une faute de l’entreprise, un préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.

La loi prévoit que l’action en responsabilité peut être introduite par toute personne justifiant d’un intérêt à agir. Dès lors, il est possible d’imaginer que cette victime soit une personne domiciliée dans un pays en voie de développement, le Bengladesh par exemple, et travaillant dans une entreprise sous-traitante. Cette victime pourra alors saisir la juridiction française pour défaut de vigilance de la société mère ou de l’entreprise donneuse d’ordre. L’action devant le juge pourra également être portée par une ONG française ou étrangère ou même un syndicat pour défendre les intérêts des victimes de dommages causés par un sous-traitant étranger.

Dans ce cas, la loi prévoit également le versement d’une amende civile, qui peut être majorée jusqu’à 30 millions d’euros en fonction de la gravité et des circonstances du manquement et du dommage causé.

 Avec l’adoption de cette loi, les entreprises concernées sont au nombre de 150 environ. Celles-ci devront se conformer à cette nouvelle obligation à partir de 2018, en espérant que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi (3).

  • Quelles sont les prochaines étapes ?

La CFDT se félicite de l’adoption de cette loi et espère que des actions du même type seront prises par d’autres Etats de l’Union européenne. Il serait également souhaitable que la Commission européenne prenne des initiatives sur le devoir de vigilance pour sanctionner les entreprises qui ne respectent pas les droits humains.

Au niveau français, la prochaine étape qui suivra très rapidement, et dans laquelle nous avons commencé à nous plonger, est l’accompagnement des acteurs syndicaux dans l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance.



(1) L’effondrement du bâtiment qui abritait des usines textiles a provoqué la mort de plus de 1 100 ouvriers et 2 000 blessés. Ces usines étaient essentiellement des sous-traitants et des fournisseurs qui travaillaient pour de grandes multinationales européennes et françaises.

(2) Art.1240 et 1241 du Code civil.

(3) Saisine 2017-750 DC du 23.02.17.

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS