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Transfert d’entreprise : quid en cas de refus du salarié du contrat de droit public ?

Publié le 08/02/2017

En cas de reprise par une personne publique d’une activité économique autonome jusqu’alors exercée par une entité de droit privé et de refus du salarié de conclure le contrat de droit public qui lui est proposé, l’article L.1224-3 du Code du travail prévoit que le contrat de travail du salarié prend fin de plein droit. Qu’est-ce à dire ? A quelles conditions exactement le contrat de travail est-il résilié? Une décision récente de la Cour de cassation apporte un éclairage sur ces questions. Cass.soc. 10.01.17, n°15-14775.

  • Faits, procédure, prétentions et problématique

Dans cette affaire, un salarié de droit privé employé par une association de promotion des activités et loisirs socio-culturels dans une petite commune s’est vu proposer un contrat de droit public par la commune reprenant l’activité de l’association. Ayant refusé ce contrat, la commune lui a notifié la rupture de plein droit de son contrat de travail.

C’est alors que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour réclamer diverses sommes, dont son indemnité de préavis et une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.

En appel, les juges lui ont accordé le droit à son indemnité de préavis. Ils ont en revanche écarté le bénéfice pour le salarié de dommages-intérêts pour violation de la procédure de licenciement (absence de convocation à l’entretien préalable).

L’employeur a saisi la Cour de cassation contestant sa condamnation à payer l’indemnité compensatrice de préavis. Quant au salarié, il a formé un pourvoi incident, faisant valoir qu’il avait droit au respect de la procédure de licenciement.

La question qui se pose à la Cour de cassation est de déterminer les conséquences exactes de la rupture de plein droit prévue par l’article L.1224-3 du Code du travail. Sachant que, depuis les années 2000, le champ d’application des dispositions relatives au transfert s’est considérablement étendu sous l’influence du droit européen, ce qui a conduit à infléchir la règle du maintien des contrats de travail et à prévoir cette fameuse rupture du contrat de travail de plein droit.

  • Extension du domaine des transferts et infléchissement du maintien des contrats

Applique-t-on (et si oui, comment) les règles relatives au maintien des contrats lorsque l’activité jusqu’alors poursuivie par une entité (entreprise, association...) de droit privé est reprise par une entité  de droit public ?

Jusque dans les années 2000, la Cour de cassation considérait dans ce cas que l’entité économique perdait son identité et excluait, pour cette raison, l’application de la règle de maintien des contrats de travail (1).

Sous l’influence des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (2), qui a considéré que la notion d’entreprise au sens de la directive étant indépendante du statut juridique de l’entité et de son mode de financement, les cas de reprise de l’activité d’une entité de droit privé par une entité de droit public entraient dans le champ d’application de la Directive (3), la jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil d’Etat ont évolué (4). C’est dans ce contexte qu’une réforme législative a été adoptée pour régler ces cas délicats et se mettre en conformité avec le droit européen.

Depuis la loi du 26 juillet 2005, les personnes de droit public ont l’obligation de proposer aux salariés de l’entité de droit privé dont ils reprennent l’activité des contrats de droit public. De plus, sauf « disposition légale ou conditions générales de rémunération et d’emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat (...) reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération » (5).

Toutefois, cette solution de principe n’était pas sans poser certaines difficultés, en particulier parce que la reprise des « clauses substantielles » de contrats de droit privé en matière de rémunération pouvait fort bien se révéler incompatible avec l’application des « conditions générales de rémunération et d'emploi » des autres agents...et contraire à l’égalité de traitement. D’ailleurs, le droit européen lui-même ne s’oppose pas à ce que l’Etat, en tant que nouvel employeur, procède à une réduction de la rémunération. La résiliation du contrat de travail est alors considérée comme intervenue du fait de l’employeur (6).

La loi du 3 août 2009 a notamment pour objet de prendre en compte ces situations dans lesquelles des salariés peuvent se voir proposer leur reprise à des conditions moins avantageuses pour eux et contraires à leur contrat initial, de sorte que certains peuvent être tentés de refuser. L’article L.1224-3 du Code du travail, alinéa 3, prévoit qu’ « En cas de refus des salariés d’accepter le contrat proposé, leur contrat prend fin de plein droit. La personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat ».

