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Accords emploi : de l’efficacité relative des clauses pénales

Publié le 21/03/2017

La clause contenue dans un accord collectif conclu pour maintenir la compétitivité et par laquelle un employeur s’engage, en cas de violation de ses engagements, à rembourser aux salariés les efforts consentis par eux constitue-t-elle une clause pénale ? La Cour de cassation répond par l’affirmative, accordant ainsi aux juges du fond le pouvoir de réviser le montant de la pénalité si celle-ci leur apparaît « manifestement excessive ». Cass.soc.8.03.17, n°15-26.975.

 

  • Faits, procédure, prétentions

Dès avant la loi de sécurisation de l’emploi et la loi Travail, certaines de nos équipes ont conclu des accords sur l’emploi.

La première de ces lois date du 14.06.13 et a consacré les accords de maintien de l’emploi (articles L.5125-1 et s. du Code du travail), tandis que la seconde, qui date d’août 2016, a élargi le champ de ces accords en consacrant les accords de préservation et de développement de l’emploi (articles L.2254-2 et s. du Code du travail).

Tel était le cas en l’espèce. Pour éviter un projet de réorganisation qui, lors de sa présentation en 2007, s’accompagnait de réductions d’effectifs, en 2008, les syndicats, dont le syndicat CFDT métaux Somme Amiens, ont conclu un accord comportant des concessions des salariés en contrepartie desquelles l’employeur prenait un certain nombre d’engagements, en termes de maintien de l’emploi et de productivité, pour une durée de 5 ans.

Plus précisément, aux termes de l’accord conclu au sein de l’établissement d’Amiens de la société Whirpool, l’employeur s’engageait à maintenir un volume de production annuel minimum sur le site (550 000 sèche-linge), tandis que les salariés renonçaient à 14 jours de RTT. En cas de non-respect de son engagement, l’employeur devait « indemniser chaque salarié du montant total des efforts concédés entre la date de mise en application et la date de rupture de cet engagement ».

L’employeur n’ayant pas respecté ses engagements concernant le volume annuel de production sur le site, une trentaine de salariés ont décidé de saisir le conseil de prud’hommes pour demander l’application de cette clause et être indemnisés.

En première instance d’ailleurs, les salariés ont obtenu gain de cause. Le conseil de prud’hommes d’Amiens, considérant que la SAS Whirpool n’avait pas respecté ses engagements, a condamné l’employeur à verser à chacun des salariés un rappel de salaires sur 5 ans correspondant à 14 jours de RTT par an.

C’est en appel que les choses se sont gâtées. En effet, après avoir procédé à un minutieux travail d’interprétation de l’accord et conclu que, malgré ses termes ambigus, la société s’était bien engagée à un volume annuel de production de 550 000 sèche-linge, les juges de la cour d’appel d’Amiens ont accueilli l’argument de l’employeur visant à voir reconnaître la qualification  de clause pénale à la disposition litigieuse et en conséquence réviser son montant, jugé excessif. La cour d’appel d’Amiens a donc réduit l’indemnisation de chaque salarié à 1000 euros.

Les salariés ont donc formé un pourvoi en cassation pour faire reconnaître la valeur de l’engagement souscrit par l’employeur.

  • Pénale ou pas, telle était la question

C’est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation est saisie de la question de la nature juridique de ce type de clause par laquelle l’exécution par l’employeur de ses engagements en termes d’emploi ou de développement (ici de production) est garantie par une pénalité correspondant aux efforts consentis par les salariés en contrepartie .

S’agissait-il d’une clause pénale ? Telle était la question centrale posée à la Cour de cassation.

Selon A. Mazeaud, une clause pénale est « un petit contrat accessoire dont la cause, la raison d’être, réside dans la garantie d’exécution d’une obligation initiale. Sous cet angle, la clause pénale apparaît comme une arme de dissuasion destinée à conjurer l’infidélité contractuelle » (1).

Le pourvoi avançait deux arguments principaux pour contester le pouvoir que s’étaient octroyé les juges du fond de réviser le montant de l’indemnisation prévue dans l’accord.

Selon le pourvoi, la clause litigieuse n’était pas une clause pénale au sens du Code civil. L’engagement de produire un certain volume annuel de sèche-linge était la simple contrepartie du renoncement aux jours de RTT, et l’indemnisation prévue la conséquence de l’inexécution par l’employeur de ses engagements.  De surcroît, le pourvoi faisait valoir que si le Code civil reconnaît au juge le pouvoir de réviser (à la hausse ou à la baisse) le montant de l’indemnisation lorsqu’une clause est qualifiée de clause pénale, encore faut-il que la pénalité soit « manifestement excessive ou dérisoire » (1), ce que le demandeur devait prouver. Or en l’espèce, l’employeur se bornait à indiquer que les salariés n’avaient pas subi de préjudice sans en apporter la preuve.

La qualification, ou non, de clause pénale était néanmoins la question centrale, puisque dans ce cas, la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement le caractère manifestement excessif ou dérisoire de la pénalité prévue.

Cette argumentation n’a pas eu grâce aux yeux de la Haute juridiction, qui a retenu la qualification de clause pénale :

« l’accord d’entreprise prévoyait qu’en cas de non-respect par la société de son engagement, celle-ci s’obligeait à indemniser chaque salarié du montant total des efforts concédés entre la date de mise en application et la date de rupture de l’engagement, la cour d’appel a décidé à bon droit que cette clause s’analysait en une clause pénale ».

Cet arrêt nous semble critiquable à plusieurs titres.

Juridiquement tout d’abord, la qualification de clause pénale n’allait pas de soi dans la mesure où l’indemnisation prévue correspondait à la rétrocession des engagements réciproques des salariés et non à une somme forfaitaire (dont il fallait d'ailleurs calculer pour chaque salarié la somme exacte)...Il s’agissait donc en quelque sorte d’une compensation, même si l’employeur avait partiellement respecté ses engagements.

Politiquement ensuite, c’est un mauvais signe envoyé aux salariés et aux négociateurs que de considérer que le juge peut réduire substantiellement une pénalité pour non-respect par l’employeur d’un engagement portant sur l’emploi, la production ou toute autre mesure visant à développer l’entreprise.

Quand bien même les salariés n’auraient pas subi de préjudice immédiat, il est impossible de dire que ce défaut d’exécution n’aura pas de conséquence ultérieure sur la situation de l’entreprise. L'actualité récente en témoigne: Whirpool vient d'annoncer la délocalisation de sa production et on peut soupçonner, rétrospectivement, que la violation de l'engagement n'était pas un hasard!

On ne peut d’un côté reconnaître aux négociateurs le pouvoir de conclure de tels accords et leur renier par ailleurs la capacité d’apprécier l’importance de tel ou tel engagement de l’employeur pour améliorer la situation de l’entreprise, et par voie de conséquence de fixer le montant de sa pénalité en cas de non-respect.

 

(1)     « Les clauses pénales en droit du travail », Droit social 1993, p.343 et s.
(2)     Ancien article 1152 du Code civil : « Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. »
(3)     Par exemple Cass.soc.22.06.11, n°09-68762.