Toute la question est alors de savoir quels sont les effets de cette rupture de plein droit.

  • Conséquences pour le salarié refusant le contrat de droit public proposé

Contrairement aux transferts entre entités de droit privé, la règle du maintien des contrats de travail n’est pas (et ne peut pas être) impérative, en ce sens que la reprise ne s’impose pas au salarié, comme c’est le cas en application de l’article L.1224-1 du Code du travail.

Autrement dit, le salarié peut refuser son transfert d’une entité de droit privé à une entité de droit public. Dans ce cas toutefois, son contrat est rompu de plein droit et les dispositions relatives au licenciement sont applicables. Dans quelle mesure, sachant que la rupture intervient «  de plein droit » ? Le licenciement est-il fondé sur une cause réelle et sérieuse ? Quels sont les droits du salarié, par exemple en matière de préavis ? La procédure de licenciement doit-elle être suivie ? Le licenciement doit-il être notifié ? Un entretien préalable organisé ?

La loi de 2009 semble régler la question de la justification du licenciement, mais les autres conséquences pratiques de la rupture sont peu à peu réglées par les juges. Dans notre espèce, les questions précises portaient sur la sanction de l’absence de convocation à l’entretien préalable et sur le droit à l’indemnité de préavis.

La Cour de cassation en profite néanmoins pour préciser que le licenciement doit être considéré comme justifié : le droit européen « n’oblige pas les Etats membres à garantir au travailleur un droit à une indemnité financière à la charge de ce cessionnaire dans des conditions identiques au droit dont un travailleur peut se prévaloir lorsque son employeur met illégalement fin à son contrat de travail ou à sa relation de travail ».

Ainsi, puisqu’il n’y a pas à vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse, les juges ont-ils pu récemment décider dans une autre espèce (et contrairement à une jurisprudence constante selon laquelle en l’absence de lettre, le licenciement n’est pas fondé) que l’absence de notification du licenciement constitue bien, dans ce cas, une simple irrégularité de forme ouvrant droit à des dommages-intérêts à ce titre (7).

En revanche, la haute juridiction décide ici que « cependant, la juridiction nationale est tenue (...) de garantir que, à tout le moins, le cessionnaire supporte, en pareille hypothèse, les conséquences que le droit national applicable attache à la résiliation du contrat de travail ou de la relation de travail du fait de l’employeur, telles que le versement du salaire et autres avantages correspondant (...) à la période de préavis ».

En d’autres mots, la personne publique qui notifie son licenciement au salarié ayant refusé le contrat proposé doit respecter les dispositions légales et conventionnelles relatives au préavis.

S’agissant en revanche de l’obligation de tenir un entretien préalable, qui découle du droit du licenciement en général, la Cour de cassation répond au salarié que les dispositions relatives à la convocation à l’entretien préalable ne sont pas applicables.

Il y a là une certaine logique, puisque la finalité de cet entretien est de permettre aux parties de s’expliquer et à l’employeur d’éventuellement renoncer à licencier. Or, si le motif  de licenciement tient au refus du salarié et à l’impossibilité de lui proposer un contrat en raison des «conditions générales de rémunération et d’emploi» de l’établissement public, la marge de décision du cessionnaire est mince.

 

(1)   Cass.soc. 07.02.80, Bull.civ., V, n°115 ; Cass.soc. 10.07.95, RJS, n°866.

(2)   CJCE, 26.09.00, aff. C-179/99.

(3)   Directive 2001/23/ CE du Conseil du 12.03.01.

(4)   Cass.soc. 25.06.02, Bull.civ., V, n°209 ; C.E.22.10.04, Lamblin.

(5)   Art. L.1224-3, alinéas 1 et 2, C.trav.

(6)   CJCE, 11.11.04, aff. C-425-02.

(7)   Cass.soc. 08.12.16, n°15-17176 et 15-17177.